Extraits d’une conférence du Rav Yossef Its’hak Jacobson
au congrès des éducateurs à Kfar ‘Habad
Il est capital dans l’éducation d’être disposé à s’intéresser au monde intime de l’élève, enfant ou adolescent, pendant toutes les années de sa croissance et de son éducation. Sans cette approche, il n’est pas possible de prétendre véritablement les éduquer.
Une énorme responsabilité pèse sur nous en tant qu’éducateurs.
La création de l’homme se distingue de celle de toutes les autres créatures par le fait que, pour créer l’homme, D.ieu dit « Naassé Adam - Faisons l’homme », au pluriel. Les Sages du Talmud s’interrogent sur ce fait et donnent plusieurs interprétations que l’on trouve dans le Midrache, dans Rachi, etc.
La ‘Hassidout ajoute à celles-ci une autre explication : on remarque que les différentes espèces animales arrivent à maturité en relativement peu de temps, parfois seulement en quelques jours ou en quelques semaines. Il faut à l’homme, en revanche, de longues années d’entraînement et d’éducation pour qu’il devienne autonome, lors desquelles les parents doivent investir de grands efforts.
Le verset nous enseigne ainsi que D.ieu s’adresse à chaque père et à chaque mère et leur dit « faisons l’homme », construisons ensemble une personne ! Il leur dit, « Moi, D.ieu, Je peux créer son corps et son âme, mais pour qu’elle devienne ensuite une personne digne de ce nom, cela ne se fait pas tout seul. Il faut des années de travail pour lui donner une existence spirituelle, morale, psychologique. » Lorsque D.ieu dit « faisons l’homme », Il veut dire « J’ai besoin de votre participation en tant que parents pour faire de ce nourrisson un être humain dans toute sa grandeur ! »
Pour cela, il est indispensable de connaître et comprendre ce qui se passe dans les cœurs et les esprits de nos enfants.
Sur cette base, nous allons développer quelques lignes directrices sur le thème de l’éducation qui se dégagent des interventions du Rabbi au cours des 40 années de sa Nessiout. J’ai répertorié une dizaine de principes généraux, nous allons aborder ici les premiers d’entre eux.
Premier principe : l’amour, l’amour et encore l’amour !
Le premier fondement dans l’éducation, et en particulier à notre époque, est l’importance de l’amour.
Voici une histoire que je tiens de la bouche de son protagoniste.
Le peuple juif a actuellement besoin d’être encouragé plutôt que réprimandé !Il y a dans le quartier de Boro Park à Brooklyn, un ‘Hassid de Sanz-Kloyzenburg du nom de Reb Binyamin Williger. C’est un homme très chaleureux, très ‘hassidique, qui fut à de nombreuses occasions l’intermédiaire entre le Rabbi et l’Admour de Sanz-Kloyzenburg.
Reb Binyamin Williger est un homme âgé, qui connut le « Min’hat Elazar » de Munkatch avant la guerre, et qui jouit d’une grande considération à Boro Park comme étant une figure du monde ‘hassidique d’antan.
Reb Binyamin raconte qu’une nuit, en 1991, il était déjà couché, l’horloge indiquait une heure moins le quart du matin et il attendait le sommeil.
Soudain, le téléphone sonna. C’était le Rav Yéhouda Leib Groner, le secrétaire du Rabbi. « Reb Binyamin, je voudrais savoir qui est l’éditeur du journal de Sanz ? » lui dit-il. Il s’agit d’un petit journal communautaire qui paraît quatre ou cinq fois dans l’année. Reb Binyamin pensa en lui-même « Est-ce là une question qui justifie d’appeler les gens à une heure du matin ? » Rav Groner lui demanda, « Est-ce vous qui publiez ce journal ? » Ce à quoi Reb Binyamin répondit « Non, ce sont des proches parents du Rabbi de Sanz-Kloyzenburg. »
« Écoutez, Reb Binyamin, il y a, dans le dernier numéro, un article du Rabbi de Sanz-Kloyzenburg, rédigé à partir d’une allocution enregistrée en 1957 ou 1958. Cet article est plein de paroles de Moussar extrêmement dures et sévères. Et le Rabbi m’a demandé de vous demander que vous demandiez aux éditeurs du journal de ne plus publier de tels articles à l’avenir. »
« Mais, pourquoi ? » demanda Reb Binyamin au Rav Groner.
