Il y a environ mille ans, vivait en Espagne un grand érudit et homme d’État juif, nommé Hasdaï ibn Shaprut. Il était né à Jaen, en Espagne, vers 4675 (915). Son père, Isaac ben Ezra, était un homme très cultivé et riche. Sous sa surveillance, le jeune Hasdaï étudiait le Talmud et plus tard aussi l’hébreu, l’arabe et le latin dont il acquit une connaissance parfaite. Il était particulièrement attiré par la médecine et devint un médecin célèbre.
Son érudition ainsi que la renommée dont il jouissait comme médecin attirèrent l’attention du calife Abd al-Rahman III à Cordoue. Celui-ci nomma Hasdaï au poste de médecin de la cour. Plus tard, lorsque le calife le connut mieux et eut apprécié son grand talent d’organisateur et son habileté politique, il le nomma Inspecteur Général de la Douane et Conseiller diplomatique principal. Ce fut en cette qualité que Hasdaï servit sous le règne du calife ainsi que sous celui de son successeur al-Hakam II qui prit en charge le califat vers 4721.
Hasdaï rendit de grands services au pays en établissant de bonnes relations commerciales entre le califat et les royaumes chrétiens jusqu’à Byzance. Les diplomates étrangers qui avaient l’occasion de rencontrer Hasdaï avaient une haute opinion de lui et vantaient son nom aux cours étrangères. L’empereur Romanus II de Byzance lui envoya un livre de médecine en grec que Hasdaï, aidé d’autres savants, traduisit en arabe.
Sa grande richesse, sa sagesse ainsi que la charge élevée à laquelle il avait été promu, lui permirent d’aider puissamment ses coreligionnaires. Il était le Nassi (chef) de tous les Juifs d’Espagne et fit tout ce qu’il put pour améliorer leur situation économique et culturelle. Grand talmudiste lui-même, il fit construire des écoles et des académies pour propager la connaissance de la Torah. Il appela des talmudistes renommés pour enseigner dans ces écoles et il fournit lui-même les fonds nécessaires pour entretenir les écoles et payer les professeurs. Il aida également les grandes académies de Babylonie, Soura et Poumbeditha et fut en correspondance continue avec les Guéonim (sommités talmudiques) en Babylonie et en Afrique du Nord (particulièrement avec ceux de Kairouan). Il était entouré d’un grand nombre de savants et poètes hébraïques tels que Menahem ben Sarouk et Dounache ben Labrat. Menahem ben Saruk, le célèbre grammairien hébreu, était chargé de la correspondance hébraïque de Hasdaï. Ce fut ainsi que sous l’influence et avec l’appui de Hasdaï, la poésie et les connaissances hébraïques florissaient en Espagne, inaugurant l’âge d’or qui produisit des philosophes et des poètes de grande classe comme Rabbi Judah Halévi, Ibn Ezra, Ibn Gabirol, Maïmonide, Nahmanides et d’autres.
Le développement de la Torah
Ce fut pendant la vie de ce grand homme juif que le célèbre Gaon Rabbi Moïse ben Enoch, un des « quatre captifs », arriva sur les côtes d’Espagne. Beaucoup de nos lecteurs devraient connaître l’histoire passionnante des quatre Guéonim de Babylonie qui, guidés par la Providence divine, furent faits prisonniers par des pirates en Méditerranée et maintenus captifs dans les villes égyptiennes, italiennes et espagnoles où se trouvaient de grandes communautés juives, pour être libérés contre une rançon. Le prix de leur libération fut vite payé et ils établirent dans leur pays de refuge des centres de rayonnement de la culture juive. Ainsi, lorsque plus tard les académies babyloniennes furent détruites, l’enseignement de la Torah était déjà pratiqué dans quatre autres écoles.
