Et pour les Juifs, il y eut lumière, bonheur, joie et prestige

Esther 8,16

« La lumière » c’est la Torah, « le bonheur » ce sont les fêtes, « la joie » c’est la circoncision, et « le prestige » ce sont les téfiline.

Talmud, Méguila 16b

Pourim est une célébration de la différence.

Haman se plaignit au roi Assuérus qu’« Il existe une nation singulière, dispersée et divisée parmi les nations dans toutes les provinces de ton royaume, dont les lois diffèrent de celles de toutes les nations... » (Livre d’Esther 3,8). Une « nation singulière », Assuérus convint, différente et unique malgré leur dispersion, ne pouvait être tolérée ; il était d’accord avec Haman qu’« il n’est pas avantageux pour le roi de les laisser être... il doit être décrété qu’ils soient détruits ».

La réponse des Juifs au décret de Haman fut d’intensifier leur singularité. Plutôt que de persévérer dans la voie de l'assimilation initiée depuis leur exil de la Terre Sainte trois générations auparavant, ils se sont unis sous la houlette de Mordekhaï, réaffirmant avec ferveur leur singularité en tant que peuple de Dieu.

Après avoir relaté l’histoire de la chute d’Haman et la victoire d’Israël, le Livre d’Esther résume le miracle de Pourim en une phrase : « Et pour les Juifs, il y eut lumière, bonheur, joie et prestige ». Le Talmud interprète ces mots comme une référence aux quatre caractéristiques principales qui distinguent le peuple juif : la Torah, les fêtes, la circoncision et les téfiline. Il y a, bien sûr, 613 mitsvot (commandements divins) et de nombreux principes, lois et coutumes dans la religion juive, mais ces quatre éléments sont distingués comme les exemples par excellence de la singularité juive.

Similarités distinctives

De prime abord, il semblerait que ce soit exactement l’inverse, c’est-à-dire que ces quatre préceptes reflètent en fait la similarité d’Israël avec les autres nations.

L’érudition en soi n’est pas unique aux Juifs : pratiquement chaque communauté et culture a sa croyance et sa philosophie, un canon d’écrits sur lequel ils se basent, et une armée de savants et de juristes pour étudier, interpréter et appliquer cela. De plus, même la Torah en tant que telle n’est pas confinée au peuple d’Israël ; plusieurs religions sont basées dessus, parmi lesquelles deux qui englobent la moitié de l’espèce humaine. Même certaines interprétations spécifiquement juives de la Torah, telles que le Talmud, les écrits de Maïmonide ou les enseignements de la Kabbale, jouissent d’une renommée et d’un intérêt universels.

Les fêtes sont également une caractéristique commune à toutes les sociétés. Il est vrai que seuls les Juifs mangent de la matsa à Pessa’h et sonnent le shofar à Roch Hachana, mais le concept de fête, ou une date désignée pour la commémoration et les rites, est universel. Chaque nation, culture et religion a son calendrier qui marque les événements historiques qui les ont forgés, et commémore ces dates avec des rituels et coutumes appropriés.

Il en va de même des téfiline : seul le Juif attache ces boîtes et ces lanières de cuir sur son bras et sa tête comme symbole de son engagement envers D.ieu, mais là encore le concept est universel. L’anneau de la femme mariée, l’uniforme du soldat, la coiffe du chef indien – tous ces signes sont portés comme des manifestations d’allégeance à un certain groupe ou une certaine cause. Quant à la circoncision, c’est une procédure assez courante, pratiquée par beaucoup pour des raisons de santé et autres.

Et pourtant, la Torah, les fêtes, la circoncision et les téfiline – ou, comme le Livre d’Esther les désigne, « lumière », « bonheur », « joie » et « prestige » – sont les pierres angulaires de la distinction juive. Certes, d’autres nations et sociétés possèdent des éléments similaires, ou pratiquement identiques, dans leur doctrine et leur mode de vie ; mais l’expérience juive de ces mêmes éléments est différente de – voire antithétique à – leurs homologues universels.

