Puisqu’il n’y a rien d’autre que Son unité, quelle place nous reste-t-il pour faire la moindre différence ?
La réponse courte :
Oui, il n’y a rien d’autre que Son Unité, mais cette Unité comprend le fait qu’Il a créé un monde. Un monde signifie un endroit où il y a le libre arbitre.
Une réponse un peu plus longue :
Cette question touche à l’essence de la Torah et du judaïsme : il n’y a rien d’autre que Lui, et nous Le servons. Oui, c’est un paradoxe – car s’il n’y a rien d’autre que Lui, que faisons-nous là à Le servir ?
Cela est exprimé dans la croyance la plus fondamentale de la foi juive. Un Juif déclare matin et soir : « Écoute Israël, l’Éternel est notre D.ieu, l’Éternel est Un. » Or, s’Il est un, il n’y a rien d’autre. Ainsi, rien, pas même ce monde, n’est extérieur à Son Unité. Où que vous portiez votre regard, il n’y a rien d’autre que Lui.
Et ensuite, nous disons : « Béni soit le nom de la gloire de Son royaume, toujours et à jamais. » Voilà qu’il y a maintenant un royaume ! Quelque chose d’extérieur au roi, sur lequel il exerce son règne ! Cela implique qu’il y a un monde indépendant de Lui, et qu’Il le domine. Mais ne venons-nous pas de dire qu’il n’existe rien d’autre que Son Unité ?
La solution la plus simple serait de dire que le monde entier et tout ce qui s’y produit ne sont qu’une illusion. Beaucoup de philosophes existentialistes, y compris les hindous et les bouddhistes, ont trouvé cette « porte de sortie » : nous ne faisons qu’imaginer que nous existons, nous nous imaginons que nous avons le libre arbitre, mais il n’y a aucune vérité ni aucun sens à cela, et il est préférable que nous sortions de ce rêve et que nous nous éveillions au fait que nous ne sommes rien d’autre que des produits de notre imagination. Certains appellent cela la transcendance, d’autres l’éveil spirituel. Le libre arbitre, pour eux, n’est qu’une illusion parmi toutes celles qui frappent ceux qui sont piégés dans les ténèbres.
La Torah, cependant, ne fournit pas de sorties faciles. Elle commence ainsi : « Au commencement, D.ieu créa les cieux et la terre. » Il les a réellement créés. Et puis Il nous a dit : « Fais ceci, ne fais pas cela. » Ce qui signifie qu’Il considère tout cela comme une réalité.
Quand il fut demandé à Rabbi Mena’hem Mendel de Loubavitch (1789-1866) une preuve que notre réalité n’est pas une illusion, il cita la Michna concernant Chabbat : Celui qui prétend récolter le Chabbat par voie d’illusion (par prestidigitation) est exempt de peine. Si le monde entier n’était qu’une illusion, a expliqué le Rabbi, personne ne pourrait jamais se rendre coupable de transgresser le Chabbat !
Le Créateur a créé un monde. Un monde réel. Et cela signifie que c’est un lieu où nos actions font une différence. Il a décidé que cet endroit existerait vraiment, qu’il ne serait pas une simple illusion. Et donc il existe.
Comment cela s’accorde avec Son Unité absolue est un paradoxe. Il a donc créé un paradoxe. C’est bien à cela que se résume la création d’un monde à partir du néant : faire l’impossible. Créer un monde signifie la création d’une seconde réalité : la première réalité est qu’il n’y a rien d’autre que Lui. La seconde réalité est qu’il y a là un monde qu’Il maintient en existence. Les deux réalités sont vraies.
Dans la ‘Hassidout ‘Habad, ces deux réalités sont appelées Daat Elyone et Daat Ta’htone, littéralement, la Conscience Supérieure et la Conscience Inférieure. Les réponses 1 à 4 ci-dessus étaient exclusivement basées sur la perspective de la Conscience Inférieure.
Dans son œuvre mystique classique Avodat HaKodech, Rabbi Méir Gabbaï développe une idée qui permet de saisir ce paradoxe :
« Tout comme Il a le pouvoir de l’infini, Il a le pouvoir de la finitude. Car dire qu’Il n’a pas ce pouvoir de la finitude revient à diminuer Sa perfection. »
La capacité de cette Unité de s’exprimer dans des formes et des pluralités finies n’est ainsi rien d’autre que l’expression ultime de l’Unité parfaite. Une Unité au rabais est impuissante. L’Unité ultime de D.ieu est exprimée dans le fait qu’Il nous crée dotés de notre capacité de libre arbitre.
Pour comprendre ceci, l’analogie suivante est donnée : un maître sage et éclairé a atteint une grande vérité. Mais est-il capable d’exprimer cette vérité en des termes qu’un simple étudiant puisse saisir ? Même s’il distingue les éléments de cette vérité que son élève peut comprendre de ceux qui le dépassent largement, même s’il réduit cent fois l’intensité de sa révélation, l’idée demeurera en dehors du monde de l’étudiant. Pour connecter l’étudiant à son expérience, il doit habiller celle-ci dans des paraboles et des exemples empruntés au monde de l’étudiant, en utilisant des termes, des objets et des personnages entièrement étrangers, voire diamétralement opposés, à la pensée essentielle qu’il souhaite communiquer.
S’il ne peut pas accomplir cette tâche, alors, quels que soient la grandeur et le génie de sa révélation, celle-ci s’avèrera être d’une portée limitée. Elle existera dans son monde, mais pas dans celui de ses élèves. Si, en revanche, il réussit, il aura révélé le véritable caractère illimité de sa vérité : que, telle la vitesse de la lumière, elle fonctionne de la même manière quel que soit le cadre de référence.
Il en est de même de ce qui précède : si l’Unité exclut la possibilité qu’il existe autre chose que l’unité simple et infinie, alors cela est en soi une limitation. La véritable Unité est exprimée dans la capacité à supporter son contraire : l’autonomie d’un être créé. Lorsque ces deux pôles coexistent, ne diminuant l’autre en aucune façon, l’Unité est exprimée dans sa forme ultime.
Comme les mouvements d’un maître des arts martiaux orientaux dans lesquels fusionnent l’immobilité et le mouvement, la douceur et la force, la Torah danse entre la singularité de D.ieu et notre réalité multiforme. Si vous ne saisissez qu’une seule de ces vérités, vous n’avez aucune vérité. Saisissez les deux à la fois, et vous avez D.ieu.
Passons à la question suivante :
Si D.ieu est la Cause première, n’est-ce pas Lui qui dirige tout ?
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