La systématisation qui imprègne le travail de Rabbi Chnéour Zalman s’exprime non seulement dans son style précis et son langage clair, mais se distingue également par le contexte qu’il procure. Chaque sujet apparaît à la place qui lui revient, et se déploie de façon séquentielle depuis les prémisses antérieures jusqu’aux conclusions finales. Cela contraste avec le grand Choul’hane Aroukh, de Rabbi Yossef Caro, qui n’a pour mandat que de fournir des décisions pratiques concernant le comportement concret de l’individu. Pour cette raison, Rabbi Yossef Caro ne fait pas précéder ses décisions des lois fondamentales desquelles découle la législation pratique.
Le Choul’hane Aroukh ne mentionne pas, par exemple, qu’il existe un commandement biblique « d’éliminer (tashbitou) tout le levain de vos maisons »1 le jour précédant Pessa’h, le quatorzième jour de Nissan. Il ne dit pas non plus qu’avant la mi-journée du quatorze Nissan, une déclaration d’annulation (bitoul) et de renoncement à la propriété (hefker) satisfait à l’obligation biblique, sauf que les sages ont décrété que la seule annulation est insuffisante et qu’il faut donc rechercher activement tout levain. Toute cette préface est ignorée, et nous passons directement à : « Au début de la veille du 14, on recherche le levain à la lueur d’une bougie dans les coins et les recoins et dans tous les endroits où le levain est habituellement placé. »2
D’un point de vue pratique, cette déclaration est en elle-même suffisante. Rabbi Chnéour Zalman donne cependant une description plus systématique de la Halakha.
Avant d’arriver aux lois pratiques de la recherche du levain, Rabbi Chnéour Zalman commence par aborder toutes les prémisses nécessaires à une compréhension complète des fondements de ces lois. Il fournit de nombreuses connaissances : l’interdiction de voir le levain (« aucun levain ne t’appartenant ne sera vu »3) commence à la veille du 15 Nissan ; à partir de la mi-journée du quatorze, on transgresse l’ordre « éliminez tout levain de vos maisons » chaque instant où on ne s’y applique pas ; après la mi-journée, il est interdit de tirer profit du levain ; avant la mi-journée, l’annulation est suffisante selon l’exigence biblique, mais pas selon l’ordonnance rabbinique ; selon la loi rabbinique, il est obligatoire de rechercher le levain. De même, le moment où l’on est obligé d’effectuer cette recherche – ainsi que de nombreux autres détails – est spécifié, et chacun de ces éléments est justifié par des raisons et des sources. Au lieu des deux paragraphes que comprend ce chapitre dans le Choul’hane Aroukh de Rabbi Yossef Caro, Rabbi Chnéour Zalman consacre onze longs paragraphes à ce sujet.
Rabbi Chnéour Zalman n’est clairement pas avare de mots ; son explication est expansive. Pourtant, malgré la longueur de ses propos, nous sommes impressionnés par sa prompte précision. Il ne manque rien, mais rien n’est de trop.
La différence entre le Choul’hane Aroukh original de Rabbi Yossef Caro et celui de Rabbi Chnéour Zalman réside non seulement dans les éléments juridiques qui servent d’introduction aux lois pratiques, mais également dans l’ordre dans lequel les lois pratiques elles-mêmes sont présentées. La différence est naturelle et logique, et découle directement des objectifs différents de ces deux œuvres. L’objet de Rabbi Yossef Caro est la pratique de la loi, tandis que l’objet de Rabbi Chnéour Zalman est la connaissance de la loi.
Par exemple, nous avons devant nous une loi qui devrait être respectée d’une manière particulière (lekhate’hilah), mais qui, si accomplie d’une certaine autre manière, répond néanmoins à l’exigence (bedi’avad). Que devrions-nous écrire en premier, la conduite idéale ou l’exigence post facto ? Si l’objectif est pratique, il s’ensuit que le mode de pratique le plus idéal devrait précéder le mode qui l’est le moins. Cependant, si l’objectif est la connaissance de la loi, l’ordre est inversé ; le fondement essentiel de la loi réside généralement dans la manière la moins idéale de son exécution, et c’est pour ajouter de la beauté (hidour) ou du soin (zehirout) que nous préférons être plus rigoureux et aller au-delà de ce qui est absolument nécessaire.
