Ce fut la transformation historique la plus dramatique, et seulement deux personnes s’en sont aperçues. (Ok, peut-être quatre.) Ève mordit dans le Fruit de la Connaissance et toute l’humanité en fut changée à jamais.

Difficile d’imaginer que le simple fait de manger un fruit puisse avoir de telles répercussions. Mais D.ieu était très soucieux de protéger cet Arbre de la Connaissance, avertissant Adam, l’autre moitié d’Ève, qu’il pouvait manger de n’importe quel autre arbre du jardin, mais certainement pas de celui-là. D.ieu leur dit même qu’ils mourraient s’ils en mangeaient. Voilà une bonne raison de s’en abstenir.

Mais le serpent persuada Ève que ce n’était pas tant le danger mortel qui inquiétait D.ieu, mais plutôt le développement mental que la consommation de ce fruit entraînerait. Ce fruit allait leur faire acquérir une toute nouvelle perspective de la vie, dit-il, et même les élever au rang des anges. Il semble que ce fut cette évolution cognitive, cette conscience élargie, qu’Ève recherchait lorsqu’elle décida de prendre le risque. Elle mangea le fruit, puis partit le partager avec Adam.

Ève mordit dans le Fruit de la Connaissance, et toute l’humanité en fut changée à jamais

Et qu’arriva-t-il ensuite ? Ils ne moururent pas (même s’ils devinrent alors mortels). D.ieu semblait particulièrement déçu d’eux. Il les expulsa du Jardin d’Éden, ne permettant plus jamais à quiconque d’y pénétrer. Mais connurent-ils le changement psychologique que le serpent avait promis ? Était-ce du bluff, ou bien le jeu en valait-il la chandelle ?

La Torah fait effectivement mention d’un changement, un seul : immédiatement après avoir mangé le fruit, et avant même que D.ieu les mette face à leur responsabilité, la Torah nous dit qu’« Adam et Ève surent qu’ils étaient nus, et ils cousirent des feuilles de figuier... » (Genèse 3,7). C’est, autant que nous sachions, le seul changement intérieur qu’ils connurent. Leur seule expérience révélatrice fut la connaissance de leur nudité et la honte qu’ils en conçurent et qui les conduisit à se couvrir avec des vêtements de fortune.

Comparez cela à la seule description qui est donnée d’Adam et Ève avant qu’ils n’aient pris cette bouchée fatidique du Fruit de la Connaissance : « Adam et Ève étaient nus, et ils n’avaient pas honte » (Genèse 2,25). C’est tout ce que la Torah nous dit à leur sujet. Elle ne parle ni de leur vision de leur nouvel univers, ni de leur relation l’un avec l’autre. Le seul aperçu que nous ayons de leur personnalité est qu’ils étaient nus, sans que cela les dérange trop apparemment. Ils ne l’avaient même pas remarqué. Et la honte surgit instantanément dès qu’ils mangèrent de ce fruit miraculeux.

La conclusion logique, quoique choquante, de toute cette histoire, est qu’être nu est l’idéal, et que la honte (à laquelle remédie le port des vêtements) est une conséquence de leur erreur. Mais alors... s’ils n’avaient pas commis d’erreur, est-ce que nous vivrions nus aujourd’hui ? La pudeur, une qualité qui tient une place si importante dans les enseignements juifs, est-elle une vertu purement empirique ?

Revenons à leur nudité originelle : « Ils étaient nus et ils n’avaient pas honte. » Rachi nous dit que ce n’est pas là un détail quelconque, mais un élément fondamental de la saga. Ils n’étaient pas seulement nus, explique Rachi, citant le Talmud. Ils avaient une relation charnelle, et ils n’étaient pas pudiques. Ils ne cherchèrent pas un espace isolé et ombragé pour être ensemble ; ils étaient nus, intimes et n’en étaient pas gênés. Et c’est seulement après qu’ils aient péché qu’un déclic se fit en eux et qu’ils prirent conscience de la nécessité de la pudeur dans l’habillement et dans les relations sexuelles.

Rabbi Obadia Sforno, un sage de la Torah italien du 16ème siècle, explique cette étrange nudité. Pourquoi la Torah nous en parle-t-elle ? Parce que cela nous permet de comprendre la façon dont ils considéraient leurs corps. « Toutes leurs actions et tous leurs membres étaient exclusivement consacrés au service de leur Créateur et non pour leur plaisir personnel, écrit-il, au point que la relation charnelle était pour eux similaire à manger et à boire, et qu’ils considéraient leurs organes génitaux de la même façon qu’ils considéraient leurs bouches, leurs visages et leurs mains. » Toutes les parties de leur corps et toutes leurs fonctions corporelles étaient égales, semblablement désincarnées et spirituelles.

