Nitsavim est la paracha que nous lisons invariablement avant Roch Hachana. Elle commence avec le discours de Moïse au peuple juif : « Vous vous présentez aujourd’hui, vous tous, devant l’Éternel, votre D.ieu... » Cette invocation est à la fois générale et spécifique. Elle mentionne les différentes catégories de Juifs, des « chefs (de) vos tribus » jusqu’à « celui qui puise ton eau ». Catégories qui sont réunies dans l’expression collective : « vous tous ». Le discours suivant est tiré de deux Messages de Roch Hachana. La première moitié a trait à la relation de l’individu à la communauté, et se pose la question de savoir si la Torah, en recherchant l’unité du peuple juif, demande le sacrifice de l’individualité. La seconde moitié concerne les Juifs qui vivent encore dans des lieux où sévit l’oppression politique, et où ils sont empêchés de vivre selon leur foi ; et elle s’interroge : que nous enseigne leur exemple ?
1. L’individu et la communauté
La paracha Nitsavim est toujours lue le Chabbat qui précède Roch Hachana, et constitue une préparation à celui-ci. La Torah s’adresse à chaque Juif en ces termes :
« Vous êtes debout aujourd’hui, vous tous, devant l’Éternel, votre D.ieu : vos chefs, vos tribus, vos anciens, vos officiers, tous les hommes d’Israël... depuis celui qui coupe ton bois jusqu’à celui qui puise ton eau. »1
Cette citation représente elle-même une contradiction. Le verset commence par parler d’Israël en tant qu’unité, « vous êtes debout... vous tous » – sans faire la moindre distinction entre ses parties. Mais aussitôt, il continue en énumérant les différentes classes de Juifs. Pourquoi procéder ainsi, quand l’expression « vous tous » les englobe toutes ?
C’est que le verset entend souligner un point fondamental2 : d’une part, il faut que l’unité existe entre les Juifs, et d’autre part, chacun d’eux a sa contribution unique à apporter, sa mission individuelle à accomplir.
Mais si des distinctions sont nécessaires parmi les Juifs, particulièrement entre « vos chefs » et « celui qui puise ton eau », comment une véritable unité peut-elle exister entre eux ?
Le verset fournit sa propre réponse : « Vous êtes debout aujourd’hui, vous tous, devant l’Éternel, votre D.ieu. » C’est tels que les Juifs se tiennent devant D.ieu, reconnaissant pleinement qu’Il est l’auteur de leurs forces3 et la base de leur être, qu’ils ne font qu’un.
Un exemple simple peut le montrer. Quand des hommes forment un groupe ou une communauté poursuivant un objectif précis – économique, intellectuel ou autre –, ils mettent en commun leur argent, leurs forces ou leurs idées, pour un but commun et un temps déterminé. En dehors de cette association, ils demeurent des individus séparés, chacun avec son monde personnel.
Mais la communauté d’Israël n’est pas ainsi. Car c’est une association « devant l’Éternel, votre D.ieu », et son but est « de participer à l’alliance avec l’Éternel votre D.ieu et à Son serment... ». Cela englobe la totalité de l’homme4 – non pas seulement son travail et ses idées – chacun selon ses capacités. Et c’est une association perpétuelle, aussi éternelle que la Torah. Voilà la véritable unité.
De plus, dans les efforts de chaque Juif jouant son rôle unique dans l’alliance, est implicite le travail de la communauté entière. L’unité d’Israël ne découle pas du fait que tous les Juifs soient semblables, mais lorsque chaque Juif est lui-même dans l’accomplissement des directives de « l’Éternel votre D.ieu ». Israël est un devant D.ieu lorsque – et seulement lorsque – chaque Juif accomplit la mission qui lui est propre.
2. L’heure et la tâche
Il y a en cela un message clair qu’il faut souligner à notre époque, relatif aux « chefs [de5] vos tribus », les leaders spirituels du monde juif , depuis les chefs de communauté, jusqu’aux chefs de famille.
Si d’aucuns objectaient qu’à l’heure actuelle et dans les circonstances présentes, il est difficile pour un Juif de conserver son judaïsme intact, sans compromis, tout au long de l'année, la Torah elle-même répond : « Vous êtes debout aujourd’hui. » Ce n’est ni un ordre, ni une prédiction, ni une promesse. C’est mentionné comme un fait. Le fait est que tout Juif se tient devant D.ieu, qui est sa vie et sa force. Le devoir est de mettre ce fait à jour, de le faire passer du potentiel au réel.
Et avec l’assurance implicite dans ces mots, chaque Juif et tous les Juifs, viennent au couronnement, pour ainsi dire, de D.ieu à Roch Hachana, l’acceptation de Sa souveraineté et la proclamation de Sa royauté sur Israël et sur le monde entier.
3. Promesse ou fait
Leur premier devoir, particulièrement en cette période des Jours Solennels, est de répandre la lumière de la Torah et des Commandements à tous ceux qui se trouvent dans leur sphère d’influence. Ils doivent faire transparaître leur inspiration dans leurs actions du quotidien. Et dans les groupes qui sont, pour le moment, loin de tout contact avec le Judaïsme, ils doivent créer le besoin de revenir aux racines de leur identité ainsi que de commencer à vivre en Juif à part entière, en accord avec le Judaïsme tout entier, et pour l’année entière.
Mais hélas, l’occasion la plus favorable de l’année est souvent manquée, et le temps gaspillé en discussions sur les problèmes du monde qui, pour importants qu’ils soient, ne sont pas dans la sphère d’influence de celui qui en parle ou de celui qui l’écoute, l’un et l’autre ne pouvant en aucune façon aider à les résoudre. Il est particulièrement navrant de voir qu’au lieu d’employer ces moments d’éveil spirituel à renforcer la communauté juive dans son alliance globale et éternelle avec D.ieu et à fortifier chaque Juif dans la mission personnelle que D.ieu Lui-même lui attribue, le temps et l’énergie sont perdus en réflexions sur les problèmes mondiaux, en discussions politiques et d’autres sujets peu appropriés à la circonstance.
