Rabbi Zoussia était l’un des plus grands disciples de Rabbi Dov-Ber, le Maguid de Mézéritch. Pendant plusieurs années, il voyageait dans les villes et les villages afin de répandre l’amour de D.ieu et de Sa Torah. Rabbi Zoussia était très pauvre, il était toujours vêtu de haillons. On aurait eu du mal à appeler cela des vêtements. En effet, le plus pauvre des mendiants était mieux habillé que ce grand tsadik, Rabbi Zoussia.

Une fois, au cours de ses voyages, il arriva dans la ville de Chinova où son frère Rabbi Elimélekh étudiait la Torah sous la direction du célèbre Rabbi Chmelka. Rabbi Elimélekh fut très content de voir son frère, mais quand il vit les haillons qui lui servaient d’habits, il se sentit gêné. Il ne voulut pas que son frère vienne chez lui et il s’arrangea pour que celui-ci soit logé et nourri par la famille du boulanger de la ville. Rabbi Zoussia fut, comme à son habitude, satisfait de cet arrangement. Il mangea un peu et se retira de bonne heure afin de se reposer, après un dur voyage.

Persona non grata

Tout alla pour le mieux jusqu’à minuit, l’heure à laquelle Rabbi Zoussia se levait habituellement pour réciter le Tikoun ‘Hatsot, les lamentations spéciales sur la destruction du Temple. Rabbi Zoussia était ému au plus profond de son cœur, il déversait des flots de larmes, poussait de profonds soupirs et d’intenses gémissements. Il était tout à ses émotions, plongé dans ses pensées sur ce triste événement et pria ainsi pendant de longues heures. Puis il retourna dormir tranquillement.

Mais contrairement à lui, les autres occupants de la maison, c’est-à-dire le boulanger et sa femme eurent moins de chance que Rabbi Zoussia et ne purent retrouver le sommeil après les prières nocturnes du tsadik. Tous ses gémissements et ses murmures les avaient tirés de leur lourd sommeil et les avaient terrorisés, et même lorsqu’ils eurent compris d’où venaient ces bruits, ils ne purent retrouver le sommeil.

Le lendemain matin, la femme du boulanger fit savoir en termes peu amènes à son hôte qu’il n’était plus le bienvenu chez eux. Rabbi Elimélekh fut donc obligé d’inviter son frère à venir chez lui. Toujours satisfait de ce que D.ieu lui envoyait, Rabbi Zoussia accepta joyeusement la tournure que prenaient les événements.

Tout va très bien, Elimélekh, je te remercie beaucoup mais il y a un détail que je veux régler. Avant de manger de la viande ici, je voudrais examiner le couteau du cho’het, l’abatteur rituel de la ville.

Un homme très fier

Connaissant son frère, Rabbi Elimélekh fut à peine surpris par cette requête. Il convoqua le cho’het et le présenta à Rabbi Zoussia. Le cho’het était très fier de son magnifique couteau qu’il aiguisait avec la plus grande minutie. Il fut choqué lorsque Rabbi Zoussia lui dit d’une voix forte : « Vous devez mieux aiguiser votre couteau ! »

Le cho’het s’empressa de faire ce que Rabbi Zoussia lui avait demandé, désireux de faire plaisir à cet homme connu pour être un tsadik. Il montra à Rabbi Zoussia son couteau étincelant mais le seul commentaire qu’il reçut ce fut : « Aiguisez encore votre couteau ! »

Des gouttes de sueur perlaient sur le front du cho’het tandis qu’il faisait aller et venir son couteau sur la pierre à aiguiser. Rabbi Elimélekh regardait son frère. Rabbi Zoussia doit avoir une idée en tête, se disait-il. Il savait, et il était conscient de ce que son frère savait aussi, que le couteau du cho’het était tout à fait cachère et parfait. Alors, que voulait donc Rabbi Zoussia ?

Lorsque le cho’het déconcerté montra son couteau à Rabbi Zoussia, après l’avoir aiguisé pour la troisième fois, ses mains tremblaient de peur et des larmes frémissaient aux coins de ses yeux. « Que pouvait donc trouver à redire le tsadik dans ce couteau ? » se demandait-il. A la fin, Rabbi Zoussia sourit et approuva d’un signe de tête, et le cho’het s’éloigna rapidement, heureux d’avoir surmonté l’épreuve.

Rabbi Elimélekh attendait avec impatience d’entendre une explication de la bouche de son frère, car il était évident pour lui qu’il s’agissait d’autre chose que d’un doute sur le couteau. Il voulait connaître les raisons qui avaient poussé son frère à agir ainsi.

Dis-moi donc, mon cher frère, nous savons tous deux que le couteau du cho’het était parfaitement cachère depuis le début, alors que signifie tout cela ?

Il est évident que le couteau était cachère, je le savais. Mais lorsque le cho’het est venu me le montrer, il était empli d’orgueil. Lorsque je lui ai fait comprendre que son couteau présentait un problème, il est devenu beaucoup plus humble. La seconde fois, il a prié D.ieu pour que l’on trouve son couteau cachère. La troisième fois, c’était un homme vraiment humble, il avait perdu toute arrogance.

Rabbi Elimélekh écoutait attentivement les paroles de son frère. Il regarda Rabbi Zoussia dans les yeux et vit qu’à travers son attachement à la ‘Hassidout, son frère avait atteint un très haut niveau spirituel. Rabbi Elimélekh voulut y parvenir lui aussi. Il décida de se rendre à Mézéritch, auprès du grand Maguid, Rabbi Dov-Ber.

Rabbi Elimélekh et Rabbi Zoussia furent parmi les disciples les plus proches du Maguid, et devinrent des exemples de piété et de bonté de leur vivant.