Lors de la fête de Pourim, en 1971, j’ai assisté à un rassemblement ‘hassidique avec le Rabbi de Loubavitch. Nous étions plusieurs milliers, tous à chanter et à battre de mains. J’étais venu avec un jeune homme qui, à cette époque, était confus au sujet de ses croyances. Je restai à ma place habituelle, à quelques mètres sur la droite derrière le Rabbi. Mon invité se tenait juste à côté de moi. Son visage était écarlate, à la fois de peur et de culpabilité. Il avait ce genre d’yeux bleus grands ouverts qui semblent fixer un brasier en permanence.
Au bout de plusieurs heures, mes jambes et mes pieds me faisaient mal, et je me sentais un peu étourdi par le manque d’air. Je songeais à sortir pour faire une pause lorsque, sans crier gare, le Rabbi se tourna vers moi et, me regardant droit dans les yeux, il mit deux doigts sur sa bouche et hocha la tête dans ma direction à plusieurs reprises. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire. À chacun de ses hochements de tête, je répondis par un haussement d’épaules. Ses doigts étaient toujours posés sur sa lèvre inférieure et il hocha la tête encore une fois, cette fois-ci très vigoureusement. La pensée me traversa l’esprit qu’il était peut-être en train de m’ordonner de siffler, mais je l’ai rejetée. Jamais un homme de sa noblesse ne demanderait quelque chose d’aussi ridicule !
J’ai regardé derrière moi pour m’assurer qu’il ne s’adressait pas à quelqu’un d’autre et je m’aperçus que tout le monde me regardait. Je me tournais de nouveau vers le Rabbi, me disant que si je me mettais à siffler, les ‘hassidim me jetteraient immédiatement dehors. Je n’allais pas prendre de risques. J’allais d’abord imiter le sifflement. J’ai placé deux doigts sur ma bouche et j’ai attendu.
Le visage du Rabbi s’illumina.
C’était ça ! J’ai pénétré une dimension inconnue au moment où j’émettais mon premier sifflement. Le premier fut timide, mais je pris vite de l’assurance et je me suis mis à siffler de toutes mes forces. D’autres se joignirent bientôt à moi et nous fûmes bientôt des centaines à siffler. L’atmosphère s’enflamma sous l’effet des sons perçants. Ma lèvre inférieure, en lambeaux, me faisait souffrir. Mais le Rabbi ne me laissait pas m’arrêter. Il prenait l’affaire très au sérieux.
Il demanda encore plus d’énergie et moi, dans un accès d’imagination brusquement débridée, j’imaginais d’épais nuages noirs et menaçants se réduire en poussière. Nous mîmes les ténèbres en déroute avec notre souffle collectif. Les esprits étaient soudain libérés de tout endoctrinement, et je savais que mon invité était purgé de sa folie. Toute douce séduction murmurée par l’autre côté était balayée par le vent puissant que nous avions suscité. Tous les arguments fallacieux s’envolaient comme des chauves-souris terrifiées alors que nous nous époumonions en nous engageant dans une guerre totale – menée loyalement, vent contre vent – contre ces émotions irrationnelles qui se font passer pour des pensées, mais qui ne sont fondamentalement que du vent. Nous écartâmes tous ces ennemis vaporeux sans souffrir de perte ; même ceux qui chantaient n’eurent pas mal à la gorge alors qu’ils accompagnaient notre souffle.
Notre dernier sifflement s’éleva comme le cri plaintif de la corne de bélier. Je me disais que toute cette extravagance devait avoir un sens, que c’était une répétition de la Rédemption, lorsque le Rabbi y mit fin.
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