« Le Rabbi a dit, Yetst iz a tseit vos der Yiddisher folk darf hoben Idoud un ‘Hizouk : à notre époque, le peuple juif a besoin d’encouragements et de renforcement. »
Sur ce, Reb Binyamin Williger prit congé du Rav Groner et s’endormit.
Lorsque Reb Binyamin m’a raconté cette histoire, j’ai voulu en savoir plus et j’ai interrogé le Rav Groner. Celui-ci m’a dit que cette nuit-là, il était entré dans le bureau du Rabbi à minuit moins le quart pour terminer les dernières tâches de la journée.
Avant qu’il s’en aille, le Rabbi avait l’habitude de lui souhaiter une bonne nuit. Mais, lorsqu’il est entré ce soir-là, il vit le Rabbi assis à son bureau, avec un visage très soucieux. Il portait ses lunettes et lisait un journal. Au moment où le Rav Grobner entra, le Rabbi leva les yeux vers lui et lui demanda « Qui publie le journal de Sanz ? »
Quand le secrétaire répondit qu’il ne savait pas, le Rabbi lui dit « Appelez s’il vous plaît Reb Binyamin Williger et dites-lui que cet article contient des propos de moussar très sévères et qu’il transmette ma demande de ne plus publier de tels articles, car à notre époque le peuple juif a besoin d’encouragements et de renforcement. »
Il était déjà très tard et il s’agissait d’une personne âgée. Qui plus est, le prochain journal ne devait sortir que plusieurs mois plus tard. Gêné, le Rav Groner demanda au Rabbi « Maintenant ? » Le Rabbi leva les yeux et répondit « Oui, pour une telle chose, on peut le réveiller de son sommeil. »
Reb Binyamin Williger me dit qu’à ce moment-là il saisit ce que signifie être un chef du peuple juif : à minuit, alors que la plupart des gens dorment et d’autres étudient ou vaquent à leurs occupations, il y a un Juif à Brooklyn pour qui il n’est pas question de dormir si on peut publier de tels propos alors que le peuple juif à actuellement besoin d’être encouragé plutôt que réprimandé !
Cette devise est également valable dans le domaine de l’éducation.
Aujourd’hui, les enfants et les adolescents ont besoin d’être encouragés et renforcés. Nous devons à tout prix les aimer, pour les encourager et les élever de toutes les façons possibles et dans toutes les dimensions de leur existence.
Et si d’aucuns demandent : « Qu’en est-il de la fermeté, de la discipline, de la punition qui est le pendant de la récompense ? »
Je ne pense pas me tromper en disant que les temps ont changé également dans ce domaine.
La prière de la Amida commence par « Béni sois-Tu Éternel, D.ieu d’Abraham, D.ieu d’Isaac et D.ieu de Jacob ».
Le Talmud demande « Se peut-il que l’on termine [la bénédiction] avec les trois ? » et répond « Comme c’est seulement à Abraham qu’il a été dit “C’est par toi que seront bénies toutes les familles de la Terre”, c’est par lui que l’on termine. »
Ainsi, cette bénédiction se termine-t-elle par « Béni sois-Tu Éternel, protecteur d’Abraham ».
Les enfants sont-ils heureux d’avoir été créés, ou auraient-ils préféré ne pas avoir été créés ?À ce sujet, il est rapporté dans des livres de ‘Hassidout polonaise, qu’il existe, à travers l’Histoire du monde et d’Israël, trois perceptions de D.ieu qui déterminent trois approches du service divin.
