La conclusion du traité Taanit

A la fin du traité Taanit1, il est enseigné :

« Il n’y eut jamais en Israël de jour de fête tel que le 15 Av. » Et le Talmud2 d’apporter plusieurs raisons à l’élévation particulière de ce jour et de conclure3 : « À partir de là [du 15 Av], celui qui ajoutera, ajoutera, et celui qui n’ajoutera pas... », ce que Rachi4 explique de la manière suivante : « À partir du 15 Av, celui qui ajoutera les nuits aux journées en les consacrant [aussi] à l’étude de la Torah, méritera la longévité ». Le RaChBam5 apporte la précision suivante : « Du fait que la durée des nuits s’allonge [à partir du 15 Av] et que celle des journées diminue, il faut aussi consacrer la nuit à s’investir dans l’étude [de la Torah]. »

Il convient d’analyser en profondeur quel est le principe qui sous-tend cette intensification de l’étude de la Torah qui s’impose à partir du 15 Av. En effet, la loi juive considère que, dans le contexte du devoir d’étudier la Torah, il existe deux grandes catégories d’individus.

D’une part, il y a ceux qui ont pour vocation de se consacrer intégralement à l’étude. Pour ces derniers, la loi juive stipule qu’il est de leur devoir de « s’investir jour et nuit, au sens propre, dans l’étude de la Torah, comme il est dit6 ‘tu en parleras quand tu résideras dans ta maison et quand tu marcheras en chemin’, et il est dit7 ‘ce livre de la Torah ne quittera pas ta bouche et tu l’étudieras jour et nuit’ »8. Pour une telle personne, le fait d’intensifier l’étude de la Torah la nuit à partir du 15 Av n’ajoute rien de particulier à sa manière de réaliser ce commandement puisqu’elle s’y doit s’y consacrer en permanence.

La deuxième catégorie est constituée de ceux qui mènent une vie professionnelle et s’acquittent du devoir de l’étude en y consacrant des temps le jour et la nuit selon leur capacité9, au point que certains ne peuvent le faire qu’en étudiant « un chapitre le matin et un chapitre le soir »10. Pour ces derniers, le principe de l’intensification de l’étude à partir du 15 Av pourrait se comprendre comme une manière d’aller au-delà de son strict devoir. Mais dans ce cas, la même règle aurait du être énoncée pour la période de l’année où les journées s’allongent et les nuits deviennent plus courtes11. Pourquoi donc insister uniquement sur le redoublement des efforts consacrés à l’étude la nuit ? Au contraire, le fait de consacrer plus de temps à l’étude dans la journée, à un moment où il convient, même d’après la Torah, de s’investir dans sa vie professionnelle, devrait faire l’objet d’une louange encore plus grande12. Enfin, ce passage du traité Taanit ne semble pas s’adresser à une seule catégorie de personne. Il énonce plutôt un principe général qui concerne chacun. Il reste donc à expliquer le sens de ce principe.

L’étude de la Torah la nuit

Le RaMA, dans son commentaire du code de la loi juive13, cite le passage suivant extrait du Michné Torah de Maïmonide14 : « Celui qui désire mériter la couronne de la Torah devra prendre garde à chacune de ses nuits de manière à n’en pas perdre une seule dans le sommeil, le manger, le boire, la discussion, ou tout ce qui y ressemble. Plutôt, [il devra s’y consacrer] aux paroles de sagesse […] car un homme n’acquiert la majeure partie de sa sagesse que la nuit... et un homme doit commencer à étudier la nuit à partir du 15 Av. » Ces propos sont d’ailleurs repris dans les mêmes termes par le Baal Hatanya dans ses « Lois de l’étude de la Torah »15.

D’après ce passage, il semblerait que l’intensification de l’étude la nuit à partir du 15 Av n’est pas liée au devoir de l’étude lui-même16. Il s’explique par le fait que la nuit constitue un moment propice pour l’étude qui prend alors une dimension particulière. Et c’est la raison pour laquelle une telle étude apporte un mérite particulier, celui de la longévité. Pourtant, cette manière de comprendre pose un autre problème : comment expliquer la deuxième partie du principe énoncé par le Talmud, à savoir que celui qui ne consacre pas ses nuits à l’étude « se verra enterré par sa mère », c’est-à-dire, comme Rachi17 l’explique, qu’il « décèdera avant son temps » ? Comment comprendre que le manquement à cette étude, qui prive certes son auteur de l’élévation particulière du moment, lui vaille une telle punition ?

