Dans la chronique de la Création, un détail nous frappe avec la force du mystère : pourquoi la lumière fut-elle créée avant toute chose, alors qu’il n’y avait aucun profit à en tirer ? La déclaration de nos Sages au sujet de cette lumière ne fait qu’ajouter au mystère, car ils nous disent qu’elle fut immédiatement « cachée et gardée pour les justes dans le monde futur ». Dans ce discours, le Rabbi explique la difficulté, et élucide les implications du récit de la Création pour l’individu et la conduite de sa vie.

1. La première création

Et l’Éternel dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. »1 C’est la première des dix expressions formulées par D.ieu par lesquelles Il créa le monde, et la lumière fut la première de toutes les créations.

Mais pourquoi en fut-il ainsi ? Car la lumière n’a pas de valeur en elle-même. Son utilité dépend de l’existence des autres choses éclairées par elle, ou qui profitent d’elle. Alors pourquoi la lumière fut-elle créée quand rien d’autre n’existait ?

On ne saurait dire que c’étaient simplement des préparatifs pour ce qui allait être créé par la suite (de la même manière que le Talmud dit que l’homme fut créé en dernier « afin que tout fût prêt pour lui »2 ). Car s’il en était ainsi, la lumière aurait dû être créée juste avant les animaux (qui peuvent distinguer la lumière de l’obscurité) ou au plus tôt, juste avant les plantes (qui poussent avec son aide), le troisième jour de la Création.

2. La lumière cachée

Nos Sages déclarent que « la lumière créée le premier jour fut cachée et gardée pour les justes dans le monde futur ».3 Mais c’est là un paradoxe. Puisque le seul but de la lumière est d’éclairer, pourquoi fallait-il la cacher aussitôt après sa création ? N’était-ce pas nier sa raison d’être même ? Et bien que nos Sages aient expliqué les raisons pour lesquelles la lumière devait être cachée, il nous reste à comprendre pourquoi D.ieu, prévoyant cela, l’a néanmoins créée.

Un autre commentaire qui nécessite d’être expliqué est celui du Zohar,4 qui remarque que les mots hébraïques pour lumière (אור) et secret (רז) sont numériquement équivalents.5 Or, quand deux choses ont la même valeur numérique, c’est là un signe qu’elles sont reliées l’une à l’autre (car, les choses ayant été créées au moyen de permutations de lettres du Verbe divin, deux choses dont les noms sont formés de lettres de même valeur, partagent une forme commune essentielle). Mais là aussi nous sommes en présence d’un paradoxe : la lumière est, de par son essence, une chose révélée ; et un secret est nécessairement caché. Dès lors, comment deux contraires peuvent-ils partager une forme commune ?

3. L’architecture de l’univers

Pour résoudre ces difficultés, nous devons considérer une remarque faite par le Midrach6 : « De même qu’un roi désirant construire un palais ne le fait que d’après un plan architectural, ainsi D.ieu Se pencha sur la Torah et créa le monde. »

En d’autres termes, en examinant l’ordre dans lequel un homme entreprend de réaliser un projet qui requiert des plans et une réflexion préalable, nous pouvons apprendre quelque chose sur l’ordre dans lequel D.ieu a fait venir le monde à l’existence.

D’abord, cet homme fixe le but à atteindre. Ce n’est qu’ensuite qu’il commence le travail proprement dit.

Ce fut aussi la manière adoptée par D.ieu. Et le but du monde qu’il était sur le point de créer (un lieu où la lumière divine serait cachée7 sous l’épais manteau de l’existence matérielle) fut qu’il devait être purifié et la lumière originelle de D.ieu restaurée. Il désira avoir « une demeure dans le monde inférieur »,8 exprimant par là Sa volonté que Sa dissimulation (l’obscurité) soit transformée en une présence révélée (la lumière).

La lumière étant ainsi le but de la Création, et le but étant la première chose à décider dans l’ordre des travaux à entreprendre, la lumière fut créée dès le premier jour. L’intention de toutes les créations subséquentes était contenue dans la phrase d’ouverture : « Que la lumière soit. »

4. La lumière implicite

Il y a cependant une allusion à la lumière dans chacun des jours ultérieurs de la Création. Car l’œuvre de chaque jour se terminait par la déclaration « Et D.ieu vit que c’était bien ». Or, le mot bien fait allusion à la lumière, ainsi qu’il est écrit : « Et D.ieu vit la lumière, qu’elle était bonne. »9 Il s’ensuit que la lumière était présente chaque jour de la Création. Mais comment peut-il en être ainsi, si la lumière est le but de la Création et, en tant que telle, explicite seulement au départ ?

