L'âme, affirme le Tanya1, est une « véritable partie du Divin supérieur  ».

A ce titre, son approche du divin est sans voile : elle le voit, l'entend, le perçoit de tous les sens de l'âme dont nos sens ne sont qu'une expression physique et, de toute évidence, une telle perception est source d'un plaisir de dimension divine.

Que l'âme descende en ce bas monde pour y animer un corps semble alors relever de l'absurde. Elle doit quitter son état de grâce pour s'investir dans la matière dont la grossièreté couvre toute notion de divinité. Et même si, à force d'étude et de prière, elle parvient à ressentir la grandeur de D.ieu dans les limites du corps qu'elle habite, ce sentiment restera insignifiant devant sa perception antérieure. Mais hélas, dans de nombreux cas, son ascension vers D.ieu est entravée par les péchés de l'homme qui la coupent de sa source.

Il est vrai que la mission qui lui est assignée est de la plus haute importance : il lui faut faire du monde une demeure pour D.ieu. Car seul l'homme, dont le corps est tourné vers la matière et dont l'âme procède de l'essence divine peut, par ses actions, révéler le caractère divin de notre univers. Mais pour important que soit le but de sa descente, que peut apporter celle-ci à la béatitude de l'âme dans son état premier ?

Au contraire, une telle mission peut être très dangereuse. En effet, dans son action, l'âme est confrontée au mal, qui s'exprime dans le mauvais penchant de l'homme et qui, dans son effort pour le détourner de D.ieu, peut impliquer l'âme et la souiller.

En fait, c'est précisément dans cette confrontation que l'âme trouvera la finalité de sa descente.

S'il est vrai que, dans son état premier, l'âme est proche de D.ieu et qu'elle peut contempler Sa splendeur, cette contemplation n'est jamais remise en question. Là où elle se trouve, aucune existence, aucun être ne peut voiler la présence divine. Et même si la perception et l'amour de l'âme pour le Créateur vont en grandissant, leur évolution reste limitée parce que jamais sujette à caution.

Plongée dans l'environnement hostile qu'est pour elle le monde physique, l'âme doit convaincre le corps de la grandeur du service divin. Elle ne peut plus se contenter d'une attitude contemplative, il lui faut agir, se dépasser, puiser dans les profondeurs de ses ressources pour apporter au corps des lueurs de divinité qui le transformeront peu à peu. Car le corps est le siège du mauvais penchant qu'elle devra tenir à distance pour qu'il ne l'éclabousse pas des fautes vers lesquelles il pousse inlassablement l'homme.

C'est dans cette lutte avec le mal que l'âme trouve la raison de sa descente dans le monde physique. Par elle, elle devra révéler des trésors de forces latentes, dissimulées au plus profond de son être grâce auxquelles, une fois sa mission terminée, elle éprouvera un ardent désir de revenir vers D.ieu, dotée de facultés de perception grandies par les épreuves.

La tradition hassidique compare ce processus à un animal sauvage poursuivant un homme qui, lors de cette poursuite, pourra courir à une vitesse bien supérieure à celle qu'il pourrait atteindre dans des conditions normales. Cette amplification de ses forces est due à la révélation d'un potentiel habituellement inexploité.

L'âme est aussi semblable à l'homme qui a fauté et qui, dans son repentir, éprouve un ardent désir de s'attacher à son Créateur, bien plus fort que celui qui n'a jamais péché. A son paroxysme, nous dit le Talmud2, la prise de conscience de ses fautes le place à un niveau qu'un juste, dans sa perfection, ne pourra jamais atteindre.

Un point reste cependant à éclaircir. Nous avons affirmé que l'âme avait du divin une révélation sans voile. Quelle est donc la signification d'une perception grandie lorsque l'âme retourne vers le Créateur ?

La réponse réside dans le caractère illimité de D.ieu. Etant l'Indéfini par essence, source de toute définition, nulle existence ne peut appréhender D.ieu Lui-même. Toute perception ne portera que sur un certain niveau de Sa révélation, toujours insignifiante devant l'illimité divin. De ce fait, quel que soit le niveau de révélation que l'âme peut avoir dans son état premier, celui-ci sera toujours surplombé d'un niveau supérieur du divin.

A la lumière de ces explications, nous pouvons maintenant mieux comprendre le sens des paroles de nos Sages3 : « Tu vis contre ton gré et tu meurs contre ton gré.  » On conçoit que l'homme meure contre son gré puisque son instinct naturel le pousse à vivre, mais en quoi vivrait-il contre son gré ?

Nos Sages veulent décrire ici deux attitudes de l'âme.

Lorsque celle-ci doit descendre animer un corps physique, elle montre une certaine réticence. Pourquoi quitter son univers paradisiaque pour s'investir dans un monde dans lequel tous les chemins sont a priori dangereux ? On la force alors à le faire contre son gré. Une fois dans le corps, elle prend conscience de la grandeur de sa mission et des bienfaits qu'elle peut lui procurer et veut rester dans un monde qu'on lui fait alors quitter contre son gré.

Ces deux attitudes sont en fait deux mouvements de l'âme fondateurs d'un comportement. De par son âme, l'homme peut ressentir à chaque instant un appel de son Créateur qui lui fait prendre conscience des limites de son être face à l'illimité divin. Cette aspiration vers le haut le pousserait à transcender la matérialité de son corps pour se fondre en l'absolu divin, si elle n'était pas accompagnée d'un profond désir d'accomplir son rôle d'intermédiaire entre l'univers et son Créateur.

De fait, ces deux mouvements de l'âme sont complémentaires car comment pourrions-nous mieux prouver notre attachement à D.ieu que par l'accomplissement enthousiaste de la mission qu'Il nous a confiée ?