Connaître D.ieu
Rabbi Chnéour Zalman, l’auteur de « Chaar HaYi’houd VehaÉmounah » – « la Porte de l’Unité et de la Foi », est le fondateur de ‘Habad, la branche intellectuelle du ‘Hassidisme. Une différence fondamentale existe entre les enseignements de ‘Habad et ceux du ‘Hassidisme en général : ‘Habad fait de la connaissance de la Divinité une obligation qui s’ajoute à la foi toute simple. Foi et connaissance, explique Rabbi Chnéour Zalman, sont le complément l’une de l’autre ; toutes deux sont nécessaires pour nous permettre de servir D.ieu adéquatement. De réfléchir à la grandeur du Créateur et de contempler Ses actions merveilleuses, cela nous fait concevoir, fût-ce dans une faible mesure, Sa puissance infinie. De cette conception, même limitée, résulte un amour pour D.ieu, et le désir de le manifester par l’observance de Ses commandements. De la même manière, celui dont la pensée s’attarde à l’incommensurable essence du Créateur éprouve un sentiment de respect et de crainte qui le gardera des actions contraires à Sa volonté.
Selon Rabbi Chnéour Zalman, l’homme doit s’efforcer de pénétrer le sens de la Divinité jusqu’aux limites de ses capacités intellectuellesToutefois, le savoir humain a des limites, et l’homme ne peut appréhender intellectuellement ce qui le dépasse. La raison humaine ne peut concevoir l’essence véritable de D.ieu en raison de ce qui les sépare même : D.ieu est parfait, et la raison humaine est imparfaite. Aussi l’homme doit suppléer par la foi à la carence de sa raison quand il ne peut, par elle, appréhender certains aspects de D.ieu. Selon Rabbi Chnéour Zalman, l’homme doit s’efforcer de pénétrer le sens de la Divinité jusqu’aux limites extrêmes de ses capacités intellectuelles ; au-delà de ces limites, la foi doit lui suffire. En commençant par le maximum de nos facultés de compréhension, et en continuant par la foi pure, nous en arrivons à servir D.ieu avec beaucoup d’ardeur et d’élan.1
Dans son introduction à Chaar HaYi’houd VehaÉmounah, intitulée « l’Éducation de l’Enfant », l’auteur insiste sur la nécessité d’apprendre même à un jeune enfant à aimer D.ieu et à avoir foi en lui. Car il portera en lui, tant qu’il vivra, cet amour et cette foi qui constitueront une base solide pour la réalisation du but suprême de sa vie : l’accomplissement de ses devoirs religieux.
L’Unité Divine
Les douze chapitres qui forment Chaar HaYi’houd VehaÉmounah exposent avec beaucoup de pénétration et de profondeur plusieurs concepts philosophiques juifs fondamentaux. Parmi eux citons la création ex nihilo, la divine providence, Son essence et Ses attributs, Son immanence et Sa transcendance, enfin la doctrine du Tsimtsoum. Mais l’idée centrale de cette œuvre, le pivot autour duquel évoluent tous les autres concepts, est le principe de Yi’houd haChem, l’Unité Divine.
Les Juifs proclament journellement par le Chéma Yisraël – « Écoute, Israël, l’Éternel notre D.ieu, l’Éternel est Un »2 – cette unité. Durant la longue histoire de l’exil et des peines endurés par les Juifs, innombrables furent ceux qui préférèrent renoncer à la vie plutôt qu’à leur foi en Son Unité, en Son Unicité.3
La signification essentielle de la doctrine de l’Unité Divine, c’est la croyance au monothéisme absolu : il n’y a qu’un D.ieu et nul autre que Lui. C’est la négation du polythéisme, qui est l’adoration de plusieurs dieux, et du paganisme qui est la déification d’une chose, d’un être fini ou d’une force naturelle. C’est aussi le refus du dualisme basé sur l’opposition de deux puissances rivales, celle du bien et celle du mal. C’est enfin le rejet du panthéisme qui assimile D.ieu à la nature et Le confond avec elle.