La première est « D.ieu d’Abraham », un D.ieu d’amour. La seconde est « D.ieu de Isaac », un D.ieu de sévérité et de justice. La troisième est « D.ieu de Jacob », D.ieu d’harmonie et de miséricorde.
Cependant, à la fin des temps, quand l’Histoire touche à sa fin, se peut-il que l’on termine « avec les trois » ? La réponse est « C’est par Abraham que l’on termine », par la voie de l’amour. L’amour, l’amour et encore l’amour.
Un enseignant m’a rapporté une histoire qu’il a entendue d’un directeur d’école, non Loubavitch, qui s’était rendu en visite en Argentine, à Buenos Aires.
Ce directeur a demandé au Rav Grunblatt, l’émissaire du Rabbi en Argentine, de pouvoir visiter les classes. Il a tenu à rentrer dans chacune des classes de cette grande école.
À la fin de la visite, le Rav Grunblatt lui a demandé pourquoi il était important pour lui de pénétrer dans chaque classe.
Le directeur étranger répondit « Avant de venir en Argentine, je suis passé par New York et j’ai eu une yé’hidout, une entrevue privée avec le Rabbi. Lorsque je lui ai dit que je partais pour l’Argentine, le Rabbi m’a demandé de visiter l’école Loubavitch et m’a dit “S’il vous plaît, rentrez dans chaque classe et regardez seulement si les élèves sourient.” »
Le Rabbi voulait savoir si les enfants sont contents. Dans le langage du Talmud, « S’ils sont heureux d’avoir été créés ou auraient préféré ne pas avoir été créés. »
Tous ceux qui ont étudié au « 770 », savent que lors de la prière de Min’ha dans le petit Beth Hamidrache au rez-de-chaussée, le Rabbi avait l’habitude d’écouter la répétition de la Amida par l’officiant assis sur un banc devant la table et appuyant son front sur sa main.
Cette attitude s’est prolongée pendant des dizaines d’années. Un jour, cependant, un jour, dans les années 80, le Rabbi s’est assis à sa place sans s’appuyer sur sa main. Certains ont remarqué ce détail et se sont étonnés. Le lendemain, cela s’est produit de nouveau. Pendant les deux semaines suivantes, cela se produisit par intermittence : parfois oui, parfois non. Puis, après un certain temps, le Rabbi reprit son attitude coutumière et appuyait son front sur sa main à chaque prière de Min’ha.
Il y avait à cette époque un élève de la Yéchiva qui restait intrigué par ce changement et qui mena son enquête. Il interrogea les secrétaires du Rabbi, mais se fit gentiment remettre à sa place. Il entreprit donc d’observer attentivement ce qui se passait dans le Beth Hamidrache pendant la prière, bien que ce ne fût pas chose facile, car celui-ci était plein à craquer à ce moment-là. Cependant, sa patience paya et il comprit ce qui se passait.
Il y avait à l’époque un Juif d’Israël qui venait régulièrement chez le Rabbi. C’était un homme totalement défiguré par un attentat palestinien dans lequel il avait également perdu la vue et dont le visage faisait tellement peur à voir que les enfants s’enfuyaient à son passage. Le jeune homme avait remarqué que, à chaque fois que cet homme était présent lors de la prière de Min’ha, même s’il se trouvait dans le coin de la synagogue le plus éloigné du Rabbi, celui-ci n’appuyait pas son front sur sa main. Il semble que c’était pour que personne ne pense qu’il mettait ainsi sa main parce qu’il ne lui était pas agréable de voir cet homme défiguré. Lorsque l’homme n’était pas là, le Rabbi remettait sa main comme à son habitude.
Or, il faut bien comprendre que les gestes du Rabbi ne sont pas anodins. Le Rabbi a dit lui-même que tous les gestes d’un Tsaddik sont extrêmement précis et obéissent à une symbolique kabbalistique. En l’occurrence, la prière de Min’ha est liée avec un niveau céleste appelé « le front de Adam Kadmone » (Adam Kadmone étant le niveau qui concentre l’ensemble du projet de la Création).
