« Pourquoi tu as une si grande maison avec si peu d’enfants ? »

Chaque fois que je me sens démunie, insatisfaite de ce que je possède, je me rappelle cette question. Une jeune Israélienne était en visite en Amérique avec sa mère. Lorsqu’elle a vu le minuscule duplex (selon les normes américaines) de mon amie avec quatre jeunes enfants (toute une couvée en Amérique) qui couraient dans tous les sens, elle était si confuse ! Comment une si grande maison (selon les normes israéliennes) pouvait-elle servir de logement à cette petite famille (encore une fois, selon les normes israéliennes) ? Imaginez être perplexe à l’idée d’occuper plus d’espace que nécessaire.

Les millionnaires se plaignent du coût d’une résidence secondaire.

À l’autre bout du spectre, mon mari travaille dans le monde de la haute finance, où certaines des personnes les plus fortunées ont gagné des millions, et parfois même des milliards. Malheureusement, elles ressentent rarement une satisfaction de leur richesse. Les millionnaires se plaignent des dépenses liées à la possession d’une résidence secondaire. Un homme disposant de dizaines de millions, propriétaire de plusieurs maisons dans le monde et d’un jet privé, a évoqué avec mélancolie un collègue qui avait construit sa propre piste d’atterrissage pour rejoindre plus efficacement sa propriété dans une île. Cet homme, à son tour, s’est lamenté de sa piste d’atterrissage par rapport à celui qui possédait une île privée. Alors, où cela s’arrête-t-il ?

Cela s’arrête avec Jacob. Dans la lecture de la Torah de Vayichla’h, Jacob est prêt à rencontrer son frère Ésaü après des années d’éloignement depuis que Jacob a reçu la bénédiction de leur père Isaac. Jacob sait qu’Ésaü s’approche avec 400 hommes, mais ses intentions ne sont pas claires. Vient-il pour se venger ou pour se réconcilier ? Après qu’il se soit préparé à toutes les éventualités par un plan de fuite, par la prière et par des cadeaux d’apaisement, les frères se retrouvent face à face. Au grand soulagement de Jacob, les retrouvailles sont paisibles.

Ésaü refuse poliment les généreux cadeaux de Jacob : « J’ai rav-beaucoup », lui dit-il. Jacob l’implore d’accepter, car « J’ai kol-tout », dit-il. Étonnamment, un univers entier existe entre ces deux mots hébreux monosyllabiques ! Rachi, le plus grand commentateur de la Torah, nous dit que le rav d’Ésaü est porteur d’arrogance. En déclarant qu’il a beaucoup, il exprime qu’il a plus que ce dont il aura jamais besoin. Les cadeaux de Jacob ne seront qu’une acquisition matérielle supplémentaire dans ses coffres déjà débordants.

Jacob a tout, tout ce dont il a besoin. Même en offrant ce cadeau très généreux à son frère, il possède tout – il ne mesure pas sa valeur à l’aune des biens matériels. Il considère sa richesse comme un moyen de poursuivre son travail spirituel, en renforçant ses liens et ceux de sa famille entre eux et avec D.ieu.

Aucune richesse ne peut garantir un sentiment de satisfaction dans la vie.

La richesse matérielle d’Ésaü semble avoir interféré avec ce qui compte vraiment dans la vie. Rachi fait remarquer que Jacob et sa famille, qui sont au nombre de 70 au début de l’Exode, sont désignés comme une seule âme, nefech. La famille d’Ésaü, bien qu’elle ne compte que six membres, est désignée plus loin dans la lecture de la Torah par le mot désignant plusieurs âmes, nefachot (Béréchit 46,26). L’argent ne peut pas compenser la désunion familiale. De fait, la maison de Jacob connaîtra plus tard des conflits à cause d’un déséquilibre d’ordre matériel entre les frères causé par la tunique multicolore de Joseph.

Aucune richesse ne peut garantir un sentiment de satisfaction dans la vie. Les couvertures des journaux à sensation alignés à la caisse des supermarchés en attestent quotidiennement. En fait, comme la petite fille en visite d’Israël peut en témoigner, tout le monde a la possibilité d’atteindre le sentiment de « kol-tout » de Jacob. Comme le disent les Sages : « Qui est riche ? Celui qui est heureux avec ce qu’il a. »