Le processus créateur ne s’est pas arrêté à la fin des Six Jours de la Création ; il se poursuit toujours, au contraire, renouvelant de manière continue toute existence.L’interprétation de Maïmonide de l’unité de D.ieu souligne elle aussi le fait que Son Essence et Son Être sont une unité simple et parfaite, inséparable et indivisible, libre de toutes propriétés et de tous attributs physiques. Voici ses propres termes :
« D.ieu est Un. Il n’est pas deux ou plus, mais Un. Rien de ce qui existe dans l’univers et à quoi le terme « un » est appliqué ne peut être comparé à l’unité de D.ieu ni telle unité d’espèce composée de plusieurs unités secondaires, ou un corps physique formé de parties. Son unité est telle qu’il n’est pas d’autre unité qui lui soit pareille dans le monde... La connaissance de cette vérité est un précepte positif, ainsi qu’il est écrit : « Écoute Israël, l’Éternel notre D.ieu, l’Éternel est Un».4
L’interprétation ‘hassidique de l’Unité, basée sur les concepts Zohariques de « l’Unité du Degré Inférieur » et de « l’Unité du Degré Supérieur », lui donne une signification plus profonde. Rabbi Chnéour Zalman explique que l’Unité Divine n’exclut pas seulement l’existence de puissances dirigeantes autres que D.ieu ou d’une pluralité quelconque en Lui, mais aussi toute existence, quelle qu’elle soit, en dehors de Lui. L’univers paraît avoir une existence indépendante de son Créateur seulement parce que nous ne percevons pas la force créatrice qu’il contient et dans laquelle il ne serait pas. Tout le créé, qu’il soit terrestre ou céleste, existe seulement grâce au flux de vie et à la vitalité continus qui émanent de D.ieu et qui l’animent. Le processus créateur ne s’est pas arrêté à la fin des Six Jours de la Création ; il se poursuit toujours, au contraire, renouvelant de manière continue toute existence. Cette puissance créatrice se retirerait fût-ce un instant, toute existence plongerait aussitôt dans le néant ; un néant exactement semblable à celui qui précédait les Six Jours de la Création. Ainsi, l’essence et la réalité de l’univers et de tout ce qu’il contient ne sont autres que la puissance Divine qui les habite. Cet aspect de l’Unité Divine est appelé dans le Zohar : « Yi’houda Tataah », l’Unité du Degré Inférieur.
Bien que tout soit la Divinité, cela ne veut pas dire que D.ieu est identifié au monde, ou limité par lui. Il est immanent dans la Création, et en même temps Il la transcende infiniment. « L’essence de l’Être Divin, déclare Rabbi Chnéour Zalman, n’est pas de créer des mondes et de les faire subsister. »5 Car la puissance créatrice grâce à laquelle tout existe et subsiste, c’est le verbe divin, les paroles et les lettres des Dix Expressions par lesquelles le monde est créé ; ce qui est fort peu de choses, comparé à Son Être Infini.
De même que D.ieu était seul avant la Création, ainsi Il est Un et seul aprèsDe plus, entre le verbe divin et Son Essence existe une union complète même après la « matérialisation » du premier dans la création des mondes. Ainsi, tout le créé est toujours « à l’intérieur » de sa source, c’est-à-dire D.ieu, et est complètement annulé par Lui, de la même manière que les rayons du soleil sont annulés à l’intérieur du globe solaire. C’est seulement dans la perspective des êtres créés, incapables de percevoir leur source, que ceux-ci paraissent des entités douées d’une existence indépendante. Par rapport à D.ieu, toute création n’est rien ; rien n’existe en dehors de Lui. En conséquence, la création de l’univers ne produit pas, par le fait qu’elle existe, de changement dans Son Unité. De même que D.ieu était seul avant la Création, ainsi Il est Un et seul après. Et ceci constitue la « Yi’houda Ilaah », l’Unité du Degré Supérieur.
Le Tsimtsoum
Cette interprétation de l’Unité Divine est étroitement liée à une autre doctrine fondamentale du ‘Hassidisme ‘Habad : celle du Tsimtsoum.
La pensée kabbalistique et philosophique juive se sont attardées longuement à l’apparente contradiction entre l’attribut divin d’omniprésence et l’existence de l’univers. Puisque D.ieu est omniprésent, et que rien ne peut exister en dehors de Lui, il ne pouvait y avoir de place, semblait-il, pour la matérialisation de l’univers lors de sa création. Comment le monde fini pouvait-il dès lors émerger de D.ieu l’Infini ? Comment ce qui est une antithèse de la Divinité pouvait-il coexister avec Sa présence ?
Afin de résoudre ces problèmes, Rabbi Its’hak Louria6 avança la doctrine du Tsimtsoum : le retrait et la contraction de l’Infini.7 Il explique qu’avant la création des mondes, D.ieu emplissait tout « l’espace »,8 n’en laissant aucun qui rendît possible l’existence de l’univers. Quand il eut la volonté de créer les mondes, l’Infini se retira vers les côtés ; un vide se forma alors qui pouvait contenir leur existence. Dans cet espace émana de D.ieu un rayon de lumière qui est la source de toute création. Cette lumière,9 cette force créatrice, subit d’innombrables Tsimtsoumim qui la contractèrent et la réduisirent graduellement jusqu’à ce que ce monde matériel, et même les choses qui sont un défi à la sainteté et qu’il contient, fussent amenées à l’existence.
Ainsi, selon la doctrine Lourianique du Tsimtsoum, la Création fut précédée par la limitation de D.ieu par Lui-même, et ce, afin de faire place au monde matériel et tout ce qu’il contient. La pensée post-Lourianique donna à cette doctrine deux interprétations. D’aucuns soutinrent que le Tsimtsoum devait être compris littéralement, c’est-à-dire que D.ieu retira Sa présence de l’espace dans lequel les mondes devaient par la suite être créés ; Il créa ceux-ci, et garda le rapport avec eux par l’exercice de Sa Providence.
