‘Hayé Sarah – L’inhumation de Sarah ; le mariage d’Isaac et Rébecca

La cinquième section du Livre de la Genèse tire son nom de ses premiers mots : « La vie de Sarah» (‘Hayé Sarah en hébreu), et commence avec la mort de Sarah et son inhumation. Nous suivons ensuite le serviteur d’Abraham, Eliézer, lorsqu’il fiance la petite nièce d’Abraham, Rébecca, au fils d’Abraham, Isaac. Ce récit se poursuit par celui du mariage d’Isaac et Rébecca et des étapes finales de la vie d’Abraham : son remariage avec Agar, sa mort, et la séparation de son fils Ichmael d’avec sa famille et la mission divine de celle-ci.

Dans la mesure où ‘hayé Sarah signifie « la vie de Sarah », il s’ensuit que c’est Sarah qui est la protagoniste et le personnage central de cette paracha. À première vue, la chose interpelle, car la vie de Sarah s’est terminée à la fin de la précédente paracha, mais la paracha ‘Hayé Sarah semble mettre l’accent sur ce que sa mort comporte de définitif : Abraham doit organiser son inhumation, doit trouver pour son fils une épouse qui succède à Sarah comme matriarche de son foyer, et se marie avec Agar pour avoir une épouse qui remplace Sarah. La paracha se conclut en mentionnant la généalogie d’Ichmael, que Sarah avait expulsé de sa maison.

En réalité, cependant, les épisodes de cette paracha attestent la façon dont la vie de Sarah ne se termina pas avec sa mort. En fait, les valeurs et les idéaux qu’elle avait cultivés durant toute sa vie se perpétuèrent après sa disparition.

Abraham fut le grand initiateur de la diffusion de la conscience de Dieu dans le monde, comme nous l’avons vu. Mais pour propager le message du monothéisme et de l’éthique au sein d’un monde idolâtre et immoral, il devait porter son attention sur l’immense potentiel de l’humanité tout en fermant les yeux sur les imperfections. Abraham personnifie l’attribut de ‘hessed : donner de façon incessante et sans discrimination, et accepter chacun avec amour dans la perspective de ce qu’il peut devenir, sans considérer ce qu’il est au moment présent.

Sarah aida Abraham à diffuser son message au sein de la communauté des femmes avec le même regard non discriminatoire qui avait été le sien parmi la communauté des hommes. Cependant, quand Isaac naquit et qu’ils furent appelés à élever un enfant qui aurait la force de poursuivre leur mission divine, elle réalisa que cette universalité devrait être tempérée par un particularisme lucide. Abraham avait pu se permettre d’être inconditionnellement tolérant tant que lui et son épouse n’avaient à interagir qu’avec ceux dont ils avaient l’oreille. Mais dès lors que leur mission de promouvoir la conscience du divin devait être relayée par une famille et, en définitive, par un peuple tout entier, des mesures devaient être prises pour assurer que ce message serait transmis avec une intégrité, une orientation et une force inflexibles.

Aussi, Sarah, la mère qui avait la mission d’élever le successeur d’Abraham, entreprit de préserver la famille d’influences délétères. Dès qu’Ichmael apparut comme caractérisant une telle influence et que Agar se révéla peu disposée ou incapable de surveiller son comportement fâcheux, Sarah insista pour qu’il soit renvoyé. Abraham en fut troublé, mais Dieu régla le problème en lui enjoignant de suivre le conseil de Sarah. L’universalisme d’Abraham est de mise dans un certain contexte, mais hors de ce contexte il devient contre-productif. Une famille ou un peuple, comme tout organisme vivant, doivent être dotés de limites bien définies, faute de quoi la santé et l’intégrité de l’organisme tout entier sont compromises.

Le particularisme de Sarah constitue ainsi l’étape suivante du processus de création du peuple juif. Abraham avait initié ce processus en ranimant la conscience de Dieu dans le monde ; Sarah en assura la perpétuation en définissant les critères des relations entre les héritiers d’Abraham et le monde qu’ils avaient pour mission de guider.

Ainsi, la leçon de la paracha ‘Hayé Sarah est que l’universalisme doit agir de concert avec le particularisme. Nous sommes tous des Abraham, investis de la mission de diffuser la conscience du divin au sein du monde entier ; en tant que tels, nous devons toujours aspirer à regarder l’humanité sous le meilleur jour possible, et chaque individu, comme un enfant précieux de Dieu, qui mérite à ce titre notre amour inconditionnel et le meilleur que nous pouvons lui donner matériellement et spirituellement. Mais en même temps, nous devons tous être des Sarah, qui chérissent l’intégrité de ceux qui portent le message de Dieu et sont parfaitement conscients du fait que c’est nous que Dieu a investis de Sa mission – car c’est nous qui sommes les porteurs de ce message, et le monde est notre audience.1