Pour illustrer cela : « Le moment où l’on peut faire la prière du matin... commence au lever du soleil (nets ha‘hamah), comme il est écrit : “Puissent-ils Te craindre en présence du soleil.”4 Si l’on a prié à la première lueur (amoud ha-sha’har), une fois que le ciel s’est éclairé à l’Est, on a rempli son obligation. »5 Ici, Rabbi Yossef Caro place le moment idéal de la prière avant le moment le moins bon. Cependant, en plus d’introduire la loi essentielle de la prière avant de traiter du moment de la prière, Rabbi Chnéour Zalman énonce cette loi elle-même différemment : « Le temps de la prière est semblable au temps du sacrifice tamid [offert jadis au Temple]. Le moment du sacrifice tamid offert le matin commence avec la première lueur (amoud ha-sha’har)... c’est pourquoi l’heure de la prière du matin commence aussi à la première lueur. Cependant, idéalement, le devoir d’un Juif consiste à commencer au lever du soleil (nets ha‘hamah)... plutôt qu’avant, car il est dit : “Puissent-ils Te craindre en présence du soleil.” »
Rabbi Chnéour Zalman n’est clairement pas avare de mots ; son explication est expansive. Pourtant, malgré la longueur de ses paroles, nous sommes impressionnés par sa prompte précision. Chaque mot est compté. Il ne manque rien, mais rien n’est de trop. Chaque phrase, chaque affirmation, voire chaque lettre a un poids et un sens. L’abondance de mots ne sert pas à remplacer le contenu ; la phraséologie fonctionne comme un outil grâce auquel le contenu est transmis de manière transparente avec clarté et éloquence. Par exemple : « Il est interdit de frapper son prochain même s’il lui accorde la permission de le frapper, car l’on ne jouit absolument pas de la propriété de son corps... »6 L’interdiction de s’infliger du mal est rapportée dans la Michna et le Talmud,7 dans le Rambam,8 le Tour et le Choul’hane Aroukh.9 Cependant, dans toutes ces sources, il est simplement écrit que « il ne nous est pas permis » ou « il est interdit. » Rabbi Chnéour Zalman énonce la loi de telle manière d’introduire un élément très novateur et de grand intérêt : « l’on ne jouit absolument pas de la propriété de son corps » ! Le corps de l’homme ne lui appartient pas ; personne n’a le pouvoir d’en faire ce que bon lui semble.
Le Rambam a énoncé les fondements de cette loi en relation avec une loi totalement différente : « Il est interdit au tribunal de prendre une amende d’expiation (kofer) d’un meurtrier, même s’il donnait tout l’argent du monde, et même si les proches de la victime souhaitent lui pardonner, parce que la vie de celui qui a été tué n’est pas la propriété de son parent, mais est la propriété du Saint, béni soit-il. »10 Le Rambam n’a pas simplement écrit que l’âme de la victime n’est pas la propriété de ses proches, mais a également fourni une explication qui étend la loi à un champ d’application plus large. Le même concept apparaît également dans le commentaire de Radbaz (Rabbi David ben Chalom ibn Zimra, 1479-1573) sur le Rambam concernant un troisième élément de la halakha :
Concernant la loi selon laquelle un accusé ne peut être ni tué ni battu sur la base de son propre témoignage – ce qui constitue une dérogation à la règle générale selon laquelle « l’aveu de l’accusé à le poids de cent témoins » – le Radbaz écrit : « On peut attribuer une logique (à cette dérogation), car l’âme d’une personne ne lui appartient pas, mais appartient au Saint, béni soit-il, comme il est écrit : « Les âmes sont à Moi. »11 Ainsi, son aveu ne peut avoir d’effet sur ce qui ne lui appartient pas... Son argent, en revanche, lui appartient, c’est pourquoi nous affirmons que l’aveu de l’inculpé a le poids de cent témoins. »12
Sur la base de ce principe – que Rabbi Chnéour Zalman glisse dans sa formulation de la loi presque incidemment – une nouvelle loi émerge : même si une personne autorise son prochain à le frapper, cette autorisation est ineffective. Deux grands législateurs halakhiques s’opposent à cette position. L’un d’entre eux est un contemporain de Rabbi Chnéour Zalman – le Shaagat Aryeh13 – et l’autre, une autorité ultérieure, le Min’hat ‘Hinoukh.14 Dans un autre article, le présent auteur démontre que la position de Rabbi Chnéour Zalman est celle qui est correcte.15 Cependant, nous ne nous intéressons pas ici à la loi elle-même, mais au style dans lequel elle est transcrite. Cet exemple illustre la simplicité agile et la précision élégante avec lesquelles Rabbi Chnéour Zalman donne les définitions fondamentales sur lesquelles repose la loi.