La couronne de la Torah

Pour répondre à cette question, il faut s’arrêter sur la précision des termes employés par Maïmonide dans le passage du Michné Torah cité plus haut. En effet, Maïmonide y énonce deux conditions nécessaires pour mériter « la couronne de la Torah »18.

D’une part, Maïmonide enseigne que « celui dont le cœur aspire à réaliser ce commandement [de l’étude de la Torah] comme il se doit et [aspire] à être couronné d’une couronne de Torah ne détournera pas son esprit à autre chose et ne croira pas qu’il pourra acquérir la Torah en même temps que la richesse et l’honneur. Ainsi est le chemin de la Torah : du pain [trempé] dans du sel tu mangeras, et de l’eau de la cruche tu boiras, sur le sol tu dormiras, et tu vivras une vie de souffrance tout en te consacrant à la Torah19. »

D’autre part, Maïmonide explique : « bien qu’il soit un commandement d’étudier le jour et la nuit, un homme ne peut acquérir la majeure partie de sa sagesse que la nuit. C’est pourquoi celui qui souhaite mériter d’obtenir la couronne de la Torah devra prendre garde à ses nuits etc... ».

C’est cette deuxième condition qui a été reprise par le RaMA pour expliquer l’élévation particulière de l’étude la nuit. Pourtant, on peut remarquer que Maïmonide utilise deux expressions apparemment similaires mais bien distinctes. Dans la première condition, il évoque celui qui désire « être couronné d’une couronne de Torah » alors que dans la deuxième, il traite de celui qui souhaite « mériter la couronne de la Torah. »

Cette différence peut s’expliquer de la manière suivante : l’expression « couronne de la Torah » peut faire référence à deux notions. Il peut s’agir des parties de la Torah comparables à une couronne, c’est-à-dire des parties les plus élevées. Par exemple, nous trouvons que les lois concernant l’étude de la Torah, qui font partie de la Torah, sont parfois désignées20 comme « la couronne de la Torah ». Mais on peut aussi comprendre cette expression comme la manière de désigner la Torah elle-même, comme un tout, dans son rapport à celui qui l’étudie pour lequel elle constitue une couronne21.

Certes, il semble que Maïmonide utilise ici cette expression dans son deuxième sens puisqu’il analyse l’attitude de celui qui s’y consacre entièrement. Pourtant, il fait aussi allusion au sens cité plus haut en premier, à savoir à la partie de la Torah comparable à une couronne et c’est là que réside la distinction entre les deux conditions qu’il énonce.

Dans la première, où il décrit « celui dont le cœur aspire à réaliser ce commandement [de l’étude de la Torah] comme il se doit et à être couronné par une couronne de Torah », il fait référence à la deuxième manière de comprendre la « couronne de la Torah », c'est-à-dire la manière dont la Torah constitue l’essence de l’être de celui qui l’étudie et par rapport auquel elle est comparable à une couronne. C’est pourquoi Maïmonide décrit un tel individu comme celui qui souhaite « être couronné par une couronne de Torah ». Et c’est dans cette perspective que Maïmonide continue en opposant à cette attitude celui qui pense « acquérir la Torah en même temps que la richesse et l’honneur». En effet, « penser acquérir la Torah » traduit le fait qu’on la considère seulement comme une richesse que l’on possède et qui reste une entité distincte de soi, et non comme l’essence de son être.

Dans la deuxième condition, Maïmonide explique qu’ « un homme ne peut acquérir la majeure partie de sa sagesse que la nuit … c’est pourquoi celui qui souhaite mériter d’obtenir la couronne de la Torah devra prendre garde à ses nuits». Il ne décrit pas l’homme dans son rapport à la Torah toute entière mais plutôt celui qui aspire à en intégrer une dimension particulièrement élevée. C’est la raison pour laquelle il emploie l’expression « mériter d’obtenir la couronne de la Torah », qui décrit le souhait de faire sienne une dimension particulière de la Torah, sa couronne, que l’on peut opposer à « être couronné » qui décrit un état de celui qui étudie. Cette dimension particulière, comparable à une couronne, peut se définir comme l’essence même de la Torah, la partie qui dépasse la compréhension et dans laquelle l’homme reconnaît et s’attache à Celui qui a donné la Torah.

La nécessité de rechercher cette dimension est expliquée avec force détails par le Bayit ‘Hadach22 selon lequel « nous devons nous consacrer à [l’étude de] la Torah afin que notre âme se fonde dans l’essence, la spiritualité, la sainteté de la source de la Torah…et lorsque l’on se consacre à [l’étude de] la Torah avec cette intention, on constitue un char céleste et un palais pour la résidence de D.ieu ». Toujours d’après le Bayit ‘Hadach, c’est là que réside le sens fondamental de la bénédiction prononcée pour l’étude de la Torah, qui consiste, selon ses termes, à « Lui rendre grâce d’avoir donné la Torah à Son peuple Israël afin qu’il puisse s’attacher à sa sainteté [de la Torah] et à la résidence divine ».

