L’une des plus belles vertus juives, disait souvent le Baal Chem Tov à ses disciples, est celle de l’hospitalité aux visiteurs (« hakhnassath or’him »). Le véritable makhniss oréa’h (l’hôte qui accueille) est celui qui accueillera même un Juif qu’il n’a jamais vu, et ce avec une affection sincère et une joie réelle.

– Je vais vous montrer ce qu’est un véritable makhniss oréa’h juif, dit un jour le Baal Chem Tov à ses disciples les plus âgés. Préparez-vous à m’accompagner pour un voyage.

Ils partirent. La voiture roulait joyeusement sur un chemin étroit et sinueux. Les collines et les vallons, les bois et les prairies se succédaient, tandis que le Baal Chem Tov dispensait généreusement les trésors de sa sagesse à ses disciples, sagesse qui n’était autre que la sagesse ancienne, mais toujours nouvelle, de la Torah.

Le soleil allait disparaître à l’horizon quand les voyageurs entrèrent dans un village. La voiture s’arrêta devant une vieille maison. Un Juif en sortit et le visage rayonnant, vint en courant au-devant des voyageurs : « Or’him !, s’écria-t-il au comble de la joie. Des visiteurs ! de vrais or’him ! Chalom Aleikhem, chers amis, D.ieu vous bénisse ! » Le villageois serra la main à chacun des voyageurs.

– Vous êtes les bienvenus ! Entrez, entrez donc vous rafraîchir, fit-il. Quelle bonne fortune D.ieu m’envoie ! Et comme pour expliquer sa joie débordante, il ajouta en riant : « On n’a pas souvent le privilège d’avoir des visiteurs dans ce village écarté... Une si grande Mitsva ! »

Le Baal Chem Tov accepta. Il entra dans la maison suivi de ses disciples.

Elle n’était pas luxueuse, mais l’espace n’y manquait pas. Les meilleures chambres furent données aux visiteurs. Sur la table, une généreuse provision de bonne et saine nourriture.

Le Chabbat se passa dans une atmosphère particulièrement imprégnée de sainteté. Pour le repas de Mélavé Malka après la conclusion du Chabbat, de nombreux Juifs du village et de la ville furent invités. C’était l’occasion d’une fête pour l’hôte, et sa figure rayonnante montrait bien combien il était heureux.

Être digne de la vie éternelle

Quelques jours plus tard, quand le Baal Chem Tov fut sur le point de prendre congé de son hôte, il lui demanda s’il avait à formuler un vœu particulier.

– Mon seul désir, saint Rabbi, répondit avec simplicité le villageois, est d’être digne de la vie éternelle dans le monde futur.

– Cela est, pour une grande, part entre vos mains, répondit le Baal Chem Tov.

Puis il invita son hôte à lui rendre visite à Medzibozh, ajoutant que, vu la rareté du vin dans la région, le villageois ferait bien d’emporter avec lui une centaine de barriques de vin, et du meilleur : il pourrait les revendre avec un gain appréciable.

Du temps passa. Le Baal Chem Tov et ses disciples avaient été très favorablement impressionnés par l’hospitalité du villageois, mais les occupations auxquelles ils devaient donner chaque jour toute leur attention en avaient relégué le souvenir au fond de leurs mémoires.

Puis un jour, le Baal Chem Tov dit à ses disciples : « Un groupe de mendiants vient d’arriver dans notre ville. Allez donc leur dire que je les invite pour le repas du Chabbat. »

Ces paroles surprirent les disciples. Tous ceux, mendiants ou étrangers, qui venaient dans la ville, étaient assurés le gîte et le couvert au Foyer d’Accueil qui dépendait de la communauté. « Pourquoi le saint Baal Chem Tov invitait-il ces mendiants chez lui ? », se demandaient les disciples. Mais, bien entendu, ils ne lui posèrent aucune question. S’il le faisait, c’est qu’il avait ses raisons...

Le récit du mendiant

Quand les mendiants furent assis autour de la table, le Baal Chem Tov dit à l’un d’eux :

– Vous souvenez-vous de moi ?

– Si je me souviens ! J’ai eu le privilège de vous recevoir, vous et vos disciples, une fois que vous étiez de passage dans mon village.

Les disciples qui écoutaient dressèrent l’oreille dans l’attente de la suite.

– Dites-nous donc ce qui est arrivé après que nous vous avons quitté, dit le Baal Chem Tov.