Une définition halakhique claire est importante non seulement lorsqu’elle débouche sur une décision ou une idée novatrice, à l’instar du principe selon lequel une personne n’a aucun droit de propriété sur son propre corps. Chaque décision, aussi simple soit-elle, est mieux éclairée par la définition précise de ses limites. La phraséologie de Rabbi Chnéour Zalman ne manque jamais de saisir la définition la plus claire de la loi.
Rabbi Yossef Caro écrit : « Il est interdit de construire une tente le Chabbat ou un jour de fête, même si elle est temporaire. »16 Quelle est la définition exacte d’une « tente », et quel type de « tente » n’est pas considéré comme « temporaire » ? Cela n’est expliqué ni dans le Choul’hane Aroukh ni dans les commentaires qui l’encadrent. Cependant, Rabbi Chnéour Zalman s’appuie sur des sources et des commentaires talmudiques antérieurs pour clarifier ces points et énonce la loi comme suit : « Il est interdit, le Chabbat ou un jour de fête, de construire une tente, c’est-à-dire un toit au-dessus de soi pour s’abriter du soleil ou de la pluie ou de quoi que ce soit d’autre, même si elle est temporaire, c’est-à-dire qu’elle n’est pas faite pour durer. »17
Dans le cas de cette « tente », le but de la définition ajoutée est d’expliquer le sens précis d’un terme juridique pertinent au regard de la loi. Dans d’autres cas, c’est la nature même de la loi qui est obscure. Voici une loi concernant le Séder de Pessa’h, telle que formulée respectivement par Rabbi Yossef Caro et Rabbi Chnéour Zalman :
« Il convient de dresser la table alors qu’il fait encore jour, pour pouvoir manger dès le début de la nuit... car il convient de se dépêcher et de manger pour que les enfants ne s’endorment pas. »18 (Rabbi Yossef Caro)
« Il convient de dresser la table alors qu’il fait encore jour, afin de commencer le Séder dès le début de la nuit... car il convient de se dépêcher et de commencer le Séder pour que les enfants ne s’endorment pas. » (Rabbi Chnéour Zalman)
Une simple analyse nous permet de remarquer l’accent mis par Rabbi Chnéour Zalman sur le Séder plutôt que sur le fait de manger : en effet, les questions sont posées par les enfants et il y est répondu pendant la lecture de la Haggadah avant le repas. Si tel est le cas, la crainte que les enfants ne s’endorment nécessite que le Séder commence rapidement, mais n’est pas liée au repas en particulier.
Comme expliqué précédemment, l’objet de Rabbi Yossef Caro est la pratique de la loi, tandis que l’objet de Rabbi Chnéour Zalman est la connaissance de la loi. Ici aussi, la différence de leurs objectifs aide à comprendre pourquoi Rabbi Yossef Caro ne formule pas la loi avec une précision aussi exigeante que Rabbi Chnéour Zalman. D’un point de vue pratique, il n’y a pas de différence. Comme nous mangeons dès qu’il fait nuit, toutes les parties du Seder qui précèdent le repas – y compris les questions des enfants, la lecture de la Haggadah, etc. – seront automatiquement au bon moment. Cependant, pour acquérir une connaissance et une compréhension claires de cette loi, elle doit être correctement définie et contextualisée.
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