Un récit basé sur le Zohar

Rabbi Éléazar, fils de Rabbi Shimon bar Yo’haï, apprit un jour que son beau-père, Rabbi Yossé, était malade et gardait le lit. Il invita son collègue Rabbi Abba et quelques autres à se joindre à lui dans la mitsva de rendre visite au Sage souffrant. Ils partirent.

Il faisait chaud, et la longue marche les fatigua. Ils arrivèrent à un bois. Le feuillage dense des arbres offrait son ombre reposante. L’herbe était tendre, et un ruisseau chantait en coulant non loin de là. Ils s’assirent sur l’herbe et se trouvèrent bien vite engagés dans une discussion animée sur un point de Torah.

Soudain ils virent un grand serpent d’allure peu rassurante se glisser entre les arbres assez près d’eux. Il allait les dépasser quand Rabbi Éléazar‎ dit à voix haute : « Serpent, ô serpent ! Attends un instant. Tu ne peux accomplir ta mission. L’homme à qui tu réservais ton venin mortel s’est repenti. »

Le serpent s’arrêta et demeura immobile. Puis il se mit à se tordre comme sous l’effet d’une grande agitation.

– Alors quoi ? Il faut que tu tues quelqu’un ?, lui demanda Rabbi Éléazar. Puisqu’il en est ainsi, non loin d’ici tu trouveras une grotte ; à l’intérieur se cache un païen cruel. C’est un malfaiteur et un voleur. Il vient justement de dérober son bien à un négociant juif après l’avoir frappé si sauvagement sur la route qu’il l’a laissé pour mort. Voilà ton homme !

Le serpent se redressa, se tortilla comme pris d’une grande joie, et partit en sifflant en direction de la grotte.

Les compagnons du Sage avaient assisté, pleins d’effroi, à cette scène.

Voyant leur surprise, Rabbi Éléazar‎ expliqua : « Si nous ne nous étions pas trouvés ici en ce moment, le serpent aurait poursuivi son chemin pour exécuter la sentence de mort prononcée contre un pécheur. Mais j’avais appris qu’après ce verdict, l‘homme s’était repenti. La repentance dont son esprit était plein, ajoutée aux prières qu’il faisait, a agi de manière que des anges ont essayé de barrer le chemin au reptile. Mais celui-ci ne se laissait pas faire ; il avait une mission à accomplir. Alors je lui ai donné l’ordre d’y renoncer. Il n’avait d’autre choix que d’obéir. Il demandait toutefois une autre victime afin que la mission fût tout de même accomplie. Je l’ai dirigé vers le malfaiteur, comme vous avez entendu. »

Un cadavre et de l’or

Ces révélations, loin d’apaiser la curiosité des compagnons de Rabbi Éléazar‎, ne firent que l’exciter davantage.

– Comment savais-tu tout cela ? demandèrent-ils.

– Mon saint père, Rabbi Shimon, a été mon maître. Il m’a révélé beaucoup de secrets de la Torah, répondit Rabbi Éléazar. Mais allons plutôt voir comment le serpent s’est acquitté de sa mission.

Il conduisit le groupe jusqu’à une grotte située au pied d’une colline à l’intérieur du bois. Tous y pénétrèrent. Ils y trouvèrent un cadavre gisant sur le sol, autour duquel le serpent était enroulé. Il montait la garde autour de deux sacs de pièces d’or et d’argent.

S’adressant au reptile, Rabbi Éléazar‎ dit : « Serpent, ô serpent ! Tu t’es acquitté scrupuleusement de ta mission. Retourne là d’où tu es venu. Et à partir de maintenant, tu t’abstiendras de faire du mal à qui que ce soit ! » Le serpent relâcha son étreinte, baissa la tête devant le Sage et disparut.

Rabbi Éléazar ramassa les deux sacs et revint avec ses compagnons vers le lieu ombragé qu’ils venaient de quitter. Quelques instants après, ils entendirent non loin d’eux quelqu’un qui se lamentait d’une voix affaiblie. C’était un homme qui priait :

– Maître de l’Univers, disait-il. Tu sais bien que ce n’est pas la perte de mon argent qui m’afflige... Je ne me plains pas non plus des violences dont j’ai été victime de la part de ce malfaiteur... J’ai sûrement péché, et je mérite mes souffrances. Mais c’est à mes vieux parents que je pense.  Ils comptent sur moi pour subvenir à leurs besoins. Je pense aussi à ma femme et à mes enfants. Comment vais-je pouvoir les nourrir ? Enfin, que dirai-je à cet homme aux ressources si modestes qui m’a confié toutes ses économies si péniblement amassées, qu’il destinait à la dot de sa fille ? Pourquoi cette innocente créature devrait-elle être privée d’un époux à cause de mes péchés ? Ô, mon D.ieu que j’aime, réponds-moi !

Rabbi Éléazar alla vers l’homme et lui dit : « D.ieu a accepté ta prière. Ton argent te sera rendu si tu peux me donner quelque signe par lequel il peut être identifié. »

Une mitsva pour mission

La joie illumina le visage de l’homme. Il décrivit le sac, ajoutant qu’il en contenait un autre plus petit dans lequel se trouvaient quatre cents pièces d’or qui appartenaient justement au père de la future mariée. Rabbi Éléazar rendit le sac à l’étranger, qui remercia D.ieu et Le loua pour ce grand miracle. Rabbi Éléazar lui souhaita de se remettre rapidement de ses blessures. L’homme se sentait déjà tellement mieux qu’il était prêt à poursuivre sa route.

– Attends ! lui dit Rabbi Éléazar. Puisque D.ieu a été si bon pour toi, et qu’il nous a été possible de t’aider, je voudrais te charger d’une mitsva. Voici un autre sac plein d’or que j’ai trouvé en même temps que le tien auprès du voleur. Il appartient à un riche négociant appelé Shimon, qui vit dans la ville la plus proche. Cet argent lui a été enlevé par le fils même du voleur. Tu le lui rapporteras. Sa maison est facile à trouver, car sa femme étant décédée il y a peu, il observe une chiva (les sept jours de deuil). Tu lui transmettras nos condoléances et tu lui diras que son fils est en chemin et rentrera bientôt.

Les limitations physiques

L’homme promit de s’acquitter scrupuleusement de cette mission. Il baisa, par gratitude et révérence, les mains de Rabbi Éléazar‎, et s’en fut.

Encore une fois, les compagnons du Sage étaient stupéfaits. Ils venaient d‘être témoins de plus d’un miracle ! Comment était-il possible à un être humain d’en savoir tant ?

Devinant leurs pensées, Rabbi Éléazar leur dit : « À l’époque où je me cachais avec mon père pour échapper aux recherches des Romains, demeurant avec lui dans une grotte treize années que nous avons consacrées à l’étude sacrée de la Torah, notre corps et notre esprit ont été purifiés et spiritualisés, si bien que nos limites physiques ont disparu et que les choses matérielles ont cessé d’être, comme pour les autres humains, un obstacle à notre vision. »

Rabbi Éléazar et ses compagnons poursuivirent leur route. Arrivés auprès de Rabbi Yossé, ils le trouvèrent complètement rétabli. « Le Guérisseur de toute chair m’a envoyé Sa guérison rapide et complète. Que Son Nom soit loué ! » leur dit-il.

Les visiteurs en profitèrent pour demeurer avec le Sage de longs jours qu’ils consacrèrent à l’étude fervente et assidue de la Torah.