« Et l’Éternel ton D.ieu reviendra [de] ta captivité, et Il te rassemblera du sein des peuples, etc. »
Deutéronome 30, 3
Rachi fait remarquer que :
« (Le texte) aurait dû écrire “Il fera revenir”... »
La difficulté est double : le verbe « revenir » n’est pas conjugué à la forme factitive (fera revenir), mais à la forme active simple (reviendra) et, de plus, la mention « l’Éternel ton D.ieu » ne semble pas nécessaire, puisque le verset précédent expliquait les causes de ce retour de captivité, en précisant : « Et tu reviendras vers l’Éternel ton D.ieu, et tu obéiras à Sa Voix… », aussi suffisait-il d’écrire que la réponse divine serait : « Et Il reviendra », sans mentionner ce qui est évident.
C’est à cette répétition apparemment injustifiée que Rachi donne l’explication suivante :
« Nos Maîtres ont enseigné d’ici que la Chekhina (la Présence Divine) demeure avec Israël dans les tourments de son exil. Ainsi, Il a fait inscrire Sa propre délivrance pour le jour où ils seront délivrés, annonçant qu’Il reviendra avec eux. »
Avec le premier Juif ?
En plus de toutes les questions qui se posent sur la tournure du commentaire, une difficulté nous interpelle si l’on se place du point de vue ésotérique tel qu’il ressort du commentaire de Rachi :
Sur la base de l’idée voulant que la situation d’exil de chaque Juif soit ressentie comme un exil pour D.ieu, on imagine que tant que le dernier Juif n’en aura pas été délivré, la Chekhina « demeurera encore dans les tourments de leur exil ». Aussi, comment comprendre le verset cité par Rachi dans la suite de son commentaire :
« ...et grand sera le Jour du rassemblement des exilés, et entouré de telles difficultés que l'on pourrait imaginer que Dieu Lui-même devra saisir véritablement chacun par la main pour l’arracher à son endroit, comme ce qui est dit : “Et vous, vous serez recueillis un par un, enfants d’Israël” (Isaïe 27,12) »
Or, il ressort de cette image que la Présence Divine sortira de l’exil en même temps que le premier Juif (« reviendra de ta captivité ») ! Comment concilier cela avec l’idée évoquée plus haut que, « tant que le dernier n’en aura pas été délivré, la Chekhina demeurera avec eux dans les tourments de l’exil » ?
La réponse évidente est que le niveau de Présence Divine qui « saisira la main de chaque personne » représente la projection relative de la Présence Divine liée à chaque individu. Le fait que cette fraction de la Présence Divine sorte de l’exil avec chacun n’empêche pas que d’autres puissent encore s’y trouver. Quant à l’essence même de la Chekhina, supérieure à tout concept de fractionnement, elle ne sera délivrée de l’exil qu’au moment où tout Israël le sera.
Rachi exprime bien cette idée lorsqu’il écrit « ...Il a fait inscrire Sa propre délivrance pour le jour de leur (au pluriel) délivrance » : en hébreu, le mot « propre », atsmo, est à rapprocher du mot « essence », atsmout. De même, il s’agit ici de la délivrance collective (« leur (au pluriel) délivrance ») et donc finale du peuple juif.
Une autre allusion à l’Essence Divine qui sera délivrée en même temps que tout Israël, est apparente dans la forme passive employée par Rachi (« le jour où ils seront délivrés »). En effet, il aurait pu écrire « et lorsqu’Il les en délivrera », correspondant ainsi à la tournure employée pour la libération de chaque individu : « Il saisira la main de chaque personne ».
Mais cette forme impersonnelle, qui ne mentionne pas qui est l’agissant, exprime parfaitement l’Essence de D.ieu, qui reste cachée, au-delà de la formulation, et qui réalise la Délivrance complète de tout Israël comme si la chose se faisait d’elle-même, sans qu’on en aperçoive la Cause. En revanche, la délivrance individuelle se fait visiblement, car il s’agit d’un niveau relatif et non absolu de la Chekhina.
L’enseignement pour nous
Un autre concept important est sous-entendu dans le commentaire de Rachi : celui-ci mentionne « la Délivrance complète de tout Israël » avant d’évoquer qu’« Il devra saisir la main de chaque personne », malgré l’ordre chronologique inverse, au niveau des événements.
La raison en est que la Délivrance de tout le peuple d’Israël est en fait la cause agissante, le motif supérieur, qui provoque la délivrance individuelle.
L’enseignement pour nous en est clair : lorsqu’un Juif voudra sortir de son exil personnel, il devra s’efforcer de tout faire pour que tout Israël sorte en même temps de l’exil général.
Il pourrait penser, en effet, que l’autre Juif occupe un niveau tellement bas, sur le plan spirituel, qu’il demeure de manière justifiée en exil, alors que lui-même est déjà prêt à en être libéré. Aussi, pourquoi sa propre délivrance dépendrait-elle de celle d’autrui ?
C’est à cela que notre paracha répond, dès son début : « Vous êtes debout, tous ensemble aujourd’hui… vos têtes, vos tribus, etc. »
La délivrance de ceux que l’on nomme « vos têtes » dépend en premier lieu du fait d’être « tous ensemble », et cet ensemble comprend même « ton fendeur de bois et ton puiseur d’eau », les Juifs les plus simples.
Cette façon de voir et de raisonner nous fait obtenir qu’au jour du Grand Jugement (« aujourd'hui » désigne allusivement Roch Hachana) on mérite une année bonne et douce, ce qui inclut d’office et en premier lieu la Délivrance messianique, lorsque « l’Éternel ton D.ieu saisira chacun par la main et “vous serez recueillis un par un, enfants d’Israël”. »
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