Abe Saks (prononcez « eïb »), alors entraîneur de l’équipe de basket des Harlem Globetrotters, était scotché à son écran de télévision. On était en 1973 et la télévision diffusait une série intitulée « Religious America » qui décrivait la vie spirituelle de différents Américains. Cette semaine là, la télévision montrait des scènes de la vie Loubavitch dans le quartier de Crown Heights à Brooklyn : les prières avec le Rabbi de Loubavitch, un mariage ‘hassidique, la circoncision d’un bébé de huit jours. Abe était subjugué. De tout ce qu’il voyait, c’était particulièrement par les images du Rabbi qu’il était le plus captivé.
Sur un coup de tête, à peine l’émission terminée, Abe sauta dans un métro et se rendit à l’adresse qu’il avait vue à l’écran : « 770 Eastern Parkway », la synagogue centrale de Loubavitch.
Il fut immédiatement accueilli par des ‘Hassidim dans la rue, qui lui posèrent la désormais célèbre question : « Voudriez-vous mettre les téfilines ? » Sous le coup de son inspiration – de son exaltation, serait plus juste –, il accepta de mettre les téfilines, chose qu’il n’avait pas fait depuis plus de trente ans. En réponse à sa question de quand et où il pourrait rencontrer le Rabbi, on lui donna la date du prochain farbrenguen (rassemblement ‘hassidique public).
Depuis ce jour, Abe veilla à mettre les téfilines chaque jour.
Le jour du farbrenguen arriva, et Abe fit en sorte d’arriver quelques heures en avance de manière à avoir une bonne place. S’il fut saisi par les chants et l’ambiance particulière qui régnait dans le lieu, c’est l’occasion d’apercevoir le visage du Rabbi qu’il apprécia le plus. Cette vision suscita en Abe un indescriptible sentiment jubilatoire.
Abe devint un visiteur assidu du bâtiment de briques rouges sur Eastern Parkway. Chaque fois qu’il se sentait déprimé, il se rendait au 770. Peu lui importait le long trajet : voir ce sourire et ces yeux valait tous les efforts. Et, bien sûr, à chaque farbrenguen du Rabbi, Abe était là, applaudissant et chantant avec la foule.
Un jour, le Rabbi informa soudain ses secrétaires de son intention de tenir un farbrenguen surprise. La nouvelle se répandit rapidement parmi les ‘Hassidim qui accoururent au 770.
Abe arriva au 770 le lendemain matin, entendit parler du farbrenguen de la nuit précédente, et fut profondément déçu de l’avoir manqué. Il se consola en pensant qu’il allait bientôt voir le Rabbi lorsqu’il entrerait dans la salle de prière pour l’office du matin.
Quand le Rabbi entra dans la pièce, il n’alla pas directement à sa place comme d’habitude. Sur le chemin, il s’arrêta au niveau de Abe et s’adressa à lui : « Je ne vous ai pas vu hier. Où étiez-vous ? » Abe répondit qu’il n’avait pas été informé du farbrenguen inopiné.
« Personne ne vous a informé ? » demanda le Rabbi.
À partir de ce jour, Abe fut systématiquement averti chaque fois qu’un farbrenguen devait avoir lieu.
Petit à petit, Abe étudia son héritage juif et acquis des connaissances à ce sujet. Plusieurs personnes le « coachèrent », et il reçut constamment les encouragements du Rabbi.
Au début, Abe ne savait pas lire l’hébreu. Un soir, en récitant le Chema en anglais, il fondit en larmes, bouleversé. « Pourquoi ne puis-je pas lire l’hébreu ? Pourquoi ne suis-je pas capable de réciter le Chema et les autres prières dans le texte original, la langue sainte ? » murmura-t-il dans l’angoisse.
Le lendemain, Abe se rendit à 770 pour se remonter le moral. Il se posta dans le hall à l’entrée du 770, juste devant la pièce où le Rabbi écoutait à ce moment la lecture de la Torah. En revenant à son bureau, le Rabbi rencontra Abe. Avant que celui-ci ait pu prononcer un mot, le Rabbi dit avec un large sourire : « D.ieu Tout-Puissant comprend toutes les langues, y compris l’anglais. »
Une autre fois, incapable de dormir, Abe débarqua au 770 aux petites heures du matin. Le Rabbi s’apprêtait alors à rentrer chez lui après avoir reçu des visiteurs en ye’hidout (audience privée) pendant de nombreuses heures. En voyant Abe, le Rabbi lui dit : « Un Juif doit dormir pour avoir des forces pour le lendemain. »
Abe répondit : « Vous non plus ne dormez pas beaucoup la nuit. »
Le Rabbi lui dit alors : « Je ne dors pas parce que je suis inquiet et préoccupé par les nombreuses requêtes que je reçois. Mais vous, pourquoi ne dormez-vous pas ? »
En racontant cette histoire, des années plus tard, Abe déclara : « A partir de ce moment, je me suis efforcé de dormir la nuit, afin que le Rabbi ne s’inquiète pas pour moi ! »
Au fil des ans, Abe apprit l’hébreu et commença à suivre des cours à Hadar Hatorah, une académie pour les débutants dans la pratique juive, située à Crown Heights.
Abe apprécia particulièrement un programme appelé « Encounter with Chabad » (« Rencontre avec ‘Habad »), où des gens de tous les horizons venaient passer un week-end avec la communauté de Crown Heights et en apprendre davantage sur leur héritage juif. Il assistait à l’intégralité du programme de conférences.
Une fois, quand un groupe d’étudiants vint à Crown Heights pour un de ces week-ends, le Rabbi vit Abe avec eux et lui demanda de « coacher les élèves dans le judaïsme ».
Ayant été lui-même « coaché », il était désormais capable de coacher les autres. Et l’entraîneur de basket devint aussi un entraîneur dans le judaïsme.
Après le décès de Abe le Chabbat 3 novembre 1985 (le 3 Kislev 5746), le Rabbi paya les frais de ses funérailles et de la récitation du Kaddich des endeuillés.1
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