Toledot – Isaac, Jacob et Ésaü
La sixième section du Livre de la Genèse relate l’histoire (toledot, en hébreu) d’Isaac et la naissance de ses fils, Jacob le juste et Ésaü le méchant. La narration suit alors Isaac dans le pays des Philistins, s’arrêtant sur son étrange projet de creuser des puits. Peu après, Rébecca dupe Isaac en lui faisant accorder ses bénédictions – et ainsi la vocation future du peuple juif – à Jacob plutôt qu’à son véritable premier-né, Ésaü. Après avoir réalisé que Rébecca était dans le vrai, Isaac envoie Jacob à Aram afin qu’il épouse la fille de l’un de ses parents.
Bien qu’Isaac soit l’héritier et le successeur d’Abraham, la Torah le présente comme l’antithèse de tout ce que nous savons d’Abraham. Nous ne voyons en lui nul prolongement de la grande entreprise de son père d’éduquer l’humanité ; à la différence d’Abraham, Isaac ne livre aucune grande bataille, ne se rend jamais hors des frontières de la Terre sainte, et n’épouse aucune autre femme pour agrandir sa famille. Il semble s’accommoder de voir la vie se dérouler autour de lui. La seule entreprise active que la Torah relate à propos d’Isaac est qu’il creusait des puits. Est-ce là vraiment le seul accomplissement dont l’illustre héritier d’Abraham serait capable ?
D’un autre côté, la Torah ne fait état d’aucune forme de réprobation devant l’apparente passivité d’Isaac. Il semble être tacitement admis qu’Isaac faisait ce qu’il était censé faire. Tranquillement et sans fanfare, il poursuivit l’entreprise de son père, non pas en imitant son comportement, mais en le portant à un degré supérieur.
Isaac comprit que, pour révolutionnaire que fût l’œuvre d’Abraham, de par sa nature elle était d’un effet limité. La méthode d’Abraham pour diffuser la conscience du divin consistait à la communiquer à tous afin d’atteindre la plus large audience possible, n’exigeant aucun préalable de ceux à qui il s’adressait. Comme le monde ne portait pas encore d’intérêt à ce qu’il avait à dire, stipuler des conditions aurait limité son influence. L’inconvénient de cette approche était que, ne requérant aucun travail préalable de son audience, Abraham ne produisit pas en elle un changement durable.
Cela ne diminue en rien l’immense impact de ses efforts – il influença des milliers de personnes et attira un nombre considérable de disciples. Mais ces masses étaient entièrement nourries par son inspiration, son charisme et son exemple personnel. Quand elles furent privées de sa présence et reprirent leur vie, leur enthousiasme pour ses enseignements diminua.
Isaac perçut que cette approche, qui était à l’origine de l’exceptionnel succès de son père, constituait paradoxalement la plus grande menace à sa continuation. Il comprit que, pour assurer la perpétuation du succès obtenu par son père, sa discipline à lui et sa rigueur (guevourah) devraient désormais parachever la bonté (‘hessed) de son père.
Alors que l’approche d’Abraham peut être conçue comme un vecteur descendant, portant le divin « vers le bas » jusqu’aux degrés les plus inférieurs de l’humanité, l’approche d’Isaac peut être conçue comme un vecteur ascendant qui élève les personnes afin qu’elles intègrent toujours davantage dans leur vie des niveaux supérieurs de conscience du divin.
Tel était le message qu’Isaac communiquait en creusant des puits. Contrairement au fait de remplir un fossé avec de l’eau amenée d’un autre lieu, creuser un puits consiste à révéler une source d’eau déjà existante mais seulement dissimulée sous des couches de terre. Si le message d’Abraham était : « Venez ressourcer votre esprit avec l’eau vivifiante de la conscience du divin », celui d’Isaac fut : « À présent que vous êtes ressourcés, mettez-vous en quête de votre propre source d’eau. Déblayez toute poussière et vous révélerez en vous une source de conscience du divin qui assouvira votre soif durant votre vie entière. »
Dans cette perspective, Isaac constitue un modèle parfait pour l’humanité. On le trouve méditant dans les champs, évitant les conflits sans objet avec ses voisins et toujours tourné vers l’intériorité. La perfection spirituelle qu’il atteignit rayonnait tant que, assortie de son succès matériel, elle attirait instinctivement les autres vers lui. Il n’avait pas besoin de se mettre en quête de disciples ; les disciples se mettaient en quête de lui.
C’est la raison pour laquelle cette parachah est appelée Toledot, qui signifie aussi « descendants ». Tous les personnages de premier plan de la Genèse eurent des descendants, et la Torah juge bon de les mentionner tous. Cependant, seule la chronique relatant l’œuvre accomplie par Isaac durant sa vie est intitulée Toledot, car seul Isaac incarna une approche garantissant des résultats durables, qui produisit des disciples – des « enfants » spirituels – en mesure de s’assumer eux-mêmes.1
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