Pour Rabbi Chnéour Zalman, une telle interprétation était impensable. La doctrine du Tsimtsoum, affirme-t-il, ne peut être prise dans son sens littéral ; et ce pour plusieurs raisons. D’abord, l’Écriture Sainte déclare explicitement : « Ne remplis-Je pas les cieux et la terre ? dit l’Éternel »,10 et « Toute la terre est pleine de Sa gloire ».11 Le Talmud dit : « De même que l’âme emplit le corps, ainsi D.ieu emplit l’univers. »12 Nos Sages expliquent dans le Midrache que D.ieu Se révéla à Moïse dans un buisson afin de nous enseigner qu’il n’est rien qui soit vide de Sa Présence, même un détail aussi humble qu’un buisson.13 Dans le Zohar nous trouvons : « Il n’est pas de lieu où D.ieu ne soit présent. »14 De telles affirmations abondent dans les Écritures et la science rabbinique.
L’infini et le fini sont des aspects égaux et complémentaires de Son omnipotence. Mais Son Essence les transcende tous les deux.Ensuite, l’interprétation littérale de cette doctrine implique un changement dans l’omniprésence de D.ieu. Avant la Création, la présence Divine était partout en même temps. Par la suite, conformément au processus du Tsimtsoum, un vide se forme, privé de Sa présence. Pourtant, les Écritures déclarent formellement : « Car Je suis l’Éternel, Je ne change pas. »15 De plus, le « retrait » est un phénomène corporel qui ne peut être attribué à D.ieu qui est incorporel.
L’interprétation de Rabbi Chnéour Zalman du Tsimtsoum,16 laquelle se fonde sur le Zohar, la Kabbalah et les enseignements du Baal-Chem-Tov, reflète, elle, l’esprit véritable des Écritures, du Talmud et du Midrache. Il explique qu’il y a deux sortes d’émanations divines : une sans limites, appelée dans la Kabbalah Or Eïn Sof, la lumière infinie, et une lumière d’un ordre fini qui peut donner naissance à une existence finie et être contenue dans les limites de celle-ci.17 Dire que Sa puissance et Sa lumière peuvent se manifester seulement dans l’infinité, et non se révéler dans l’existence finie, c’est impliquer une déficience de Son omnipotence, et, partant, de Son absolue perfection. Ces deux puissances, l’infini aussi bien que le fini, sont des aspects égaux et complémentaires de cette omnipotence. Mais Son Essence les transcende toutes deux.
Avant la Création, de par la volonté divine, la puissance infinie dominait, et la Lumière Infinie emplissait tout « l’espace », excluant par là l’existence finie. La lumière finie était absorbée à l’intérieur de la lumière infinie et masquée par elle, comme la lumière d’une bougie est annulée par l’éclat du soleil. Quand D.ieu voulut créer l’univers, Il retira Sa Lumière Infinie et la retint à l’intérieur de Lui-même. Il permettait ainsi à Sa puissance et à Sa lumière finies de se révéler et, à la fois, dégageait l’espace nécessaire à l’apparition de l’existence finie. C’est là le premier Tsimtsoum : non le retrait de D.ieu Lui-même, mais seulement le fait de masquer Sa Lumière Infinie. Ainsi donc, le Tsimtsoum ne produit aucun changement dans Son Essence ni dans Son omniprésence ; il déplace seulement la manifestation de Sa Lumière Infinie de l’état actif à l’état latent.
Mais cette même puissance finie, source de toute la Création et dont la révélation résulta du retrait de la Lumière Infinie, est elle-même trop abondante pour donner naissance à des êtres finis. Ce n’est qu’après d’innombrables Tsimtsoumim, qui condensent et masquent progressivement la puissance créatrice, que l’existence de la matière finie est rendue possible.
Différent en cela du Tsimtsoum initial, où l’Infinie Lumière est masquée complètement, chacun des Tsimtsoumim suivants n’est qu’une diminution graduelle de la lumière divine et de la force créatrice, et une adaptation à la capacité de réceptivité des êtres créés. La puissance à laquelle toute chose doit d’exister étant maintenue comme derrière un écran, le monde semble jouir d’une existence indépendante, comme s’il était séparé de D.ieu. En fait, « la terre entière est pleine de Sa gloire », car l’être créé n’existe que grâce à la puissance créatrice divine, immanente en lui ; et celui-là ne dure que parce que celle-ci est cachée à sa vue. S’il était permis à l’œil de voir au-delà de la force physique, déclare Rabbi Chnéour Zalman, nous percevrions alors seulement la puissance divine qui emplit et anime toute chose créée, et qui constitue son essence et sa réalité véritables.
C’est par cette pensée que s’ouvre Chaar HaYi’houd VehaÉmounah : « Sache donc en ce jour et retiens dans ton cœur que l’Étemel est D.ieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre, et qu’il n’y en a pas d’autre [et rien d’autre] »,18 c’est-à-dire qu’il n’est rien qui soit en dehors de Lui. Ce verset nous enjoint de méditer sur cette affirmation, et de nous en pénétrer au point qu’elle emplisse notre coeur, et trouve son expression dans l’accomplissement des préceptes divins.
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