44:18 Je vous tuerai, toi et ton Pharaon. Non seulement Judah n’hésita pas à s’adresser durement à Joseph, mais il lui parla d’emblée de façon sévère. Il avait conscience que, dès lors qu’il s’agit d’enjeux cruciaux, il ne convient pas de se plier à des considérations d’ordre rationnel et à la diplomatie conventionnelle, en commençant par des paroles apaisantes et n’ayant recours Dès lors que la vie d’une personne est en jeu, la diplomatie n’est plus de mise, et nos interlocuteurs doivent alors sentir que notre intervention ne comporte pas d’arrière-pensées d’ordre politique ou financier. Lorsqu’il devient clair que la cause pour laquelle nous combattons a trait à ce qui fait notre existence, elle suscite le respect et la compassion.
Les « Benjamins » d’aujourd’hui, les enfants juifs de l’époque actuelle, sont menacés par une différente sorte d’« Égypte » – celle de l’ignorance juive et de l’assimilation. Pour sauver ses Benjamins, nous ne saurions attendre que des commissions soient désignées qui s’emploieront à analyser la situation et débattront sur ce qu’il convient de faire et sur ce que cela coûtera, etc. Lorsque des existences spirituelles sont en jeu, nous devons agir immédiatement pour les sauver.
Les efforts de Judah se révélèrent fructueux au-delà de tout espoir : son adversaire présumé se révéla son plus grand allié, et Pharaon lui-même fournit les plus amples moyens d’assurer une pérennité sans compromis pour la tradition juive. Et il en sera ainsi chaque fois que nous suivrons l’exemple donné par Judah, en nous investissant avec vigueur et abnégation pour nos enfants.1
45:9 Vous hâter de remonter chez mon père. Quand Joseph réalisa que lui et son père avaient été séparés l’un de l’autre pendant exactement vingt-deux ans, il devint clair pour lui que c’était la façon dont la providence divine avait amendé le fait qu’il avait manqué à honorer ses parents durant les vingt-deux ans durant lesquels il s’était trouvé à ‘Harane.2 À présent que les vingt-deux ans s’étaient écoulés, il pressa ses frères d’amener rapidement leur père en Égypte, de sorte que le châtiment de la séparation puisse prendre fin sans le moindre retard. C’est la raison pour laquelle Joseph désigna ici Jacob comme « mon père » et non « notre père », car l’urgence d’amener Jacob en Égypte était liée au fait qu’il était le père de Joseph et que le temps de leur séparation avait pris fin.
Cela nous enseigne que, bien que la discipline et le châtiment soient parfois nécessaires,3 nous devons limiter l’usage de telles mesures au strict minimum. Au moment même où elles ne s’imposent plus, nous devons revenir de toute urgence aux voies bienveillantes et affectives.4
45:14 Au cou de son frère Benjamin. Pour quelle raison Joseph et Benjamin pleurèrent-ils l’un pour la destruction qui se produirait sur le territoire de l’autre, et non chacun sur celle qui se produirait sur son propre territoire ?
D’ordinaire, le fait de pleurer conduit à soulager la peine causée par une situation de détresse,5 mais en réalité, cela n’améliore pas la situation. Ainsi, dans la mesure où nous pouvons remédier à une situation de détresse, nous devons nous efforcer de le faire plutôt que nous soulager nous-mêmes par des larmes.
En conséquence, pour ce qui est du Sanctuaire qui serait détruit sur son propre territoire, Joseph devait se consacrer à faire tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir sa destruction. Pleurer sur elle n’aurait servi à rien. Il était en définitive impuissant à empêcher la destruction qui se produirait dans le domaine de Benjamin, puisque la destinée du territoire de Benjamin était dans ses mains à lui. Ainsi, quand Joseph eut fait tout ce qu’il pouvait pour Benjamin et vit néanmoins que les Temples seraient détruits, il en conçut une telle peine qu’il éclata en larmes. De la même façon, Benjamin pleura sur la destruction qui se produirait sur le territoire de Joseph et non sur celle qui aurait lieu sur le sien.