Ils étaient nus, intimes et n’en étaient pas gênés

Et toute cette égalité s’écroula lorsqu’ils ingérèrent le Fruit de la Connaissance. Pour la première fois, ils considérèrent leur sexualité comme quelque chose d’agréable pour eux-mêmes et leur corps comme agréable pour autrui. Ils avaient honte, car c’est embarrassant d’être égoïste et vain. Personne ne veut être pris en train de se regarder dans le miroir. Et ils se couvrirent, parce que quand on a quelque chose que les autres veulent, on doit le protéger. Ainsi, le serpent avait raison. Ils subirent bien un changement cognitif. Ils furent soudain capables de se considérer comme indépendants de D.ieu. Pour la première fois, ils étaient conscients d’eux-mêmes.

Il y a une autre raison pour laquelle ils se couvrirent. Après avoir mangé le fruit, leur perception l’un de l’autre devint beaucoup plus visuelle. Le corps devint si attrayant qu’il était désormais difficile de voir au-delà. Avant qu’ils aient mangé, le corps et l’âme constituaient ensemble un tout organique. L’intimité physique et la liaison spirituelle étaient une seule chose. La Torah décrit leur union en disant : « Adam connut Ève, et elle tomba enceinte » (Genèse 4,1). Adam comprit qui était Ève à travers la relation charnelle. Mais cela ne se produit plus naturellement. De nos jours, les relations intimes informelles peuvent sérieusement entraver le processus d’apprendre à connaître quelqu’un.

Bien que le corps humain soit intensément saint et divin, dans l’ère post-Fruit de la Connaissance il peut devenir vulnérable à des énergies parasites qui utilisent sa sainteté innée à d’autres fins. Dans ce mirage, le corps devient le plus grand rival de l’âme. Il peut accaparer l’attention au point où une véritable relation avec la personne à l’intérieur du corps ne semble plus si intéressante. C’est le corps en tant qu’objet qui est désiré, non plus la personne qu’il renferme. Il arrive que plus on voit le corps d’une personne et moins on la connaît. C’est pourquoi les gens s’habillent naturellement de façon plus conservatrice pour des entretiens d’embauche. Ils ne voudraient pas que les employeurs s’imaginent, à D.ieu ne plaise, qu’ils cherchent à attirer l’attention sur leur corps. Ils veulent qu’on reconnaisse leur intelligence.

Les médias ont parfaitement capitalisé sur le schisme post-Fruit de la Connaissance. Si le corps est à ce point troublant, faites tout votre possible pour troubler ! Attirez l’attention sur vous-même. Soyez séduisante. C’est la clé du succès. Si j’ai quelque chose que les autres veulent, alors j’ai le pouvoir. Et c’est spécialement vrai pour nous les femmes. Mais il n’y a rien de personnel dans toute cette attention. Au contraire, cela empêche de connaître véritablement quelqu’un.

Si j’ai quelque chose que les autres veulent, alors j’ai le pouvoir

Alors, comment s’en sortir dans ce chaos, dans cette rivalité du corps et de l’âme ? Cela ne devrait pas être ainsi. Après tout, c’est D.ieu qui a créé notre corps. À Son image ! Adam et Ève ont trouvé une solution : ils se sont habillé. Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi (Torah Or sur Béréchit) explique que leur habillement joua un rôle intéressant dans la réparation de la relation entre le corps et l’âme et, ce faisant, nous donna une toute nouvelle façon de nous connecter à D.ieu.

Dans l’ère qui précéda le Fruit de la Connaissance, D.ieu avait donné à Adam et Ève un corps et une âme qui travaillaient ensemble en parfaite harmonie. Nous étions la création de D.ieu, une manifestation de Sa lumière infinie. Mais tout cela changea rapidement. Après le Fruit de la Connaissance, nous avions encore une âme rayonnante, mais aussi un corps qui bloquait et détournait la lumière de l’âme. Vint ensuite le moment que ce nouvel être conscient de soi exprime de façon proactive son identité profonde. L’habillement devint le nouvel instrument de l’expression de soi et, lorsqu’ils sont utilisés de manière efficace et créative, les vêtements peuvent de nouveau fusionner les identités du corps et de l’âme.

Une tenue peut dire : « Je n’ai pas besoin que vous soyez visuellement stimulé par mon corps, parce que je suis trop digne pour cela. J’ai une personnalité fascinante, et une âme infiniment précieuse. » Et cela, dit Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, produit une lumière réfléchie dans laquelle nous devenons partenaires de D.ieu pour mettre à profit cette âme dont Il nous a gratifié. Il nous a donné une âme, mais nous la faisons rayonner plus loin encore qu’Il ne l’avait initialement prévu.

Grâce à notre habillement modeste, nous permettons à notre âme de resplendir et d’illuminer ce bas monde. Et c’est une lumière plus brillante encore que celle du Jardin d’Éden.