Le festin

Le Talmud relate une histoire de Pourim qui, à première vue, paraît ahurissante. Le grand sage Rabbah invita son collègue Rabbi Zeira pour le Festin de Pourim. Au milieu du dîner, sous l’effet du vin, Rabbah se leva et égorgea Rabbi Zeira. Le lendemain, Rabbah pria pour qu’un miracle survienne et Rabbi Zeira fut ressuscité. L’année suivante, Rabbah invita Rabbi Zeira de nouveau. Celui-ci refusa toutefois, et répondit : « Un miracle n’arrive pas tous les jours. »

Le caractère atterrant de cette histoire suscite un certain nombre de questions. A) Comment Rabbah s’autorise-t-il à s’abandonner à la boisson sans se préoccuper des conséquences possibles ? B) Comment Rabbah pouvait-il inviter qui que ce soit au festin de Pourim, connaissant sa propension à perdre le contrôle de lui-même ? C) Rabbi Zeira semblait plus concerné par son éventuelle résurrection que par son éventuelle mort. Aurait-il été d’accord de risquer de nouveau la mort s’il était certain de ressusciter ?

Permettez-moi de présenter un glossaire de quatre mots qui nous donnera une compréhension plus profonde de ce qui s’est passé cette nuit-là :

  • Égorger
    D’après notre tradition, accomplir la che’hita (l’abattage rituel) sur un animal cachère afin de l’offrir en sacrifice ou pour le rendre apte (« cachère ») à la consommation, signifie élever l’animal à un niveau supérieur. C’est pourquoi le terme hébraïque « che’hita » est traduit dans le Talmud par « élever ».
  • Le vin
    Nos sages nous disent « nikhnas yayine yatsa sod » – quand le vin entre, les secrets émergent –, ce qui signifie que le vin est un agent qui a pour effet de révéler ce qui était préalablement dissimulé.
  • Rabbah
    Ayant pour racine le mot hébraïque « rav », le nom araméen Rabbah se traduit par « grand ».
  • Zeira
    Un nom araméen qui signifie « petit » ou « mineur ».

Cette nuit-là

À la lumière de ces définitions, nous pouvons comprendre ce qui a pu se passer ce soir-là :

Rabbah, qui avait une grande capacité d’élévation spirituelle, a invité Rabbi Zeira, dont la capacité était, en comparaison, mineure. À mesure que Rabbah but du vin, le potentiel profond de son âme, jusqu’alors dissimulé, se révéla, les entraînant tous deux sur un chemin d’élévation spirituelle.

Initiée par Rabbah, cette vague grandissante de spiritualité les conduisit à un moment d’extase spirituelle qui « éleva » l’âme de Rabbi Zeira à un degré de transcendance qui excédait sa capacité naturelle. L’âme de Rabbi Zeira, qui n’y était malheureusement pas préparée, en fut à ce point sublimée qu’elle expira dans un torrent d’exaltation.

Lorsque ce fut le matin, c’est-à-dire quand Rabbah redescendit de son élévation spirituelle et qu’il vit ce qui était arrivé à son ami, il pria pour sa résurrection.

Il ressort de cela que Rabbi Zeira n’avait pas de réclamations concernant l’expérience elle-même. Il est même probable qu’il la désirait dans une certaine mesure. Mais la crainte qu’il ne mérite pas une seconde fois le miracle de revenir à la vie l’obligea à décliner l’invitation l’année suivante.

Le mont Sinaï

Rappelez-vous de l’expérience de nos ancêtres au mont Sinaï : après chacun des Dix Commandements, leurs âmes les quittèrent sous l’effet de l’intensité de la révélation et leur étaient à chaque fois restituées par D.ieu. Pourtant, à chaque résurrection, ils se livraient volontairement au commandement suivant, sachant pertinemment qu’ils allaient de nouveau mourir. Ils ne se souciaient pas de leur mort physique, car ils avaient confiance que le miracle de la résurrection s’opèrerait de nouveau. Rabbi Zeira, en revanche, n’en était pas si sûr.

Cette histoire montre que la joie de Pourim est avant tout un voyage de l’âme. Sachons ainsi retirer de cette fête un esprit renouvelé, une âme rajeunie et une véritable paix intérieure. Puisse la joie de Pourim imprégner le reste de notre année.

(Adapté de Likoutei Si’hot vol. 31, p. 177)