Il y a des mariages dont, tout au long de notre vie, nous nous rappellerons avec émotion, tendresse et... des larmes. Des larmes de joie bien sûr. Le mariage de Rachel Charansky, l’aînée des deux filles de Natan et Avital Charansky, avec Micha Danziger, un nouvel immigrant venu des États-unis, fut un des mariages les plus poignants auxquels il m’a été donné d’assister.

Ce mariage n’aurait jamais dû avoir lieu et, de ce fait, ne pouvait être un mariage normal. J’observai les invités : d’une part, les jeunes, les amis des mariés, insouciants et simplement heureux, eux qui ne pouvaient comprendre l’importance de l’événement. Et d’autre part les personnes plus âgées, celles qui avaient suivi de près ou même qui avaient participé aux efforts pour la libération de Charansky et pour qui le mariage de Rachel représentait le chapitre final et grandiose de ce combat dramatique.

Je partis saluer la mariée, plus rayonnante et plus heureuse qu’aucune autre. Très belle, elle irradiait d’intelligence, d’enthousiasme et d’humour, accueillant chaque invité avec une grâce et un sourire incomparables. Plus je la regardais et plus j’avais du mal à croire à son existence même.

Dans le monde tel qu’il était dans les années quatre-vingt, les chances pour qu’une Rachel Charansky se marie en 2008 étaient statistiquement infimes : Natan Charansky avait été jeté en prison par les Soviétiques en 1977, juste après son mariage avec Avital. Le couple ne fut réuni qu’après la libération de Charansky en 1986, en échange de plusieurs espions russes. De nombreux jeunes Juifs, à l’époque, avaient organisé des manifestations pour obtenir cette libération, car le seul « crime » de Natan avait été de vouloir revenir à la religion de ses ancêtres et de désirer s’installer sur la terre de ses ancêtres, en Israël.

Je me souviens comment mes parents avaient été scandalisés quand, il y a vingt-cinq ans, un groupe d’entre nous avait fait irruption lors d’un concert de l’ensemble philharmonique de Moscou au Royal Festival Hall de Londres : au milieu du concert, nous avons enlevé nos pulls pour montrer nos « uniformes de prison » que nous portions en dessous ; ensuite nous nous étions enchaînés avec des menottes aux tringles des balcons en criant des slogans pour la liberté des Juifs de Russie. Il ne faut pas croire que ce fut facile. J’en tremblais à l’avance et, au dernier moment, je crus que je n’en aurais pas le courage. La seule chose, oui la seule idée qui me permit de me lever et de crier avec mes amis fut la pensée de Natan en train de croupir dans sa cellule, l’idée qu’il ne reverrait plus Avital si nous n’agissions pas. Oui, l’histoire de Natan et Avital n’était pas qu’un drame d’amour, c’était aussi le symbole de l’oppression millénaire contre les Juifs.

Je contemple Rachel qui évolue parmi les convives, avant de se marier sous le ciel de Jérusalem. Je suis là mais je ne suis pas vraiment là. Je me revois en train de crier « Libérez Charansky ! » devant le si respectable orchestre russe. (Par la suite, j’appris que ces manifestations n’avaient pas eu l’effet souhaité et, comme l’avait indiqué le Rabbi de Loubavitch, elles avaient même été contre productives.)

« C’est un grand jour pour nous tous ! » reconnaît Madame Danziger. Mais moi j’ajoute : « Elle est le bébé de toute la nation ! » et, en retenant mes larmes d’émotion, je conclus : « Elle est l’enfant du miracle ! »

La veille, il a plu toute la journée et même la nuit. Mais le bon D.ieu Lui-même, Lui aussi invité à ce mariage, a décidé de laisser le soleil briller en plein mois de janvier, devant ce paysage éblouissant des collines de Judée. Ils sont tous là, des centaines d’invités : Russes et Israéliens, Américains et Britanniques, députés de la Knesset et journalistes, millionnaires et philanthropes, bébés et personnes âgées.

A la fin de la cérémonie, quand arriva le moment où le fiancé devait – selon la tradition – casser un verre de son pied droit, Natan prit le micro et, dans un mélange d’anglais et d’hébreu, déclara : « Il y a trente-quatre ans, dans un appartement de Moscou, Avital et moi-même nous tenions sous une ‘Houpa (dais nuptial) improvisé : un drap tenu en l’air par quatre jeunes gens. Il y avait juste assez de participants pour former un Minyane (minimum de dix hommes juifs). Nous n’avions jamais assisté auparavant à un mariage juif et nous ne savions pas ce que nous étions supposés dire ou faire. J’ai prononcé les mots que le rabbin me demandait de répéter sans en comprendre le sens. Mais casser le verre, cela nous l’avions bien compris. Nous affrontions une épreuve, bien réelle. Nous savions qu’il nous fallait aller à Jérusalem. Comment ? Combien de temps cela prendrait-il ? Nous l’ignorions mais nous l’avons fait.

Toi, Rachel, tu es née à Jérusalem, tu es la première Sabra de la famille et tu épouses Micha, le premier nouvel immigrant de sa famille. Et la question se pose avec encore plus d’acuité : pourquoi casser un verre ? Nous sommes à Jérusalem et cette ville ne cesse de se construire et de s’étendre magnifiquement.

Mais vous aussi, Micha et Rachel, vous allez affronter des épreuves, différentes des nôtres. Oui, vous allez bâtir votre foyer à Jérusalem mais, tout en gardant les pieds sur terre et en construisant la Jérusalem d’en bas, vous garderez à l’esprit qu’il faut construire la Jérusalem d’en haut, la protéger, l’embellir dans l’esprit de la Torah. Et je crois que votre épreuve, au fond, est peut-être encore plus difficile que ne le fut la nôtre...  »

Bientôt il va pleuvoir mais maintenant le soleil brille, j’écoute Natan, j’observe Avital puis Rachel qui sourit à son mari. Et nous tous, présents à ce mariage, nous ressentons que nous pouvons confier à des gens comme Rachel et Micha l’avenir de Jérusalem.