Ainsi, le geste du Rabbi pendant la prière, n’était pas une simple question de confort, mais une partie intégrante de son attachement à D.ieu pendant la prière. Et pourtant, le Rabbi n’hésita pas à suspendre cette habitude pour ne pas en venir ne serait-ce qu’à prêter à penser qu’il était gêné de voir quelqu’un d’autre.
S’il en est ainsi envers une personne non voyante qui ne pouvait pas se rendre compte de cela, combien plus est-ce valable s’agissant d’enfants ou d’adolescents sensibles, dont la personnalité est en pleine gestation. Le manque d’amour, le manque de considération et de tact envers eux peut leur causer des blessures extrêmement profondes.
Un éducateur de Californie m’a dit que lorsqu’il démarra dans le métier d’enseignant, il partit prendre conseil auprès de celui qui avait été son maître au jardin d’enfants quand il avait quatre ans. Son ancien maître, alors très âgé, lui dit « Je n’ai qu’un seul principe à t’enseigner : un éducateur doit aimer ses élèves. Et s’il n’en est pas capable, il vaut mieux qu’il reste chez lui, plutôt que de détruire des mondes. Ce n’est pas pour lui ! »
Le jeune éducateur lui demanda, « Mais qu’en est-il du genre d’élève qui vous rend fou, qui vous pourrit la vie et détruit la classe ? »
Le vieux maître lui dit, « Celui-là, il faut l’aimer deux fois plus que les autres ! Pourquoi pas “autant” que les autres ? Parce que son maître de l’année dernière l’a détesté ! Et maintenant, il te faut rattraper le manque d’amour de l’année dernière ! »
Il ne s’agit pas “d’un enfant qui dérange”, mais d’un cœur, qui est le seul endroit dans l’univers où D.ieu à choisit de résiderIl est vrai que la vie est extrêmement difficile pour les parents aujourd’hui. Aux innombrables soucis liés au travail et aux finances s’ajoutent toutes sortes de problèmes de santé, de relations, de valeurs, etc.
La pression est parfois tellement forte que de nombreux parents baissent les bras, écrasés qu’ils sont par le poids que la responsabilité de l’éducation de leurs enfants représente. Et sur qui dirigent-ils cette tension ? Le plus souvent sur les enfants ! S’ils ne peuvent le faire sur les directeurs et sur les enseignants, qui ne sont pas devant eux, ils le font souvent sur les enfants.
Le Rabbi a soulevé ce sujet dans un discours du mois de Adar 5747 (1987), lors d’une allocution aux invités :
Évoquant l’énorme pression qui pèse sur les parents en matière d’éducation et sur les solutions qu’il convient de mettre en œuvre, il a d’abord cité l’enseignement bien connu sur le verset « Ils me feront un sanctuaire et Je résiderai en eux » (Exode 25, 8). Les Sages relèvent qu’il n’est pas dit « en lui (dans le sanctuaire) », mais « en eux », à l’intérieur même des Enfants d’Israël.
Le Rabbi dit alors : « Il y a parois un petit bébé dans un berceau dans le coin de la pièce qui pleure et pleure sans s’arrêter. Cela peut parfois exaspérer certains parents, qui peuvent en venir à s’énerver et à ressentir autre chose que de l’amour envers cet enfant à ce moment-là.
« Or, le roi Salomon dit “Les cieux ne sauraient te contenir, Ô D.ieu !” (Rois I 8, 27) D.ieu est infini et rien ne peut Le contenir, pas même les mondes célestes les plus élevés. Mais D.ieu dit “Il y a pourtant un endroit où J’ai décidé de résider : c’est dans le petit cœur de ce petit enfant qui pleure dans son berceau.” L’Essence même de D.ieu est dans son petit corps, dans ses larmes, dit le Rabbi.
« Y a-t-il une mission plus grande et plus importante dans la vie que de s’occuper de cet enfant, de l’éduquer, de lui donner forme et d’être sensible à son cœur ?
