À l'époque de la destruction du second Temple (le 9 Av 3828), une ville connut la célébrité dans le pays d'Israël ravagé. Non seulement le cruel général romain Vespasien l'épargna, mais il permit qu'elle devînt le centre de l'érudition juive.
Le grand sage Rabbi Yo'hanan ben Zackaï, constatant que la situation était sans espoir, décida de sortir de la ville assiégée afin d'essayer d'en sauver quelque chose. Il s'entendit avec ses fidèles disciples pour feindre d'être mort après une brève, mais « grave » maladie. Alors son corps serait porté hors de Jérusalem puisque le cimetière se trouvait au-delà des murs de la Ville Sainte. Cette ruse était nécessaire, car les zélés défenseurs de la capitale assiégée n'eussent permis à personne d'en sortir vivant.
Le plan se réalisa comme il avait été conçu. Une fois hors de la ville, Rabbi Yo’hanan ben Zackaï se rendit auprès du général romain Vespasien qui dirigeait le siège de Jérusalem, et s'adressa à lui en ces termes : « Que la paix soit avec toi, Majesté Impériale ! » Vespasien avertit le rabbin que ce qu'il disait là était de la haute trahison puisque l'empereur régnait à Rome et il lui demanda de s'en expliquer. La réponse du Sage fit une profonde impression sur le général : « Nos prophètes, dit-il, nous ont prédit la chute de Jérusalem entre les mains d'un homme au faîte de la puissance. » Il avait à peine achevé sa phrase que des messagers arrivèrent de Rome porteurs de la nouvelle : l'empereur était mort, et le Sénat avait élu Vespasien pour lui succéder. Les faits confirmaient les paroles que le Sage venait de prononcer. La sainteté et la sagesse de ce dernier ne pouvaient manquer de frapper Vespasien. Dans un élan de magnanimité, il demanda au Sage d'exprimer un désir, quel qu'il fût, il serait exaucé.
– Donne-moi Yavneh et ses érudits, fut la demande de Rabbi Yo'hanan.
Cette requête bizarre parut insignifiante à Vespasien. Pour le peuple juif c'était ni plus ni moins que le salut. Car, aussi longtemps que les Juifs avaient la possibilité d'étudier en paix la Torah, et, de plus, de disposer d'un centre spirituel bien à eux, une douce consolation s'insinuait dans une situation qui autrement eût été désespérée. Rabbi Yo'hanan se rendait bien compte que ce qui pouvait préserver le peuple juif de l'anéantissement c'était, plutôt que la forteresse matérielle, la forteresse spirituelle.
Vespasien fit droit à sa requête. Rabbi Yo'hanan ben Zackaï s'attela aussitôt à la tâche de fonder à Yavneh une grande académie. Ainsi, alors qu'il détruisait Jérusalem et le Saint Temple, Vespasien accordait, à son insu, un nouveau bail, pour ainsi dire, aux enfants d'Israël. Grâce à la prévoyance du Sage, la survie du peuple juif était assurée.
C'est ici, à Yavneh, que la terrible nouvelle de la destruction parvint au grand Rabbi Yo'hanan et à ses disciples. La catastrophe affligea profondément le peuple, mais ne le désespéra point. Chacun sentit tout le poids de la nouvelle responsabilité qui incombait à ce qui restait d'Israël. Il fallait, avec plus de ténacité que jamais, s'attacher à la Torah en tant « qu'arbre de vie ». Chacun se rendit compte que c'était là précisément le sévère châtiment provoqué par la non-observance des préceptes de la Torah.
Beaucoup de réfugiés vinrent à Yavneh, et le nombre des disciples s'accrut considérablement dans l'importante académie. La plupart des Sages furent sauvés, et Rabbi Yo’hanan fonda le Sanhédrine (la plus haute cour de justice) à Yavneh.
Soixante ans durant, cette ville fut le centre spirituel et vital du peuple juif. Là, fonctionna le Sanhédrine, l'instance la plus haute dans la vie juive. Beaucoup de lois et d'ordonnances importantes entrèrent en vigueur afin de sauvegarder et de renforcer l'existence précaire du peuple sous la domination des conquérants romains. En leur qualité de maîtres de générations nouvelles d'érudits décidés à perpétuer les traditions de notre peuple, l'activité des Sages fut déterminante. Le plus grand parmi les dirigeants illustres du peuple d'Israël à Yavneh fut Rabban Gamliel II, l'arrière-petit-fils d'Hillel.
Pendant cette période de brillante érudition à Yavneh, des mesures d'une portée considérable sont prises. Les prières quotidiennes reçurent leur forme définitive et furent destinées à se substituer aux sacrifices dans le Temple désormais en ruines. Le Targoum Onkelos, traduction de la Bible par Onkelos le Prosélyte (un membre de la famille royale à Rome), fut sanctionné. On jeta les bases de la Michna (qui fut finalement éditée par Rabbi Judah HaNassi), la Loi Orale qui devait réglementer la vie juive en toute circonstance.
Alors que le plus profond désespoir s'emparait des autres peuples – trop heureux quand ils ne disparaissaient pas tout à fait, écrasés qu'ils étaient par le « rouleau compresseur » romain –, les Juifs, eux, tenaient bon, grâce à la force spirituelle qui les animait et à la conviction inattaquable que D.ieu rachèterait son peuple et reconstruirait Jérusalem et le Beth-Hamikdache, à condition qu'Israël demeurât fidèle au Créateur et à sa Torah.
L'oppression romaine, de plus en plus intolérable, devait conduire à la révolte de Bar-Kokhba, quelque cinquante ans après la Destruction. La révolte échoua et fut cause d'un surcroît de souffrances. Yavneh était cette fois détruite, mais le Sanhédrine installa son quartier général dans la ville d'Oucha où il continua à siéger comme auparavant.
Nous n'avons parlé de Yavneh qu'au jour où elle commença à être célèbre. Elle n'a cependant pas cessé d'exister de longues années auparavant. À l'époque du premier Temple, Ouziah, roi de Juda, enlève Yavneh aux Philistins. Elle avait été une ville fortifiée et servait aux Philistins de point de départ pour leurs attaques contre Juda. Ouziah fit tomber ses murs ; la menace qu'elle constituait cessa du coup.
Beaucoup d'années plus tard, au temps des Macchabées, Yavneh est à nouveau une ville fortifiée pourvue d'un port. Sa population ne nourrit pas des sentiments particulièrement amicaux à l'égard du peuple juif. Judah Macchabée détruit le port et son frère Siméon qui lui succède s'empare de la ville. Les Juifs commencent à s'y installer fort nombreux sous le règne d’Alexandre Yannaï.
Quand Pompée soumit Juda lors de la guerre civile provoquée par les successeurs d'Alexandre, il fit de Yavneh une ville libre. Plus tard, l'empereur Auguste la donna à Hérode qui en fit don à sa sœur Salomé. Celle-ci, à son tour, l'offrit à l'impératrice Lyvie. Yavneh devenait ainsi propriété privée d'Auguste.
La ville continua à compter une population juive fort nombreuse jusqu'à la destruction du Beth-Hamikdache ; elle est alors à son apogée, et, comme nous l'avons dit, la ville la plus importante du pays.
Yavneh est mentionnée par le célèbre voyageur Benjamin de Tudèle en 1172, lors de sa visite aux ruines de l'illustre académie.
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