Dans cette Paracha, quand D.ieu demande à Moïse d’entreprendre la mission de libérer les Enfants d’Israël du joug égyptien, Moïse répond : « Envoie, de grâce, celui que Tu enverras. » Le Midrash interprète cela comme une prière de Moïse pour que le Machia’h (Messie) soit envoyé à sa place. Quel est le rapport entre Moïse et le Machia’h, entre le rédempteur passé et le rédempteur futur ? Et quelle différence y a-t-il entre eux, qui fit que chacun fut chargé d’une mission différente ? Le Rabbi répond à ces questions et explique leur signification dans la vie individuelle du Juif.

1. Les deux rédempteurs

Après que D.ieu eut, à plusieurs reprises, demandé à Moïse de retourner en Égypte et de libérer le peuple juif de sa captivité, Moïse finit par dire : « Envoie, de grâce, celui que Tu enverras. »1 Le Midrash2 interprète ce verset de la façon suivante : « [Moïse] dit devant Lui : “Maître de l’Univers, envoie, de grâce, celui que Tu enverras”, envoie le Machia’h qui sera le rédempteur futur. » Mais cette requête de Moïse ne fut pas accordée, car c’était par lui, et non par un autre, que D.ieu voulait délivrer Israël de l’esclavage en Égypte.

On peut déduire du Midrash qu’il existe un rapport particulier entre Moïse et le Machia’h, et que c’est pour cette raison que le premier voulait que le second fût envoyé en Égypte. Néanmoins, la rédemption du joug égyptien était la tâche de Moïse, la mission du Machia’h étant celle de l’exil final.

Leur similarité (en vertu de laquelle des tâches similaires leur furent confiées : la rédemption de l’exil) est exprimée par l’affirmation de nos Sages selon laquelle : « Moïse fut le premier rédempteur et sera le dernier rédempteur. »3 Cela ne signifie pas que Moïse en personne sera le Machia’h (car il était un Lévite alors que le Machia’h, qui sera un descendant de David,4 appartiendra à la tribu de Judah), mais que le pouvoir rédempteur du Machia’h sera issu de Moïse.

La raison en est que la vertu primordiale du Machia’h sera la Torah (selon Maïmonide,5 il y sera parfaitement versé). C’est d’elle que proviendra son pouvoir rédempteur. Or, la Torah est appelée « la Torah de Moïse ».6 De même, le pouvoir d’Israël de faire venir le Machia’h découle du service de D.ieu articulé dans la Torah.

Ce rapport profond entre Moïse et le Machia’h apparaît en allusion dans le verset : « Et le sceptre ne quittera pas Judah... jusqu’à ce que Chilo vienne (ad ki yavo Chilo). »7 Cela est considéré être une référence au Machia’h, car les mots yavo Chilo (« que Chilo vienne ») et « Machia’h » sont numériquement équivalents.8 La même équivalence existe aussi entre les mots « Chilo » et « Moché » (Moïse), de sorte que la venue du Machia’h se trouve reliée à Moïse. De plus, yavo (« que vienne ») a la même valeur numérique que é’had (« un »). Nous avons ainsi cette équivalence : « Machia’h = Moïse + Un », signifiant que le Machia’h sera amené par le service de D.ieu relevant de l’Unicité ; et le pouvoir de réaliser cela est transmis par l’intermédiaire de Moïse.9

2. La descente dans le but de la montée

Comment devons-nous comprendre cela ?

Nos Sages ont dit : Quand le monde fut créé, tout était dans un état de perfection.10 Mais après le péché de l’Arbre de la Connaissance, quand le serpent souilla Ève d’impureté,11 l’homme et le monde déchurent de cette perfection, jusqu’au Don de la Torah ; car lorsqu’Israël fut au mont Sinaï, « l’esprit d’impureté » disparut.12 Mais celui-ci revint avec le péché du Veau d’or,13 et il demeurera dans le monde jusqu’à l’Ère messianique quand la promesse sera réalisée de retirer (c’est-à-dire d’éliminer totalement) l’impureté14 ; et le monde sera enfin purifié.