« Ainsi en est-il pendant toutes les années de la croissance de cet enfant : il peut y avoir tel ou tel problème, telle ou telle difficulté, mais il faut prendre conscience qu’il ne s’agit pas là “d’un enfant qui dérange” ou “d’un enfant à problèmes”, mais d’un cœur, un cœur qui est le seul endroit dans l’univers où D.ieu a choisi de résider !
« Et à vous, parents, il a été donné le mérite d’élever ce cœur-là et de lui donner forme : “Faisons l’homme” ! »
On raconte que le Rabbi précédent demanda un jour à son secrétaire, Reb ‘Hotché Feigin, de prévenir les meilleurs élèves de la Yéchiva qu’il allait réciter en leur présence un nouveau Maamar de ‘Hassidout dans son bureau.
Reb ‘Hotché était non seulement un grand ‘Hassid, mais aussi quelqu’un de très fin. Il entra dans la salle d’étude de la Yéchiva, frappa sur la table et annonça que le Rabbi avait ordonné que les meilleurs étudiants rentrent dans son bureau pour entendre un Maamar. Il ouvrit ensuite la porte du bureau du Rabbi, qui n’était pas encore là, et dit à l’oreille de l’un des étudiants qui se trouvait là, « Fais savoir aux autres que “la porte est ouverte”. »
C’est ainsi que tous les étudiants sont entrés dans le bureau. Bien sûr, les « meilleurs » d’entre eux étaient aussi les plus humbles et se tenaient au fond de la pièce, alors que ceux qui n’auraient pas dû être là se tenaient au premier rang.
Lorsque le Rabbi précédent vit cela, il ne dit rien et récita le Maamar. Après le départ des étudiants, il se tourna vers son secrétaire et lui dit « Je t’avais pourtant demandé de ne faire entrer que les meilleurs étudiants ! »
Ce à quoi Reb ‘Hotché répondit avec les mots de la prière, « Rabbi, koulam ahouvim ! Ils sont tous aimés ! »
Le Rabbi répondit « Peut-être, mais est-ce que koulam berourim ? Est-ce qu’ils sont tous parfaits ? »
Le secrétaire répondit « Rabbi, je ne sais pas, mais koulam guiborim ! Ce sont tous des “héros” qui se battent contre leur mauvais penchant. »
Le Rabbi répondit « Peut-être, mais est-ce que koulam kédochim ? Est-ce que ce sont tous des saints ? »
Reb ‘Hotché répondit « Rabbi, je ne sais pas, mais Koulam ossim beeyma oubeyira retsone Konam – tous accomplissent avec crainte la volonté de leur Créateur ! »
Alors le Rabbi lui dit simplement : « Merci. »
Reb ‘Hotché n’éduquait pas avec un marteau. Il avait compris que, bien que beaucoup d’entre eux avaient des problèmes et devaient surmonter épreuves intérieures, ces étudiants étaient tous pleins de bonne volonté et faisaient des efforts.
En cette fin d’exil, il est absolument nécessaire de projeter sur chaque enfant, chaque adolescent, garçon ou fille, un amour total et inconditionnel, qu’il doit ressentir en son for intérieur.
Deuxième principe : pourquoi et comment réprimander ?
Lorsque Joseph était dans la maison de Potiphar, il était soumis aux sollicitations incessantes de la femme de ce dernier, auxquelles il résistait jour après jour. Le Midrache relate que, lorsqu’il fut sur le point de céder, il eut une vision du « visage de son père » qui l’empêcha de fauter.
Les commentateurs s’interrogent sur ce point : en effet, Joseph savait pertinemment de qui il était le fils. Qu’est-ce que cette vision lui a donc apporté de nouveau ?
Parmi les différentes réponses à cette question, en voici une donnée dans la ‘Hassidout : Joseph n’eut pas la vision du visage de son père, mais la vision de sa propre image, mais tel que son père la concevait. Il s’est vu lui-même du point de vue de son père, dans l’optique avec laquelle Jacob conçoit le monde, dans laquelle le mal n’existe pas. C’est pourquoi il n’a pas pu fauter.
