Toute question a-t-elle nécessairement une réponse ? Toute tragédie a-t-elle une explication ? Comment suis-je censé réagir devant le meurtre abominable et insensé d’hommes, de femmes ou d’enfants innocents ?
Je fais écho aux paroles des anges horrifiés, exclamées lorsqu’ils furent témoin de l’exécution barbare des saints Dix Martyrs, ces mots que nous répétons chaque année dans la liturgie de Yom Kippour : « Est-ce là la Torah et est-ce là sa récompense ?! Regarde, regarde D.ieu ! Vois ce que l’ennemi est en train de faire ! »
Dans ma jeunesse, j’ai eu le mérite de passer du temps en présence du Rabbi. De manière générale, le Rabbi irradiait l’optimisme, la foi et la joie. Son enthousiasme était communicatif et exaltant.
« Regarde, regarde D.ieu ! Vois ce que l’ennemi est en train de faire ! »Mais j’ai un souvenir qui ne me quittera jamais. C’était le 9 Adar I 5752 (le 13 février 1992). C’était le dernier jour des chiva de Mme Pesha Léah Lapaïn, une résidente de Crown Heights assassinée de sang-froid par un agresseur qui s’était introduit dans sa maison. Ce soir-là, le Rabbi s’était adressé à la foule rassemblée au « 770 », le quartier général mondial du mouvement ‘Habad-Loubavitch. Je fus bouleversé par les paroles du Rabbi, prononcées avec tant d’émotion et de douleur. En parlant, le Rabbi tremblait. Même son pupitre tremblait.
Ce qui suit est extrait du discours du Rabbi, ce soir-là :
« Ce qui est arrivé – un martyr flagrant – est totalement incompréhensible !
Il n’y a personne vers qui se tourner pour avoir une explication. Toutes les personnes ici présentes, y compris moi-même, sont semblablement déconcertées. Alors que gagnons-nous à questionner ? La question demeurera...
Mourir al kidouch Hachem, pour la sanctification du nom de D.ieu, est un mérite inimaginable, comme l’illustre cet épisode :
Le vénérable Rabbi Yossef Karo avait atteint un niveau spirituel si élevé qu’il fut informé d’En-haut qu’il avait « gagné » le mérite de mourir al kidouch Hachem. Mais plus tard, à cause de son implication dans un incident qui n’était pas approprié – en considérant sa haute stature spirituelle –, ce privilège lui fut refusé.
Que se passa-t-il après ? Il vécut de nombreuses années fructueuses et composa le Choul’hane Aroukh, le Code de Loi Juive. En écrivant ce code universellement accepté, Rabbi Yossef Karo devint de fait le rabbin de tous les Juifs jusqu’à la fin des temps.
Et pourtant, malgré toutes ses réalisations ultérieures, il se vit « refuser le privilège » de mourir al kidouch Hachem ; c’est-à-dire que mourir al kidouch Hachem aurait été considéré comme un mérite encore plus grand que d’être le rabbin de tous les Juifs de toutes les générations suivantes !
Que gagnons-nous à questionner ?La grandeur de mourir al kidouch Hachem est encore amplifiée dans le cas présent, car la victime était une jeune mère qui laissa derrière elle de jeunes enfants. Cela signifie qu’elle abandonne à quelqu’un d’autre la tâche d’élever et d’éduquer ses enfants. C’est le plus grand sacrifice qui puisse être pour une mère.
Pour de nombreuses années à venir – si, à D.ieu ne plaise, l’accomplissement de la prophétie « Ceux qui gisent dans la poussière se lèveront et chanteront » devait tarder à se réaliser – ces enfants se languiront de leur mère. Ils raconteront à leurs propres enfants combien leur mère leur manque, et ils leur diront qu’elle a mérité de sanctifier le nom de D.ieu...
Quand cela suffit, cela suffit ! Toutes les souffrances que nous avons endurées jusqu’à présent ne sont-elles pas assez ?
Quant au fait que D.ieu retire du na’hat et du plaisir du sacrifice de soi d’un Juif, il suffit pour cela du sacrifice de soi du fait même qu’un Juif se trouve en exil, sachant que cet exil dure depuis plus de 1900 ans, et que Machia’h n’est pas encore venu !
Un autre jour passe, une autre semaine passe, un autre moment passe... et Machia’h n’est pas encore venu. Nous disons, nous pensons et nous crions « Ad mataï ! », combien de temps devrons-nous encore attendre dans cet exil ? Et que voyons-nous arriver ? La sanctification du nom de D.ieu ; une âme juive est arrachée à ce monde ; une mère est enlevée à ses enfants.
Puissions-nous n’avoir plus aucun besoin de parler de ces choses-là parce que la Délivrance sera arrivée sans plus tarder. « Ceux qui gisent dans la poussière se lèveront et chanteront », et ceux qui sont morts al kidouch Hachem mériteront de ressusciter en premier. Et alors cette jeune femme retrouvera ses enfants et continuera de les éduquer avec un cœur joyeux.
Puisse ceci arriver dans le futur immédiat, sans le moindre délai. »
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