La réponse est que le but se manifeste de deux manières :

a) explicitement au début du travail, et

b) implicitement à chacune de ses étapes, guidant chaque effort selon un plan préconçu, de façon qu’il se conforme à ce dernier.

Il en résulte qu’il y eut deux aspects de la lumière originelle : d’abord, comme elle fut révélée, en tant que but de la Création, le premier jour, avant que rien d’autre n’existât encore ; ensuite, telle qu’elle fut sentie indirectement (et de ce fait, faisant seulement l’objet d’une allusion) les autres jours, façonnant le reste de la Création dans le sens de sa fonction.

5. Révélation et accomplissement

Nous pouvons comprendre maintenant pourquoi le Zohar met l’accent sur le rapport existant entre « lumière » et « secret », et pourquoi nos Sages ont dit qu’elle fut cachée et gardée pour les justes dans la vie future.

Quand un immeuble est en cours de construction, sa forme finale n’est pas apparente ; seul l’architecte, dans son esprit, la perçoit. Elle se révèle seulement quand le travail est achevé.

Il en est de même pour le monde : c’est seulement quand il aura été amené à sa perfection par notre service durant les six mille ans10 qui précède le Machia’h, que son but (la « lumière ») sera révélé pleinement.

Cette lumière est pour le moment cachée ; mais dans le monde futur (quand notre service terrestre aura été achevé), elle brillera à nouveau comme au premier jour.

Toutefois, ce qui est caché, est caché quelque part. Où donc est cachée la lumière ? Nos Sages disent11 : dans la Torah. Car, de même que le dessin de l’architecte dirige la main du constructeur, ainsi la Torah nous apprend – par l’étude et l’accomplissement des commandements – à façonner le monde vers son accomplissement.

6. Du monde à l’homme

Chaque humain est un microcosme du monde, et la destinée de celui-ci est celle de celui-là. Ainsi cet ordre de l’histoire spirituelle est aussi un ordre du service individuel.

La « lumière » est le but de chaque Juif, qui est de transformer sa situation et ce qui l’environne en lumière. Non seulement de chasser les ténèbres (le mal) en s’abstenant de pécher, mais de changer l’obscurité même en lumière, en s’engageant positivement dans le bien.

Et son ordre doit être celui de D.ieu dans l’acte de création : d’abord, il doit formuler son but. Aussitôt qu’il s’éveille de son sommeil (quand il est une « création nouvelle »12 ), en fait à chaque instant, puisque le monde est continuellement recréé,13 il doit reconnaître que sa tâche est : « Que la lumière soit ».

Puis, il doit faire en sorte que ce but soit implicite dans chacune de ses actions, en les alignant sur la Torah, qui est le modèle de la Création.

7. Changer l’obscurité en lumière

Si la lumière est le but de toute chose créée, il en découle qu’elle doit être le but de l’obscurité elle-même. Car celle-ci a un but, elle n’existe pas seulement pour être évitée (donnant à l’homme le choix entre le bien et le mal), mais pour être transformée en lumière.

Et s’il arrive à l’homme de désespérer, dans les ténèbres oppressantes d’un monde égaré,14 de parvenir à faire prévaloir la lumière, sans parler de changer le mal même en bien, il lui est dit dès le début : « Au [ou pour le] commencement, D.ieu créa... », et nos Sages15 le traduisent ainsi : « Pour [le bien d’] Israël, appelé “le commencement de Sa récolte”, et pour la Torah, appelée “le commencement de Sa voie”. »

Le monde fut fait de telle sorte qu’Israël, par le moyen de la Torah, le transforme en la lumière éternelle de la présence révélée de D.ieu, dans l’accomplissement messianique des paroles d’Isaïe : « Ce ne sera plus le soleil qui te servira de lumière pendant le jour, ni la lune qui t’éclairera de sa lueur ; mais l’Éternel sera ta lumière à jamais. »16

(Source : Likoutei Si’hot, vol.10, p. 7-12)