Dans cette perspective, le principe selon lequel « un homme ne peut acquérir la majeure partie de sa sagesse que la nuit », qui fait allusion à « la sagesse » en général et semble donc se situer en dehors de la problématique de l’étude de la Torah23, prend un sens plus précis. Il est une référence à une partie bien définie de la Torah, celle dont traite Maïmonide dans les quatre premiers chapitres du Michné Torah. C’est là où il aborde la dimension ésotérique de la Torah qui traite de la structure de la création et de la grandeur du Créateur, partie de la Torah que le Talmud dénomme en hébreu « Pardess », le « verger ». De fait, Maïmonide, de manière récurrente dans son œuvre24, désigne l’ensemble de ces concepts par le terme « sagesse » du fait de leur profondeur inégalée. Et c’est seulement par l’étude des textes abordant ces idées25 que l’on peut prendre conscience et ressentir la dimension spirituelle et la sainteté de la Torah qui sont l’empreinte de Celui qui l’a donnée au peuple juif, et ainsi atteindre la « couronne de la Torah ». La spécificité de la nuit au regard d’une telle étude est d’ailleurs mentionnée dans les « Manuscrits du AriZal »26 et, de fait, les décisionnaires établissent27 que la nuit doit être essentiellement consacrée à l’étude de la partie aggadique28 et des secrets de la Torah29.

L’étude de la nuit

Cette précision du sens de la « couronne de la Torah », référence à la dimension divine de la Torah dont l’homme doit prendre conscience, va nous permettre de comprendre l’importance de la nuit dans ce contexte.

En effet, dans cette perspective, la nuit n’est pas seulement un moment de calme plus propice à la concentration et à la sérénité. Elle est un temps qui, intrinsèquement30, et parce qu’il imprègne l’homme d’un sentiment d’effacement et d’humilité, lui permet d’opérer cette prise de conscience31.

C’est la raison pour laquelle Maïmonide cite par la suite le commentaire que font les sages du Talmud32 sur le verset des lamentations « Lève toi et réjouis-toi dans la nuit »33 : « la joie de la Torah ne trouve sa place que dans la nuit et toute personne qui se plonge dans l’étude est enveloppée d’un rayon de bonté. » En effet, cet enseignement met en évidence dans la nuit une dimension qui va au-delà de la simple sérénité puisqu’elle est décrite comme un « rayon de bonté » qui enveloppe l’individu, expression dont la connotation ésotérique est claire34 et qui exprime que la nuit révèle l’humilité et l’effacement indispensables pour atteindre à la dimension divine de la partie ésotérique de la Torah. C’est d’ailleurs pour cette même raison que ce moment a été choisi par nos sages pour y instituer le temps d’introspection et de bilan moral associé à la lecture du Chema avant de se coucher35. Car l’humilité est une condition préalable à l’étude de la Torah dans sa globalité, quelle que soit la partie étudiée. Maïmonide établit lui-même que la connaissance de la Torah « ne peut être trouvée chez ceux qui sont hautains … mais uniquement chez celui qui est humble »36. De même, il écrit que « les paroles de la Torah n’ont pas de pérennité chez celui qui celui qui n’y consacre pas d’effort ni chez ceux qui étudient dans le luxe mais seulement chez celui qui donne sa vie pour elle, fait en permanence violence à son corps et ne donne pas de sommeil à ses yeux ni d’assoupissement à ses paupières. » Mais lorsqu’il s’agit de la partie ésotérique de la Torah, l’humilité est nécessaire non pas comme une préparation indispensable37 mais comme un sentiment qui caractérise l’étude elle-même. Elle prend alors la dimension d’un effacement de sa personne pour laisser apparaître la sainteté de la Torah.

L’enjeu d’une étude

De cette manière, nous allons aussi comprendre la raison pour laquelle le Talmud insiste autant sur l’importance capitale de ce renouvellement de l’étude à partir du 15 Av, au point que celui qui s’y applique , « méritera la longévité », mais que celui qui y manque « écourtera ses jours ».

En effet, ce renouvellement ne se caractérise pas tant par le volume que par l’élévation d’âme qui imprègne l’étude. Il faut donc comprendre que le Talmud, par l’expression « ajoutera de la vie à sa vie », fait ici allusion à cette vitalité spirituelle dont s’imprègne celui qui donne à son étude cette dimension d’élévation spirituelle que nous avons décrite plus haut.