C’est un principe général du judaïsme que chaque déchéance se produit pour donner lieu à une montée15 ; et cette montée mène plus haut que le niveau qui précédait la chute. L’état introduit par le Don de la Torah fut donc plus élevé que celui qui précéda le péché d’Ève. Il s’ensuit que l’Ère messianique sera supérieure au temps du Don de la Torah.

Un double mouvement donnera lieu à la réalisation de ces niveaux d’élévation jamais encore atteints : une descente de la lumière (révélation, pouvoir spirituel) de sa source dans l’Infini, et une élévation correspondante d’Israël et du monde.

Nous trouvons cela dans le Don de la Torah. Même si la capacité d’accomplir les commandements divins l’avait précédé (Adam avait six commandements, Noé, sept, et des commandements supplémentaires furent prescrits à Abraham, Isaac et Jacob,16 et « les Patriarches observèrent la Torah entière avant qu’elle fût donnée »17), non seulement une force plus grande fut dispensée au temps du Don de la Torah, mais un pouvoir nouveau, différent de tous ceux qui avaient existé auparavant, fut donné aux Enfants d’Israël quand une relation basée sur le choix de D.ieu s’établit entre eux et D.ieu (« et Tu nous as choisis »),18. C’était une révélation de l’essence de D.ieu, quelque chose qui n’avait jamais été manifesté auparavant.

De même, l’élévation d’Israël et du monde fut sans précédent quant à la profondeur et l’intensité de sa purification. C’est pourquoi la déchéance qui suivit le péché du Veau d’or fut de moindre amplitude. Ainsi, que ses effets (la présence de l’impureté) demeurent visibles aujourd’hui, les effets du Don de la Torah restent manifestes.

3. L’ère messianique

De la même manière, l’élévation qui caractérisera l’Ère messianique – quand le Messie enseignera sa Torah à tout Israël19 – sera plus importante que celle du Don de la Torah,20 et ce, de deux façons :

1) Dans la révélation divine. Car, bien qu’au Sinaï elle fût si intense que les Israélites purent la percevoir au moyen de leurs sens physiques, elle fut seulement « à l’image » de la révélation messianique21 (quand « la Gloire de D.ieu sera révélée »22), et non pas égale à elle.

2) Dans l’élévation d’Israël. Bien qu’au Sinaï l’esprit d’impureté disparut lors du don de la Torah, il demeura en potentiel et réapparut lors du péché du Veau d’or. En revanche, aux temps messianiques, il sera détruit et consumé à jamais. La nature essentielle du monde sera elle-même transformée, et non seulement temporairement modifiée par une intervention divine.

4. La tâche de l’exil

Dans la mesure où chaque élévation doit être précédée d’une chute, celle-ci est une préparation nécessaire pour elle. C’est le service divin du temps de la chute (tant que ses effets persistent) qui produit l’élévation. Le service des Patriarches et la catharsis du « creuset de fer »23 de l’Égypte ont été cause du Don de la Torah. Et de même, le Machia’h sera amené par notre service continu en exil, visant à purifier toute l’essence du monde.24

5. La signification de « un »

Ceci peut être compris si l’on résout d’abord une difficulté bien connue25 au sujet du Chéma. Pourquoi y est-il dit : « l’Éternel est Un », et non « l’Éternel est unique » ? Car « un » est l’attribut d’une chose susceptible d’être comptée, compatible avec l’idée d’une seconde chose. Tandis qu’« unique » interdit toute possibilité de second.

En voici l’explication : la véritable unicité de D.ieu n’est pas perçue en simplement niant dès l’abord l’existence de quelque chose à part Lui (attitude niant le monde), mais plutôt en percevant du milieu du monde physique que celui-ci n’a pas d’existence en soi, en ressentant dans le contexte de l’existence matérielle que celle-ci fait un (est unie) avec D.ieu.