En général, lorsque quelqu’un commet une faute, il porte sur lui-même un regard très négatif. Joseph, lui, s’est vu tel que son père le concevait.
Un enfant a besoin d’entendre qu’il a des forces infinies, qu’il a D.ieu en lui.Il me semble qu’il est très important de transmettre cela aux jeunes aujourd’hui.
On peut se lever le matin en se sentant dégradé, bas, mauvais. Mais est-ce que Yaakov Avinou, est-ce que le Rabbi serait d’accord avec cette vision des choses ?
Comment le Rabbi pense-t-il à moi, qu’est-ce que le Rabbi pense de chacun d’entre nous ? Est-ce qu’il pense, lui aussi, que je ne suis qu’un animal, un scélérat, un paresseux, un imbécile et que je ne vaux absolument rien ? Est-ce que Yaakov Avinou est aussi d’accord avec cette évaluation ?
Non : le Rabbi me considère comme une parcelle du divin qui contient une étincelle d’Infini. Il considère que j’ai les forces de retourner et de transformer le monde.
Aujourd’hui, un enfant n’a pas besoin de s’entendre dire combien il est mauvais. Il a besoin d’entendre qu’il a des forces infinies, qu’il a D.ieu en lui !
Il me semble qu’il faut en cela changer de politique aussi bien dans nos institutions que dans nos foyers. À notre époque, il faut arrêter de dire aux jeunes, dans le but de susciter chez eux l’humilité, qu’ils ne sont rien du tout.
Il est vrai qu’un grand principe dans l’éducation est le système de récompense et de punition.
Cependant, quand je considère mes années à l’école, avec des maîtres dont certains étaient exceptionnels et d’autres beaucoup moins, je me souviens que certains enfants éprouvaient une véritable peur de D.ieu. Pas la « crainte » dont la Torah nous fait obligation, mais une vraie frayeur, comme si dans les cieux se trouvait un ennemi cruel, armé d’un grand couteau, qui surveillerait chaque enfant et lui jetterait un bonbon quand il fait une bonne action, mais qui le poignarderait sans pitié s’il commet une faute. Si ce n’est dans ce monde-ci, alors dans le monde futur très certainement.
J’ai une fois fait une conférence pour dames à Boro Park à l’approche de Yom Kippour. J’ai alors expliqué en long et en large que Yom Kippour est le moment de la révélation de la Yé’hida de l’âme, de notre parcelle de divin.
À la fin de la conférence, une femme s’est approchée de moi en tremblant. Elle m’a demandé : « Ce que vous avez dit, c’est bien dans le Judaïsme ? » Quand je lui ai répondu que je n’avais pas étudié d’autres religions, elle me dit : « Chez moi, on m’a toujours appris depuis 40 ans que Yom Kippour est le jour le plus maudit du calendrier ! C’est le jour où D.ieu inscrit qui va mourir cette année, celui-là de famine, l’autre de maladie, etc. Et vous, vous en avez fait un jour lumineux, l’essence de l’âme, l’union d’Israël et de D.ieu, la révélation de la profondeur du cœur, etc ! »
Je lui ai dit que mes propos étaient tirés du Likoutei Torah sur la parachat Pin’has, mais elle n’arrivait pas à croire que cela faisait partie du Judaïsme.
La question est donc posée : de quelle façon faut-il parler de punition et récompense ?
Quoi qu’il ait pu faire, le moindre de ses gestes reste important pour D.ieuDans Igueret Hachmad, Maïmonide évoque Yerovam ben Nevat – Jéroboam – qui fit un mal immense, forçant une grande partie du peuple juif à l’idolâtrie. Maïmonide fit remarquer que Yérovam sera puni pour le mal immense qu’il a commis, mais également dans le cas où, lorsqu’un jour de fête tombait un vendredi, il aurait omis de faire un « érouv tavchiline ».