4. Le pied qui mène la tête
Un autre point est implicite dans le verset « Vous êtes debout aujourd’hui... ». Bien qu’il distingue les différentes sortes de Juifs, depuis la « tête » jusqu’au « pied » du corps communautaire, il ne faut point oublier – comme l’a souligné l’Admour Hazakène6 – que le « pied » joue parfois le rôle de la « tête ». Car, pour poursuivre la métaphore, bien que la tête contienne le cerveau qui dirige le corps entier, ce sont les pieds qui transportent le corps (y compris la tête) d’un endroit à un autre. Ainsi, spirituellement parlant, il se peut que « celui qui puise l’eau » serve d’exemple aux « chefs (de) vos tribus ».
La caractéristique de la tête est d’être le siège de l’esprit, de l’intellect. Le pied répond toutefois aux injonctions du cerveau ; ce qui le caractérise c’est l’obéissance, l’accomplissement d’un ordre. Comment, dès lors, « celui qui puise l’eau » – le simple Juif, avec sa foi obéissante et non méditée – peut-il être un exemple pour les chefs intellectuels de la communauté ? Il peut n’avoir ni la disponibilité, ni la capacité d’étudier la Torah, victime qu’il est des limitations naturelles et des circonstances. Qu’a-t-il donc qui puisse servir de modèle à ceux qui sont mieux lotis ?
Et cela même soulève une autre question. C’est D.ieu Lui-même qui a donné Ses instructions à chaque Juif individuellement sur la manière de conduire sa vie quotidienne. Comment alors est-il possible que certains Juifs n’aient pas la possibilité de vivre comme D.ieu le désire ? Il est le Maître de l’Univers, et cependant, il est des situations où des Juifs, malgré leur désir, et malgré même leur sacrifice de soi, sont empêchés de mener une vie de Juif dans sa plénitude. Un homme peut se sacrifier en sautant du toit sur le sol, mais pas en sautant du sol vers le toit. S’extraire de l’abîme où il a été relégué peut s’avérer au-delà de ses forces. Comment une telle oppression peut-elle être tolérée par D.ieu ?
5. L’acte et le désir
La réponse est, brièvement, celle-ci : il est vrai que l’acte est plus important que le sentiment. L’intention, sans l’acte, est insuffisante. Néanmoins, les sentiments et les intentions sont importants. Et quand il arrive qu’un Juif ne puisse agir comme il le désire, même par le plus grand sacrifice de soi, cela crée en lui un sentiment de détresse et de perte, un sentiment si profond qu’il touche l’essence même de son âme. Et cela le conduit à un attachement intense à D.ieu, Sa Torah et Ses commandements, si bien que sans cette douleur, son judaïsme n’aurait pas revêtu une telle importance pour lui. Dans une telle situation, non seulement n’est-il pas coupable d’avoir manqué d’accomplir la volonté divine, mais il est récompensé pour ses désirs, même s’ils ne se sont pas traduits en actes. Et, plus important encore, sa vie spirituelle accède à un niveau de perfection, auquel il n’aurait peut-être pas aspiré dans des circonstances plus favorables. De plus, quand, par la grâce de D.ieu, il peut quitter cette situation pour une autre qui lui assure la liberté religieuse, son observance des Mitsvot assume une ferveur et une intensité sans précédent.
C’est ainsi que « celui qui puise l’eau » devient un modèle pour la « tête » et pour tous les Juifs, de sorte que ceux à qui le « fourneau » de l’affliction a été épargnée, peuvent apprendre de lui, et trouver en lui leur inspiration.
6. Impossibilité réelle ou imaginaire
Mais il y a un point important qu’il convient d’éclaircir. Les tentations que nous laissons nous écarter du droit chemin sont souvent fort subtiles. Et la plus forte d’entre elles est le fait de se leurrer soi-même et l’amour de soi. L’une de ses stratégies les plus courantes est de lorsque nous nous persuadons que nous ne pouvons pas accomplir une Mitsva. Nous voudrions le faire – c’est ce que nous nous disons –, mais les circonstances nous en empêchent. Nous faisons endosser notre responsabilité à des facteurs hors de notre contrôle.
« L’homme est proche de lui-même », et il lui est difficile de se considérer avec objectivité. Aussi doit-il se souvenir que dans ce qui paraît impossible, il y a plus ce que lui veut y voir que ce qu’il s’y trouve objectivement. Pour comprendre la nature réelle de sa situation, il doit se tourner vers quelqu’un d’autre, quelqu’un qui ne se leurre pas soi-même et qui ne sera pas tenté de lui dire ce qu’il souhaite entendre ; avant tout quelqu’un dont la perspective tout entière est celle de la Torah, car la Torah est « Torat Émeth » (une Torah de vérité), et la vérité ne souffre aucun compromis. Seule une telle personne peut faire la distinction entre les contraintes réelles de celles que l’autre s’est échafaudées pour se dérober à sa responsabilité.
C’est l’époque de l’année – les Dix Jours de Téchouva – où le Juif « revient » à son moi essentiel,7 lorsque tombent les masques de l’auto-illusion. Et ce moi essentiel – être une véritable partie de D.ieu en-haut,8 – s’exprime dans tous les détails de sa vie quotidienne, en pensée, parole et action.
(Source : Likoutei Si’hot vol. 9, p. 462-470)
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