Au cours de notre vie, lorsque nous sommes témoins de la destruction des « temples » de nos frères, autrement dit qu’ils manquent à sanctifier leur vie personnelle et leur sphère d’influence, nous avons le devoir de les aider en les conseillant de façon bienveillante et en priant pour eux. Mais en définitive, leur destinée reste tributaire des seuls choix qu’ils font librement. À un moment, notre souci pour eux ne peut s’exprimer que par les larmes.
Mais lorsque nous voyons que notre propre « temple » est en ruines, nous ne pouvons nous permettre le luxe de nous soulager en pleurant. De fait, pleurer risque de compromettre notre travail, car cela peut nous amener à penser que nous avons accompli notre obligation morale par le seul fait que la chose nous afflige, même si cette affliction ne nous porte pas à agir.6
46:3 Ne crains pas. Dieu ne chercha pas à consoler Jacob pour son regret d’avoir à quitter la Terre sainte, car un Juif a, au contraire, le devoir de regretter de ne pas vivre dans le Pays d’Israël. En réalité, Dieu signifiait à Jacob que c’est précisément son regret de devoir partir en exil qui l’empêcherait d’en être la proie, et par là-même ce qui lui permettrait de le vaincre.
Comme c’est Dieu Lui-même qui nous a envoyés en exil, il s’ensuit qu’Il nous a pourvus de tous les outils nécessaires à affronter ses défis avec succès. Tant que l’exil se poursuit, il constitue le cadre de notre croissance et de notre épanouissement collectif. C’est en accomplissant le but de l’exil que nos ressources et notre grandeur intérieures se révèlent.
Cependant, un danger nous menace ici. Dès lors que nous réalisons que nous n’avons aucune raison d’être intimidés par l’exil et qu’il nous est bénéfique, nous pouvons nous fourvoyer en finissant par nous y habituer. La conséquence est que nous pouvons devenir vulnérables aux effets pernicieux de l’exil, et il va sans dire que nous ne pourrons dès lors plus l’ennoblir comme il se doit. En d’autres termes, même si nous n’avons pas de raison d’être effrayés par l’exil en tant que tel, nous devons en revanche redouter les conséquences de ne pas en être effrayés.
C’est pourquoi, à l’image de Jacob, nous devons constamment nourrir le regret de ne pas nous trouver dans notre lieu d’élection, le Pays d’Israël lors de la rédemption messianique. Tant que nous sommes conscients de ce que nous sommes vraiment et de l’existence que nous avons la vocation de mener, il n’y a pas de raison de craindre l’exil ; nous finirons par le vaincre.7
46:28 Il avait envoyé Judah devant lui. Jacob avait conscience que la clé de la pérennité juive est l’éducation juive. Aussi, bien que Dieu eût promis d’accompagner Jacob en Égypte, Jacob y fonda en premier lieu une institution dédiée à la Torah, et c’est ensuite seulement qu’il descendit en Égypte avec Dieu.
C’est Judah que Jacob envoya fonder une école plutôt qu’en charger Joseph ou compter sur l’école que Joseph avait fondée pour lui-même et ses enfants, car il avait conscience qu’une institution éducative de Torah doit être dirigée par une personne qui est à la fois défaite des affaires profanes et entièrement investie dans l’étude de la Torah.
De façon analogue, les Lévites, dont la vocation était de servir au Temple et étudier la Torah, ne se virent pas attribuer de territoire du Pays d’Israël, de sorte qu’ils soient entièrement affranchis des préoccupations d’ordre profane. De même, ceux qui désirent embrasser la vocation de « lévite » – érudit de la Torah ou enseignant – doivent se tenir entièrement à l’écart des affaires du monde.8
46:29–30 À présent je peux mourir. Le Zohar9 relate que, lorsque Joseph pleura contre le cou de Jacob, il pleura sur le futur Temple qui serait détruit. C’est alors que Jacob dit : « À présent je peux mourir… après avoir vu que tu es encore vivant. » On avait déjà informé Jacob de ce que Joseph était physiquement vivant, et il l’avait cru, mais il n’était cependant pas certain que Joseph était assez spirituellement vivant pour être à la tête de la communauté juive nouvellement exilée ; si tel n’était pas le cas, Jacob aurait eu à en assurer lui-même la direction.