Cela constitue la marque ultime de distinction : se différencier non dans les aspects où les différences sont évidentes, mais dans ceux où, malgré une similitude extérieure, on se trouve être intérieurement à des années-lumière.

Sagesse féminine

Comment la Torah du Juif diffère-t-elle du concept universel d’étude et d’érudition ? La clé réside dans le choix du mot hébreu « orah » par le Livre d’Esther, qui est la forme féminine de « or », « lumière », faisant référence à la Torah.

Toute sagesse, dont la fonction est d’illuminer et d’éclairer, est lumière ; mais il existe une lumière masculine et une lumière féminine. La lumière masculine est autogénérée, originale et agressive ; la lumière féminine est réceptive. L’intellect masculin explore l’inconnu, engendre de nouvelles idées et déconstruit les idées fausses. L’intellect féminin s’ouvre à la réception de connaissances d’une source supérieure, assimilant une semence de sagesse révélée pour en déployer toute la richesse de détails et d’applications.

L’étude de la Torah mobilise tant les dimensions masculines que féminines de l’intellect, privilégiant toutefois de manière significative et déterminante l’aspect féminin. En effet, malgré toute sa dialectique talmudique, la Torah n’est pas du tout une affaire d’intellect ; l’intellect n’est qu’un « vêtement », un moyen de transmettre l’essence supra-rationnelle qu’il habille. Étudier la Torah, c’est avant tout se soumettre à une révélation de la vérité divine, faire de son esprit un réceptacle pour la sagesse et la volonté de D.ieu. L’esprit du sage de la Torah n’est pas un générateur d’idées, mais un utérus qui reçoit la vérité divine puis la développe en un principe ou une loi structurée rationnellement.

Le passé présent

La fonction universelle de la fête est de célébrer et de commémorer le passé. La fonction de la fête juive est de revivre le passé – ou plutôt, de déterrer l’essence intemporelle d’un événement passé qui le rend pertinent à l’existence présente.

Le Juif ne se limite pas à commémorer la Sortie d’Égypte à Pessa’h. Par son observance des mitsvot spécifiquement prescrites pour Pessa’h, il accède au don divin de liberté incarné par la Sortie d’Égypte, accomplissant ainsi sa propre « Sortie d’Égypte » – une émancipation des entraves qui limitent sa vie. Il en va de même pour le don de la Torah à Chavouot, l’obtention du pardon à Yom Kippour, etc. : la fête juive est une fenêtre intemporelle dans le temps qui rend les événements « passés » accessibles et réalisables.

Une fête est une « heureuse » occasion. Mais là encore, la joie éprouvée par le Juif, bien que superficiellement similaire à la joie du célébrant non juif, est radicalement différente. Pour le célébrant non juif, une fête est une évasion : en s’immergeant dans un passé joyeux et rose, il peut ignorer en toute sécurité les ennuis et les responsabilités du présent. Il n’est donc pas surprenant que les fêtes entraînent invariablement des dépenses extravagantes, un relâchement des mœurs et des rixes de bar.

Le Juif transcende également le présent lors de ses fêtes, et pour lui aussi, c’est une source de joie. Mais ce n’est pas une joie d’évasion. Au contraire, c’est la joie de pénétrer dans l’essence de son moi actuel pour découvrir le moi intemporel à l’intérieur. Ainsi, sa joie est une joie disciplinée, une joie qui brise les barrières externes tout en amplifiant la concentration intérieure. C’est une joie qui le rend plus responsable, plus attentionné, plus engagé.

Parmi les fêtes juives, celle qui illustre le plus clairement la particularité unique de la célébration juive est Pourim. À Pourim, il est commandé au Juif de « boire jusqu’à ce qu’il ne puisse distinguer entre “maudit soit Haman” et “béni soit Mordékhaï” » (Talmud, Méguila 7b ; Choul’hane Aroukh, Ora’h ‘Haïm 695:2). Pour le Juif, l’ivresse, en particulier celle qui mène à l’irrationalité, est généralement considérée comme répréhensible. C’est à Pourim que nous avons la rare occasion de voir un Juif ivre. Et l’ivresse de Pourim est un spectacle digne d’être observé : émotionnellement débridé, mais moralement contrôlé ; rationnellement incohérent, mais spirituellement vrai.