Selon le Rabbi, il y a ici un grand enseignement : Yerovam ben Nevat qui érigea deux veaux d’or et fit disparaître la Torah de son royaume s’était totalement déconnecté spirituellement de D.ieu. Il avait détaché son âme de sa source divine. A priori, quelle importance, dès lors, s’il avait en plus négligé telle ou telle règle instituée par les Sages ?
La réponse est que Yérovam reste malgré tout juif. Et, quoi qu’il ait pu faire, le moindre de ses gestes reste important pour D.ieu.
Il est écrit dans Amos (3, 2) :
« C'est vous seuls que J'ai distingués entre toutes les familles de la terre, c'est pourquoi Je vous demande compte de toutes vos fautes. »
D.ieu dit ici, « C’est parce que Je vous aime que je vous demande des comptes pour vos fautes. Parce que vos fautes me font du mal ! » Comme dans un couple marié, comme dans une famille, nous sommes engagés dans une relation avec D.ieu et ce que nous faisons compte pour Lui.
Ainsi, l’enfant doit comprendre que le moindre de ses gestes agit sur D.ieu. Il n’est pas seul au monde ! Chaque pensée, chaque parole, chaque acte est important aux yeux de D.ieu.
Dès lors, nos réprimandes, lorsqu’elles s’imposent, doivent refléter cette préoccupation et transmettre ce message.
De façon générale, notre génération a besoin que l’on mette l’accent sur le fait de révéler la profondeur infinie et le potentiel merveilleux recelé dans la vie de chaque petit garçon et de chaque petite fille, de chaque adolescent et de chaque adolescente.
Il faut faire comprendre aux enfants que c’est pour pouvoir mener cela à bien qu’il existe des règles disciplinaires, etc.
Troisième principe : construire !
Une notion fondamentale en ‘Hassidout est celle du « bitoul », l’annulation de soi devant D.ieu, qui se décline dans plusieurs niveaux.
Cependant, dans notre génération, tout en conservant toute son importance au « bitoul », le Rabbi a commencé à parler dans ses discours d’une manière qui semble a priori opposée à cette notion.
Dans la ‘Hassidout, on évoque traditionnellement le « yech hanivra », l’existence des créatures, comme n’étant pas une existence absolue, mais tributaire du « yech haamiti », de la véritable existence de D.ieu. Les précédents Rabbis ont longuement développé la façon dont la perception de soi des créatures les empêche d’accéder au divin, celui-ci étant voilé par leur matérialité.
Dans notre génération, le Rabbi a commencé à développer l’idée que le « yech hanivra » est en réalité lié au « yech haamiti ». Que l’existence de la créature exprime et révèle celle du Créateur, car elle en est issue.
Le matériel n’est pas en contradiction avec le spirituel, mais une partie de celui-ci.Dans un discours lors d’un « Chabbat Hagadol », parlant de l’épisode où l’Admour Hazakène, ayant entendu des secrets mystiques de la bouche de son ami Rabbi Avraham « l’ange », s’est contraint à manger une tartine beurrée pour éviter à son âme de quitter son corps, le Rabbi a demandé pourquoi l’histoire s’attache à ce détail et ne nous relate pas plutôt comment faire pour atteindre ce degré spirituel ?
Il répondit à cela que ce qui caractérise l’enseignement de l’Admour Hazakène est de percevoir que même « une tartine beurrée » est une partie du divin, que le matériel n’est pas en contradiction avec le spirituel, mais une partie de celui-ci.
Cela enseigne quelque chose de très important :
Dans les générations précédentes, les gens avaient une forte conscience de leur ego, de leur propre existence. L’Admour Hazakène, fondateur de la ‘Hassidout ‘Habad-Loubavitch, est venu enseigner qu’il fallait dorénavant faire de son « moi » un « néant » (« aïn »). Qu’en travaillant sur soi, en « travaillant son soi », on pouvait retrouver le chemin de D.ieu.
