Vayigach – Jacob et Joseph réunis

Dans la onzième section du Livre de la Genèse, nous atteignons le point culminant et critique de la chronique de Joseph. Il commence au moment où Judah s’approche (vayigach : « et il s’approcha » en hébreu) de Joseph pour défendre Benjamin. L’intention de Judah de sauver Benjamin convainc Joseph que ses frères se sont repentis. Aussi, il met un terme à sa mascarade et leur révèle sa véritable identité. Joseph envoie immédiatement ses frères chercher leur père Jacob pour le faire venir en Égypte, où la famille s’établira pour survivre pendant la famine. De façon ironique, la famine prend fin dès l’arrivée de Jacob, mais la famille demeure en Égypte pour accomplir le plan de D.ieu selon la promesse faite à Abraham. Jacob peut enfin envisager de consacrer le reste de ses jours à préparer sa famille à sa destinée – devenir la nation digne de recevoir la Torah, l’outil qui sera le sien pour faire du monde une demeure pour D.ieu.

Un autre malentendu sous-jacent mais significatif se trouve également résolu dans cette parachah : le conflit idéologique entre Joseph, d’un côté, et ses frères (conduits par Judah), de l’autre.

Le nœud du conflit entre Joseph et Judah consistait en l’approche la mieux indiquée pour servir la cause de la diffusion de la conscience du divin. Joseph prônait de s’investir énergiquement dans la société, en faisant usage de ses institutions, de sa culture et de sa technologie, dans le cadre de projets sanctifiés. Ses frères, conduits par Judah, préféraient s’abstraire du monde et de ses tentations, choisissant de se consacrer à progresser dans leur propre sainteté, et finir ainsi par inspirer leurs semblables à les rejoindre et à prendre exemple sur eux. Les options distinctes de Joseph et de ses frères se reflétèrent dans leurs occupations respectives : tandis que Joseph devint un homme d’État intensément investi dans les domaines matériels, ses frères devinrent des bergers, ne se mêlant guère à la société et mettant ainsi amplement à profit leur temps pour méditer et communier avec D.ieu.

Bien que ces deux approches possèdent chacune leurs avantages, Jacob préféra clairement celle de Joseph, comme nous l’avons vu. Cependant, même si Jacob avait raison de reconnaître que l’approche de Joseph était plus vitale pour gagner le combat contre l’antagonisme du monde envers le divin, l’approche de Judah est tout aussi essentielle, et elle est en fait complémentaire à celle de Joseph.

L’inconvénient de l’approche de Joseph et qu’elle ouvre la voie à la vanité. Quel que soit le degré de notre dévouement à D.ieu et à la réalisation de la mission qu’Il nous a confiée, le fait que nous devions faire usage de notre propre créativité, de notre savoir-faire et de notre initiative pour faire aboutir nos projets peut nous rendre imbus de nous-mêmes. En dehors de son effet intrinsèquement néfaste sur notre épanouissement spirituel, cette autosatisfaction contrarie nos chances d’aboutir à diffuser la conscience du divin, car la plus subtile émergence de l’ego nous empêche de l’éradiquer. Telle est la raison d’ordre spirituel, comme nous le verrons, pour laquelle Joseph ne fut pas en mesure de s’approprier les terres des prêtres lorsqu’il acquit la propriété du royaume entier d’Égypte.1

Judah, en revanche, incarnait l’aspiration désintéressée à se pénétrer de la présence de D.ieu. Lorsque nous faisons nôtre cette attitude, nos interactions avec le monde sont empreintes d’abnégation – le dévouement à la volonté de D.ieu défait d’arrière-pensées ayant trait à l’autoglorification ou aux retombées d’ordre personnel. La synthèse de l’abnégation de Judah et de l’intrépidité de Joseph nous permet de mettre en œuvre les aptitudes accordées par D.ieu sans devenir pour autant la proie de l’autosatisfaction.

Telle est la raison pour laquelle cette parachah est appelée Vayigach (« et il s’approcha »), pour désigner la façon dont Judah s’approcha de Joseph. Pour garantir le succès de notre mission, nous, en tant que qu’émules de Joseph, devons nous autoriser à être approchés et complémentés par Judah.

La raison pour laquelle Jacob privilégia Joseph et ses qualités sur Judah et les siennes fut que les qualités de Joseph fourniraient au peuple juif les aptitudes qui lui seraient nécessaires pour survivre, s’épanouir et accomplir sa vocation durant son long parcours vers le futur messianique. Cependant, lorsque ce but ultime sera atteint, il ne sera plus nécessaire de donner la prééminence à Joseph et à son approche, car le désintéressement de Judah sera alors devenu notre conscience prédominante. C’est la raison pour laquelle Judah est l’ancêtre direct du Messie – c’est tout particulièrement la qualité du désintéressement qui est appelée à nous faire quitter la mentalité de l’exil pour nous pénétrer de celle de la rédemption.2