La joie du sacrifice

La circoncision est une pratique relativement répandue. Beaucoup la subissent pour des raisons de santé, d’autres pour des raisons religieuses. Dans les deux situations, décider de pratiquer la circoncision revient à évaluer les avantages en regard de la douleur qu’elle implique. La procédure est en effet douloureuse, il existe un élément de risque (comme pour toutes les procédures chirurgicales), et il est dit qu’elle diminue le plaisir sexuel. Un Américain qui décide de circoncire son fils pourrait dire : « Certes, il y a des inconvénients, mais les bénéfices pour la santé en valent la peine. » Un garçon musulman pourrait dire : « C’est sûr que ça fait mal, mais ça me permet d’entrer au paradis. »

Ce qui est unique chez le Juif, c’est que, pour lui, la circoncision elle-même est perçue comme quelque chose de positif et de désirable. Quiconque a déjà assisté à une brit mila comprend pourquoi le Livre d’Esther la désigne comme une « joie » : on ne ressent pas l’impression que nous « payons un prix » pour une récompense future. C’est le don de soi pour D.ieu que le Juif désire joyeusement, non pas les résultats ou les récompenses de son sacrifice.

En effet, on peut dire que la circoncision est représentative de tout « sacrifice » : c’est un don de soi au sens le plus physiquement littéral. Le concept de sacrifice est, bien sûr, universel – l’homme fait toujours des sacrifices pour l’avenir, pour ses proches, pour son pays, pour ses convictions. Mais le sacrifice est toujours soit pour quelque futur retour (de son vivant ou dans l’au-delà), soit un devoir inévitable. Pour le Juif, le sacrifice à la demande de D.ieu est une joie.

D’où le phénomène étonnant et rationnellement inexplicable : pratiquement tous les Juifs, indépendamment de leur engagement religieux, pratiquent la circoncision. Des Juifs qui se définissent comme « athées » et « citoyens du monde non confessionnels », comme « progressistes » et méprisant le « rituel religieux primitif », circoncisent leurs fils. Des Juifs qui sont sortis de sept décennies de règne soviétique dépourvus de toute connaissance ou appréciation du judaïsme ont immédiatement organisé des circoncisions pour eux-mêmes, leurs enfants et leurs petits-enfants. Pour le Juif, la circoncision est une expression de son identité, bien plus qu’un acte aux conséquences bénéfiques.

Boîtes Noires

Les téfiline constituent le quatrième élément définissant l’unicité juive : des boîtiers en cuir noir renfermant des parchemins sur lesquels sont inscrits certains passages de la Torah, attachés au bras et sur le front comme symbole de notre relation avec D.ieu.

Chaque communauté et culture possède ses propres tenues et parures symbolisant son identité. Ces objets, de par leur signification, incarnent les perceptions de la beauté et du prestige de ceux qui les portent : l’éclat de l’or dans l’alliance de la mariée, la confection soignée de l’uniforme d’un général, la palette de couleurs de la tenue nationale d’un peuple – tous expriment la fierté d’une personne ou d’un groupe d’être qui ils sont.

Les téfiline se caractérisent par leur austérité épurée. Deux boîtiers sobres que les lois de la Torah prescrivent de laisser sans décoration et de peindre en noir. Car les téfiline n’exprime non pas la fierté, mais la soumission de l’intellect, du cœur et des actions du Juif à l’égard du Tout-Puissant.

Certes, les téfiline incarnent le prestige du Juif, mais celui-ci transcende la représentation esthétique. Le prestige juif prestige réside dans sa servitude envers D.ieu, dans l’engagement de son intellect, de ses émotions et de ses aptitudes envers la volonté suprême.

Pourim célèbre le salut d’un peuple singulier : un peuple dont l’étude, les célébrations, les sacrifices et les marques d’honneur sont si similaires, et pourtant si distinctives, dans la grande famille humaine.

Basé sur un discours du Rabbi de Loubavitch, Pourim 5719 (1959), Likoutei Si’hot vol. III, p. 916-923.