Dans notre génération, toutefois, les gens ont une mauvaise image d’eux-mêmes en leur for intérieur, au point souvent de se détester eux-mêmes. Ils ne se prêtent pas une existence véritable. Ils pensent qu’ils ne comptent pas. De très nombreux enfants et adolescents souffrent aujourd’hui de manque de considération personnelle, d’un terrible manque de confiance en soi.
Paradoxalement, il est plus confortable de ressentir que l’on n’est rien, que de ressentir que l’on est quelque chose : en effet, « être quelque chose », cela engage.
Or, le plan divin dans la Création du monde d’avoir « une résidence dans les mondes inférieurs » est que la créature dans son existence (le « yech hanivra ») choisisse de se transcender pour se lier à ce qu’elle appelle « le néant », c’est-à-dire à l’existence de D.ieu qui la dépasse.
Ainsi, dans l’éducation d’aujourd’hui, il faut s’attacher à donner une identité aux enfants, à construire leur existence.
Ils savent déjà qu’ils ne sont rien, il est inutile de le leur rappeler. Plutôt que de leur dire qu’ils ne sont rien, disons-leur qu’ils sont infinis ! Que la moindre de leurs pensées est importante pour l’Essence même de D.ieu ! Que leur personnalité et leurs sens peuvent s’attacher à D.ieu ! Que la partie la plus basse, la plus « inférieure » d’eux-mêmes peut devenir une résidence pour D.ieu !
Cette approche est aujourd’hui indispensable.
Le monde a besoin d’entendre aujourd’hui que dans la matérialité réside un espoir, que dans une tartine beurrée réside, non seulement un espoir, mais qu’en elle se trouve l’Essence divine.
La loi juive stipule que le Kiddouche « ne peut se faire qu’à l’endroit où va se tenir le repas ».
La ‘Hassidout révèle le sens profond de cette loi : la sanctification du monde ne peut se faire qu’à travers l’union du matériel et du spirituel.
D.ieu ne veut pas de robots, sans défauts et sans libre arbitre D.ieu ne veut pas de robots, sans défauts et sans libre arbitre, mais des personnes réelles qui, dans leur existence, vont choisir de s’annuler devant D.ieu de sorte que le divin, non pas « annule », mais pénètre et investisse toute la richesse de leur existence.
Un jour, le Rabbi sortait du bâtiment de sa bibliothèque, situé à côté du « 770 ». Les enfants qui jouaient à proximité accoururent pour lui faire une haie d’honneur, alors qu’il descendait les marches du perron. Cependant, au bout de chaque rangée de part et d’autre se tenait une petite fille.
Les adultes présents étaient gênés : le Talmud interdit en effet à un homme de passer entre deux femmes, si petites soient-elles, et il était trop tard pour intervenir, le Rabbi s’était déjà engagé dans l’escalier.
Arrivé à la hauteur des petites filles, le Rabbi se pencha vers l’une d’entre elles et lui dit quelques mots à voix basse. Un sourire illumina alors le visage de la petite fille et elle s’empressa de changer de côté et de se mettre à côté de son amie.
Lorsque le Rabbi fut parti, les autres enfants demandèrent à la petite fille ce que le Rabbi lui avait dit. Elle leur dit alors « Le Rabbi m’a dit “Rends-moi un service : va près de ton amie, et dis-lui de ma part Chabbat chalom” »
Si le Rabbi lui avait dit, même avec toute la gentillesse et la délicatesse du monde, les choses telles qu’elles étaient, que la Torah lui interdit de passer entre deux petites filles, elle serait restée avec le souvenir que le Rabbi lui a expliqué qu’elle le gênait.
Mais 30 ans plus tard, cette femme se souvient qu'une fois dans sa vie elle a eu le privilège que le Rabbi s’adresse à elle et, ce jour là, le Rabbi lui a donné une chli’hout, une mission, d’aller dire aux Juifs « Chabbat Chalom » !
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