Lorsque Rabbi Moïse ben Enoch fut emprisonné à Cordoue, la communauté juive de cette ville paya la rançon demandée pour sa libération. En s’apercevant que ce réfugié était le célèbre Gaon Moïse ben Enoch, Hasdaï le chargea de la direction de l’académie talmudique de Cordoue. Pour encourager les études talmudiques, Hasdaï se procura auprès des académies talmudiques de Babylonie des manuscrits talmudiques et les donna aux étudiants de l’académie de Cordoue. Pendant de nombreuses années, l’Espagne fut un des principaux centres du monde pour l’enseignement de la Torah.
Hasdaï et le royaume khazar
Hasdaï a laissé une documentation historique intéressante sous forme d’une correspondance échangée avec le roi juif des Khazars. Pendant des centaines d’années, les Khazars furent un peuple puissant qui habitait les steppes entre le Don et la Volga. Leur royaume s’étendait jusqu’à Kiev. Les rois des Khazars étaient puissants et s’étaient mariés avec des princesses appartenant aux monarchies byzantines et arabes. On ne sait pas à quelle époque les Khazars abandonnèrent leur foi païenne pour embrasser la religion juive.
La monarchie juive de Khazar frappait l’imagination des Juifs de cette époque. Hasdaï voulut connaître plus de détails sur les Khazars, car tous les renseignements à sa disposition n’étaient que des détails bien imprécis qu’il avait reçus par la voie diplomatique. Il décida donc de prendre contact personnellement avec eux. En ce temps-là, il était difficile d’entrer en relation avec des pays lointains et étant donné que le royaume des Khazars était à l’extrémité de l’Europe orientale, entretenir des rapports avec ce peuple était presque une tâche impossible.
Cependant, Hasdaï était un homme d’une grande volonté. Il écrivit à Joseph, le roi des Khazars, une lettre affectueuse et l’envoya par un courrier spécial, Isaac ben Nathan. Lorsqu’il arriva à Constantinople, les autorités byzantines le détinrent, appréhendant une alliance directe entre l’Espagne et les Khazars. Sous le prétexte que les routes n’étaient pas sûres, l’émissaire de Hasdaï n’obtint pas l’autorisation de continuer son voyage à Itil, la capitale des Khazars.
Hasdaï ne fut pas découragé. Il envoya un autre émissaire, Isaac ben Eliezer, mais celui-ci passa par la Hongrie et la Russie. Aidé par les Juifs de ces pays, il arriva à Itil où il remit à Joseph les compliments chaleureux de Hasdaï.
Le roi Joseph des Khazars répondit en hébreu à toutes les questions posées par Hasdaï concernant l’histoire des Khazars et leur adoption du Judaïsme. Le roi Joseph l’informa comment son ancêtre, Bulan, avait décidé d’abandonner le paganisme pour accepter une des trois grandes religions principales, le Judaïsme, le Christianisme ou l’Islam. Le roi Bulan avait réuni à ces fins des théologiens des trois religions qui devaient discuter en sa présence et prouver quelle religion était la vraie. À la fin de la discussion, Bulan fut convaincu que la foi juive était la vraie religion, de sorte que lui et toute sa famille ainsi que quatre mille nobles de sa race adoptèrent la religion juive. Petit à petit, la majorité des Khazars suivit son exemple.
Malheureusement, à l’arrivée de la lettre de Hasdaï dans le pays des Khazars (env. 4710), de sombres nuages se dessinaient à l’horizon de leur pays. La Russie et Byzance se liguèrent pour détruire le royaume juif des Khazars et environ 15 ans plus tard ces derniers furent vaincus par le Russe Sviastolav et leur pays et leur capitale Itil furent dévastés. Néanmoins, les Khazars continuèrent à jouer un rôle important dans cette partie du monde pendant un siècle encore. Plus tard, la chance les abandonna complètement et l’on ignore leur sort jusqu’à ce jour. En tout cas, l’échange de lettres entre Hasdaï et le roi Joseph des Khazars éclaire l’histoire des Khazars qui autrement serait restée obscure.
Hasdaï mourut à Cordoue à l’âge de soixante ans, pleuré par tous les Juifs et non-juifs qui avaient eu le privilège de le connaître.
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