Cette idée se retrouve d’ailleurs dans le commentaire de Rabban Gamliel sur ce passage et selon lequel celui qui intensifie son étude dans le sens défini par le Talmud « augmentera les jours du monde futur [qu’il aura mérité] ». Car il faut comprendre ici, non pas seulement que cette personne aura droit au monde futur mais que sa vie dans ce monde aura l’élévation du monde futur, à l’image de la promesse faite par le Talmud et selon laquelle « Tu connaîtras ton monde [futur] dans ta vie [dans ce monde] »38.

A contrario, celui qui ne s’engage pas dans l’effort demandé montre qu’il n’a pas l’aspiration à atteindre la « couronne de la Torah », c'est-à-dire de ressentir l’empreinte du Créateur dans la Torah, et que son étude a pour unique objectif d’acquérir la sagesse que renferme cette dernière. Il manque donc à son étude le but essentiel qui doit la motiver et perd de ce fait cette vitalité spirituelle. C’est dans ce sens qu’il « perdra la vie ».

Ce défaut d’aspiration spirituelle est comparable à celui décrit par le Bayit ‘Hadache à propos de la génération qui vécut la destruction du Temple. En effet, à leur propos, nos sages enseignent39 : « Pour quelle raison la terre [d’Israël] fut détruite40  ? Du fait que l’on ne faisait plus la bénédiction préalable à l’étude de la Torah. » Le Bayit ‘Hadache demande : « Pourquoi D.ieu les punit-Il si sévèrement pour une telle faute qui ne semble pas des plus graves ? Et de répondre que manquer à la récitation de la bénédiction qui précède l’étude de la Torah signifie en fait qu’ « il leur manquait le principe de départ de la progression dans la spiritualité de la Torah, de niveau en niveau, qui a pour objectif que l’âme s’attache avec l’essence et la sainteté de la Torah.

Ils ne l’étudiaient que pour connaître les lois liées au commerce, ou bien pour l’orgueil qu’ils pouvaient retirer en faisant montre de leur connaissance et n’avaient pas pour aspiration de s’unir et de s’attacher avec la sainteté et la spiritualité de la Torah afin de faire descendre la présence divine sur Terre.

Ils furent donc punis par le fait que la présence divine se retira d’ici-bas et, en conséquence, la terre fut détruite telle un désert où personne ne passe. »

La symbolique de la lune

Cette manière de comprendre le renouvellement de l’intensité de l’étude qui est demandé dès lors que les nuits s’allongent va aussi nous permettre de mettre en évidence le lien qui relie ce renouvellement avec la date à laquelle il doit commencer. Car si cette date est tout simplement celle à laquelle les nuits commencent à s’allonger, nous allons voir que le jour même du 15 Av présente un lien intrinsèque avec cette dimension particulière de l’étude qui doit se révéler alors41. Nous allons aussi faire le lien avec l’explication du Ari Zal42, selon lequel la grandeur du jour du 15 Av est à mettre en rapport avec le fait que la lune atteint alors sa plénitude.

Selon la tradition, la lune symbolise le peuple juif43. En effet, de même que la lune est appelée à retrouver avec les temps messianiques une luminosité qu’elle a perdue au début de la création, le peuple juif est appelé a retrouver alors sa grandeur perdue du fait de l’exil44.

Dans cette symbolique, la plénitude de la lune qui apparaît après sa disparition au début du mois lunaire représente la grandeur que le peuple juif retrouve après une chute, l’élévation retrouvée étant d’autant plus forte que la chute a été vertigineuse. En particulier, la pleine lune du 15 Av représente le summum d’une telle élévation car elle fait suite à la chute que rappelle la date du 9 Av où le Temple fut détruit et où commença l’exil. Et dans la mesure où cette chute est la plus dure que connut le peuple juif, l’élévation qui suit, symbolisée par le 15 Av, est la plus intense et trouvera son apogée avec la délivrance future qui mettra fin à cet exil. Nous allons donc voir que le redoublement d’intensité de l’étude qui doit commencer le 15 Av et la grandeur intrinsèque de ce jour, symbolisée par la pleine lune, sont intimement liés.

Le peuple juif et la lune

Pour mettre en évidence ce lien, il faut d’abord approfondir la symbolique de la lune.