Mais il constata alors que Joseph ne pensait ni à l’Égypte, ni à sa position de vice-roi, ni à tout autre enjeu terrestre, mais au destin tragique d’un Temple juif appelé à voir le jour dans un futur lointain. Et ce futur Temple, Joseph ne faisait pas qu’y penser ; il l’avait tant à cœur qu’il éclata en sanglots.
C’est à ce moment-là que Jacob dit : « À présent, je peux mourir. Je n’ai plus besoin de conduire le peuple juif. Joseph, en dépit d’avoir vécu en terre étrangère, est parfaitement capable d’assumer cette tâche tout comme je l’aurais moi-même accomplie. »10
47:10 Pour que le Nil déborde. Les Égyptiens voyaient le Nil comme la source de leur subsistance et l’adoraient comme divinité. En bénissant Pharaon pour que le Nil déborde chaque fois qu’il les Égyptiens vouaient au fleuve, en montrant qu’il obéissait à la volonté de Dieu en réagissant conformément à la bénédiction de Jacob.
Pharaon lui-même fut cependant le dernier des ingrats. Au lieu de remercier Dieu pour sa bénédiction, il mit celle-ci au crédit de ses propres pouvoirs en affirmant qu’il avait lui-même créé le Nil et qu’ainsi il exerçait un pouvoir sur lui.11
47:12 Joseph entretint. Joseph nous enseigna à rendre le bien pour le mal, tout comme il le fit avec ses frères en assurant leur survie pour le restant de ses jours.
Joseph fut en mesure de pardonner à ses frères parce qu’il comprenait la nature du mal humain. Comme nous l’avons vu, l’acte de vilenie que ses frères commirent en vendant Joseph en esclave servit le projet de Dieu qu’il finisse par devenir vice-roi d’Égypte. Joseph considéra la conséquence heureuse des agissements de ses frères plutôt que l’essence pernicieuse de leur motivation.
De façon analogue, nous demandons à Dieu de « nous conduire [nous, peuple de] Joseph, comme un troupeau »12 et de nous traiter comme Joseph traita ses frères, en percevant nos mauvaises actions comme étant en définitive pour le bien et en y répondant par la bienveillance.
Pour « inspirer » Dieu à considérer nos mauvaises actions comme bonnes en définitive, nous devons au préalable faire de même en ce qui nous concerne, en faisant d’elles l’occasion d’une amélioration personnelle. La mauvaise action qui suscite le repentir est transformée en acte méritoire, lequel sert rétrospectivement un but louable.
Nous exercer à voir les mauvaises actions de nos semblables comme des actes méritoires potentiels, c’est favoriser notre aptitude à transformer nos propres mauvaises actions en actes méritoires. Dieu agit de même envers nous, en rétribuant nos offenses passées par des bénédictions.13
47:27 Gochen. Selon le Midrach, Gochen était en fait la propriété du peuple juif, puisque Pharaon l’avait attribuée à Sarah.14 Néanmoins, leur séjour dans ce qui était leur propriété, la « meilleure région » de l’Égypte,15 fut considéré comme une partie de leur exil et de leur servitude prédestinée.
Le propos de l’exil était d’ennoblir le peuple juif en le mettant à l’épreuve du « creuset de fer »16 de l’esclavage égyptien. Cela le préparerait à recevoir la Torah au mont Sinaï.
Avant que Joseph et ses frères ne meurent, le peuple juif fut mis à l’épreuve de ce « creuset » à travers l’intense « labeur » intellectuel de l’étude de la Torah17 et la douleur de la nostalgie de la Terre sainte. Cependant, dès que Joseph et ses frères moururent, la conscience spirituelle du peuple se détériora : il ne se consacra plus à l’étude de la Torah avec dévouement, et se complut dans ce nouveau pays.18 Il manqua à faire usage du pays de choix qu’était Gochen pour y mener une existence sanctifiée, et son abondance matérielle le rendit moralement fruste.19
C’est à ce moment-là que l’asservissement à l’Égypte commença réellement, dans la mesure où le peuple ne remplit plus son obligation de vivre l’exil à travers un labeur intellectuel et la nostalgie de la Terre sainte.20
Commencez une discussion