Le mendiant fit alors ce récit :

– Quand le Rabbi m’eut invité à lui rendre visite et suggéré d’emporter une centaine de barriques de vin pour les revendre, je ne perdis pas de temps. Je vendis tout ce que je possédais. Avec le produit j’achetai les cent barriques de vin, les voitures et les chevaux nécessaires à leur transport, et je partis.

En chemin, j’eus à traverser une forêt. Je m’y étais déjà engagé depuis quelque temps, quand un orage éclata. Une pluie torrentielle inonda la route. Il me fut impossible d’avancer. Il fallait attendre que la pluie eût cessé et que l’eau se fût écoulée. Je laissai là mes voitures et leur chargement et partis à la recherche d’un abri. À un moment, j’aperçus au loin une faible lumière. J’allai dans sa direction : c’était une maison. À ma grande joie, celui qui l’occupait était un Juif qui avait l’air d’un patriarche, avec sa longue barbe d’argent et des yeux profonds pleins de bonté. Il m’accueillit avec chaleur et me dit que je pouvais profiter de son hospitalité aussi longtemps que je le désirais. Je lui répondis qu’une nuit me suffirait, si l’orage cessait avant le lendemain matin. Je partirais après avoir fait mes prières et pris le petit déjeuner.

Pas de regrets

Le jour suivant, en effet, j’allai retrouver mes voitures et mes chevaux. À ma grande déception, les unes et les autres avaient disparu. Au début, cela me contraria fort. Puis j’en pris mon parti et me dis : « D.ieu m’a donné. D.ieu m’a repris. Que Son Nom soit loué. »

Il n’y avait rien d’autre à faire qu’à poursuivre à pied mon voyage jusqu’à Medzibozh. En chemin, je rencontrai les amis que voici : ils m’accueillirent parmi eux et même firent de moi un membre honoraire de leur association. Avec eux j’arrivai enfin dans cette ville, où nous reçûmes l’invitation du Rabbi. Voilà mon histoire.

– Vous devez regretter d’avoir écouté mon conseil, dit le Baal Chem Tov.

– Oh ! Pas du tout. Rabbi.

– Échangeriez-vous, si vous le pouviez votre Olam Haba (la vie future) contre vos possessions terrestres ?, demanda encore le Rabbi.

– Le Rabbi plaisante, sans doute. Échanger mon Olam Haba contre cent barriques de vin, quelques chevaux et quelques voitures ? Jamais, au grand jamais ! Je suis prêt à mendier pour le reste de ma vie plutôt qu’à faire le sacrifice d’une seule minute de mon Olam Haba !

– C’est ce que je voulais vous entendre dire, fit le Baal Chem Tov avec une satisfaction évidente. Chaque Juif devrait être prêt à renoncer à toutes ses possessions, fût-ce pour une seule minute d’Olam Haba ; et à renoncer à tout son Olam Haba pour chaque minute de Torah et de Mitsvot. C’est ce que nos Sages de la Michna nous ont enseigné. Aucun effort, aucune peine, aucun sacrifice ne devraient être considérés comme trop grands dès lors qu’il s’agit d’apprendre la Torah et d’observer ses commandements. Si vous persévérez dans cette voie, vous pouvez être certain de mériter le Olam Haba – la vie future.

Un sourire heureux éclaira le visage du villageois, tandis que le Baal Chem Tov poursuivait : « Vous croyez qu’il y a longtemps que vous avez quitté votre village pour venir ici, que vous avez traversé bien des étendues, des champs et des forêts. Mais vous vous trompez. De toute manière, le lendemain du Chabbat, vos voitures et leur chargement seront ici. Vous vendrez votre vin, vous réaliserez un bénéfice substantiel et il vous sera possible de pratiquer la Mitsva de Hakhnassath Or’him mieux que jamais. »

Le Baal Chem Tov fut très attentif à tout le groupe de mendiants et particulièrement au villageois, et il eut beaucoup à dire de la grande Mitsva qu’est l’hospitalité, et de la Ahavat Israël – l’amour du prochain – en général.

– Certains pensent, et ils ont raison, ajouta-t-il, que l’amour de D.ieu (Ahavat Hachem) est la porte qui ouvre sur Ahavat Israël. Je dirai que l’inverse est également vrai : Ahavat Israël est la porte qui ouvre sur Ahavat Hachem. Les deux ne sont qu’une seule et même chose, car chaque Juif possède une âme qui est « une partie de la Divinité même ».