Lorsque le Rabbi précédent, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, se rendit en Terre Sainte en 1929, il conclut son voyage à Jérusalem où il reçut des visiteurs qui souhaitaient recevoir sa bénédiction. Mon père, issu d’une famille ‘hassidique hongroise n’ayant aucun lien avec Loubavitch décida néanmoins de saisir cette occasion pour rencontrer le Rabbi.

« De quoi avez-vous besoin ? », lui demanda le Rabbi.

Mon père était déjà marié et avait déjà des enfants et il ne manquait pas d’argent. Alors, plaisantant à moitié, il a dit au Rabbi : « Que mes enfants soient vos ‘hassidim. »

« Amen », répondit le Rabbi.

Cette bénédiction s’est effectivement accomplie : aujourd’hui, tous les descendants de mon père sont des ‘hassidim ‘Habad.

J’ai moi-même étudié dans des yeshivas ‘Habad à Jérusalem et, après avoir achevé mon cursus, j’ai travaillé quelques années comme conseiller d’éducation dans un établissement d’enseignement pour enfants survivants de la Shoah.

C’est alors qu’une terrible tragédie frappa la communauté de Kfar ‘Habad. Le 11 avril 1956, des terroristes ont attaqué le village et assassiné cinq élèves et leur professeur alors qu’ils priaient au Beth Sefer Lemelakha, une école technique qui accueille principalement des enfants de nouveaux immigrants en Israël. À la suite de cet attentat et du traumatisme qu’il causa aux élèves, on m’a demandé de venir les aider à surmonter le traumatisme qu’ils avaient subi. Je suis resté conseiller scolaire et enseignant à Kfar ‘Habad pendant de nombreuses années.

Tout au long de celles-ci, j’ai été en contact – principalement par écrit – avec le Rabbi qui, en 1951, avait repris la direction de ‘Habad après le décès du Rabbi Précédent. Il a toujours montré un grand intérêt pour chaque aspect de mon travail, allant même jusqu’à demander comment allait chaque enfant. Autant que j’ai essayé de fournir les détails, le Rabbi m’en a toujours demandé plus.

Il m’a aussi offert des conseils concernant mon travail. Il a principalement préconisé de traiter les élèves avec gentillesse. J’ai remarqué que cette approche donnait les meilleurs résultats. Plus je me rapprochais des élèves, plus je m’intéressais à leurs résultats, plus je réussissais à gagner leur confiance, à nouer des liens avec eux et à les influencer.

Le Rabbi a également souligné l’importance de la joie et de la capacité de celle-ci d’avoir un impact positif sur les élèves. Jusqu’à aujourd’hui, des élèves à qui j’ai enseigné il y a quarante ans me rendent visite pour me dire que cette approche a exercé sur eux une impression permanente et qu’ils l’ont reproduite avec leurs propres enfants.

Mais, à l’époque, il y avait à l’école technique des enseignants qui désapprouvaient cette approche, affirmant qu’il fallait plus de rigueur. Lorsque j’ai abordé ce sujet avec le Rabbi, il était totalement en désaccord, affirmant que la seule façon pour un éducateur de réussir à faire progresser spirituellement les enfants est de faire preuve de gentillesse, de proximité et d’amitié. « Nous devons toujours mettre l’accent sur le positif, encourager, responsabiliser et élever, dit-il, parce que chaque bonne parole finira par produire des fruits. »

Le Rabbi a également mis l’accent sur la même approche dans notre travail dans le cadre du mouvement ‘Habad.