Le mot « un » lui-même suggère cela. Ses lettres en hébreu (é’had : alef, ‘het, dalet) ont respectivement pour valeurs numériques 1, 8 et 4. Le 8 symbolise les sept cieux et la terre ; et 4, les quatre directions. Toutes sont des émanations de 1 (alef), la source et le Maître (Alouf) du monde.26 En d’autres termes, la perception de l’unicité ne doit pas être seulement spirituelle, mais elle doit imprégner toute notre perception du monde physique et se réaliser en lui.

6. La Torah et la transformation du monde

Mais comment se peut-il que ce monde, dont la nature est (et dont le nom en hébreu signifie) « l’occultation »27 de la Divinité, soit réceptif à une révélation en son sein du Alouf (Maître, Un) de l’Univers ?

C’est dans ce but – faire du monde une demeure adéquate pour D.ieu – que la Torah et les commandements furent donnés à Israël.

Non seulement ils lui furent donnés au Sinaï pour que, par leur intermédiaire, le monde fût purifié et affiné, mais la révélation qui les accompagnait transmit le pouvoir permettant la réalisation de ce but.

Au moment du Don de la Torah, le monde entier fut annulé devant cette révélation – même « les oiseaux avaient cessé de chanter et le silence emplissait la terre »28 –, mais c’était là une force venue d’En-Haut plutôt que de l’intérieur (ce ne fut donc pas un état permanent).

Mais de cela découla la capacité du monde de s’affiner lui-même, et partant, de devenir un réceptacle approprié pour une révélation encore plus haute.

7. Moïse et le Machia’h

Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi le Machia’h = Moïse + Un. Car le Machia’h sera amené par le service qui rend l’Unicité manifeste, et le pouvoir de le faire fut donné à travers Moïse.

D’où le rapport profond entre Moïse et le Machia’h : ce dernier sera amené par les forces transmises à travers le premier. D’où aussi leur différence : l’exil et la libération d’Égypte ont rendu possible le Don de la Torah,29 dans le but de donner à Israël le pouvoir de se purifier et de purifier le monde. La tâche du Machia’h est de compléter ce processus et de donner lieu au service divin qui le suivra, quand le monde aura atteint sa pleine pureté.

8. L’« unicité » et l’individu

L’homme est un microcosme du monde.30 Et ce processus cosmique trouve son écho en chaque homme, en tout temps : quand il accomplit son service jusqu’au soir, puis qu’il confie son âme à D.ieu la nuit, et que le jour suivant il est un nouvel homme,31 et qu’il entame un nouveau service.

Le service du jour commence avec la prière et la Torah. Par elles, l’homme reçoit la force de servir D.ieu (l’esprit divin est diffusé dans tout son être par la prière) et de vaincre l’inclination au mal (par le moyen de la Torah qui l’instruit sur la manière correcte d’agir). Alors, il est capable d’accomplir son service dans le monde pratique (au point où, comme le dit Maïmonide,3232, « sa sagesse est manifeste quand il mange et quand il boit »). Son existence matérielle (le ‘het et dalet d’é’had) est subordonnée à sa sagesse divine (alef) ; une reconnaissance de l’Unicité imprègne ses actions physiques.

Puis, quand son jour de service est achevé, il établit un bilan spirituel de ses actions de la journée et réaligne sa vie avec la volonté divine. Il dit : « En Tes mains je confie mon âme... D.ieu de Vérité », et la Vérité elle-même est l’Unicité. Car le mot hébraïque pour « vérité » est émeth, qui s’écrit avec la première lettre, la lettre du milieu et la dernière lettre de l’Alef-beth,33 nous rappelant que D.ieu est celui qui a dit : « Je suis le Premier et Je suis le Dernier, et en dehors de Moi, il n’y a pas de dieu. »34 Il n’est pas de réalité qui n’émane de Lui, car lorsque le alef (le Un) est retiré d’émeth, le mot devient meth, « mort », l’absence de vie.35

De même que la Torah (par l’intermédiaire de Moïse) donne au monde le pouvoir de faire venir le Machia’h, ainsi donne-t-elle à chaque individu le pouvoir d’ennoblir sa propre vie, son propre environnement et, ainsi, de hâter la venue de l’ère messianique.36

(Source : Likoutei Si'hot, vol. 11, p. 8-13)