En effet, la lune connaît un cycle régulier, sur lequel est fondé le calendrier du peuple juif dans lequel un mois correspond à une révolution lunaire autour de la Terre. Plus précisément, le mois juif commence au moment où la lune n’est plus visible sur la Terre. Puis, durant les quinze premiers jours du mois, la lune devient de plus en plus apparente jusqu’au quinzième jour où elle est pleine. Enfin, pendant les quinze derniers jours du mois, sa partie visible diminue jusqu’au début du mois suivant où elle disparaît à nouveau.

Or, les symboliques décrites par nos Sages sont plus que de simples allégories. Elles possèdent toujours un lien précis en tout point avec l’idée qu’elles représentent. Dans cette perspective, la symbolique de la lune présente une difficulté.

En effet, la progression de la lune durant les quinze premiers jours représente clairement celle qui doit caractériser le peuple juif. Mais comment comprendre la signification de la diminution de cette dernière qui semble symboliser une chute et qui intervient après la plénitude du quinzième jour du mois ? En effet, il est un principe bien connu que, pour ce qui est du service de D.ieu, « on doit progresser dans la sainteté et non régresser »45 !

L’explication de ce point se trouve dans le passage du Talmud46 fondateur de cette symbolique. En effet, d’après nos Sages, la lune avait, au début de la création, la même intensité que celle du Soleil mais prétendit qu’il n’y avait pas de place pour les deux astres. D.ieu demanda alors à la lune : « Diminue-toi [ton intensité] ». D’après le Talmud, c’est là que réside le lien avec le peuple juif qui, lui aussi, sait faire preuve d’effacement et d’humilité et « se diminuer [son importance] »47.

Le trait fondamental qui relie le peuple juif et la lune réside donc dans l’humilité qu’ils ont en commun. Et c’est ce qui permet d’expliquer complètement la symbolique du cycle lunaire. Car, lorsque le service de D.ieu d’un individu se caractérise par une progression, jusqu’à atteindre un certain degré de perfection symbolisée par la pleine lune, cette perfection caractérisant tant dans son rapport à D.ieu que ce qu’il apporte à son prochain48, il encourt le risque d’en retirer un sentiment plus ou moins imperceptible de suffisance.

Et c’est là qu’intervient la signification de la décroissance lunaire. Car, pour ce qui est du service de D.ieu en tant que tel, il doit certes toujours s’intensifier et se renouveler. Par contre, pour ce qui est de l’individu qui sert D.ieu et qui atteint un sommet, celui-ci doit alors faire un effort d’humilité et d’effacement symbolisé par la décroissance de la lune. De cette manière, non seulement il ne laisse pas la place à la suffisance, mais sa progression prend elle aussi une autre dimension car le dévoilement que l’on peut obtenir dans l’effacement dépasse infiniment celui qui peut être atteint avant que ne soit fait cet effort.

Et c’est sur ces deux temps fondamentaux, un effort renouvelé et un effacement de soi, que s’articule le service de D.ieu, ces deux principes fondamentaux se retrouvant dans les deux grandes phases du cycle lunaire.49

De cette manière, nous pouvons aussi comprendre le lien qui existe entre le renouvellement d’intensité de l’étude qui commence le 15 Av et la dimension intrinsèque de ce jour. En effet, nous avons vu que l’élévation nouvelle que prend alors l’étude réside dans l’effort visant à prendre conscience de la dimension divine de la Torah, la nuit étant le moment propice pour un tel effort car elle permet de révéler plus facilement l’effacement de l’individu. Cet effacement est bien celui qui est demandé et symbolisé par la décroissance de la lune qui commence le 15 Av.

Nous pouvons voir aussi dans cet effacement la caractéristique du mois d’Eloul, qui suit immédiatement et tire sa sanctification de la fin du mois d’Av. Car alors, comme l’explique le Baal Hatanya50, D.ieu est comparable à un roi qui rend visite à ses sujets qui habitent dans les champs de manière à ce qu’ils le consacrent comme leur roi. L’effacement qui caractérise la deuxième partie du mois d’Av et qui imprègne dès lors l’étude de la Torah peut donc aussi être vu comme la préparation préalable à la proclamation de D.ieu comme roi de l’univers, cet acte de soumission représentant, d’après nos Sages, l’acte d’effacement le plus absolu qui puisse exister.

Le roi, qui symbolise D.ieu dans Sa dimension de maître de l’univers, reçoit chacun de ses sujets « avec un visage rayonnant, présente un visage souriant à chacun », et réalise chacun de leurs souhaits.

De la même manière, à Roch Hachana, qui est l’aboutissement du mois d’Eloul, D.ieu accorde à chacun la réalisation de ses souhaits pour le bien, la bénédiction et la vie spirituelle définitive avec la délivrance finale.

Extrait de Likouté Si’hot vol.34, p. 41-50