Parallèlement au début de mes fonctions à l’école technique, le mouvement ‘Habad a lancé une initiative visant à diffuser le judaïsme dans les communautés agricoles d’Israël. Au début, cette action était plutôt primitive : quelques volontaires, dont moi-même, se sont réunis, ont loué un taxi et se sont rendus au Néguev. Les communautés d’agriculteurs que nous avons visitées étaient peuplées d’immigrants originaires de la péninsule arabique et d’Afrique du Nord, principalement affiliés au mouvement ouvrier socialiste. Au début, ils nous ont considérés avec beaucoup de méfiance et il a fallu un certain temps pour gagner leur confiance. Nous avons également visité des camps de transit, qui étaient contrôlés par le mouvement des kibboutz, et nous avons eu la même expérience avec les résidents de ces camps.

À l’époque, le Rabbi nous a écrit que, malgré la difficulté que représentait le fait de retourner encore et encore dans ces endroits, il était important de tout mettre en œuvre pour rester en contact et de ne pas prendre à la légère l’impact de ces visites. Nous étions en train de « briser la glace », ce qui n’est jamais facile, mais nos efforts ont finalement porté leurs fruits. Beaucoup d’enfants de ces immigrants se sont inscrits dans des écoles religieuses et ont fini par influencer leurs communautés.

Au fil du temps, nos activités se sont davantage organisées, principalement grâce aux efforts du Rav Pinyé Althaus et du président israélien Zalman Shazar, issu d’une famille ‘Habad et proche du Rabbi.

L’une de ces activités comprenait un programme pour les kibboutz intitulé « Une soirée avec ‘Habad », dirigé par l’Organisation de la Jeunesse ‘Habad. Nous invitions les membres du kibboutz à se rassembler après le dîner dans le réfectoire où, après quelques mots d’introduction, nous chantions des mélodies ‘Habad. Ensuite, nous organisions une séance de questions-réponses. Au fur et à mesure que ce programme gagnait en popularité, il suscita une forte demande, si bien que des délégations de ‘hassidim en animaient presque tous les soirs.

Ce programme fut finalement élargi pour inclure les prisons et les bases de l’armée, mais à un moment donné, une opposition s’est manifestée au sein de Tsahal après que quelques soldats soient devenus religieux et aient tout laissé pour aller étudier à la yeshiva.

Mais le Rabbi n’avait jamais préconisé de faire cela. De fait, il ne pensait pas que quelqu’un qui devient religieux doive abandonner ce qu’il est en train de faire, mais qu’il doit plutôt rester à son poste ou dans sa profession – le pilote devrait rester un pilote, l’universitaire devrait rester dans le monde universitaire, etc. – parce que c’est précisément ainsi qu’il pourrait avoir plus d’influence sur les autres.

J’avais des amis non-‘Habad qui ont critiqué nos efforts de sensibilisation en disant : « Vous passez de la pommade à ces personnes non religieuses en leur racontant des histoires ‘hassidiques sur le devoir d’aimer chaque Juif. Au lieu de cela, vous devriez leur dire les choses telles qu’elles sont. Ils doivent savoir qu’ils ne sont rien sans la Torah. »

Lors de ma visite suivante chez le Rabbi, lorsque je suis entré dans son bureau pour une audience privée, je lui ai soumis une question par écrit à ce sujet. Lorsque le Rabbi l’a lue, il est devenu très sérieux et m’a dit : « Les Juifs non religieux ne viennent pas vous demander votre avis sur ce qu’ils font mal ou ce qui leur manque. Ils viennent à vous pour demander ce que vous, en tant que ‘hassid, avez à leur offrir. Si vous leur adressez des réprimandes vous mettez un mur entre vous et eux. Une fois que ce mur sera érigé, il n’y aura plus personne à qui parler ! »

C’était un principe qui caractérisait l’approche du Rabbi – ce qu’il enseignait à tous ses émissaires – de toujours parler du positif lorsqu’il s’agissait de Juifs non observants ; ne jamais insister sur le négatif. Parlez de ce que les enseignements ‘hassidiques ont à leur offrir. Dites-leur : « Vous avez une âme divine, vous êtes précieux pour D.ieu. » Une fois qu’ils auront goûté à la lumière et constaté qu’elle est bonne, ils viendront en demander davantage.