Lorsque D.ieu fit le choix de Son monde, Il y instaura des débuts de mois et d’années. Lorsqu’Il fit le choix de Jacob et de ses enfants, Il y instaura des nouveaux mois de délivrance.

Midrache Chémot Rabbah 15:11

La signification de « Roch ‘Hodech »

Le sujet général du Roch ‘Hodech est le renouvellement (‘hodech vient de ‘hadach, « nouveau »), la renaissance de la Lune après qu’elle ait achevé de décroître jusqu’à disparaître totalement. Et, bien qu’elle n’apparaisse en cet instant que comme un point lumineux, elle inclut déjà potentiellement toute son évolution ultérieure, de même que la naissance de l’homme porte en elle toute sa vie. Cet instant est donc appelé roch, la « tête » du mois, car il est comme la tête qui inclut en elle tout le corps.

Or, la Torah compare le peuple juif à la Lune1, et, comme celle-ci, il connaît un renouvellement à chaque Roch ‘Hodech. En effet, le Roch ‘Hodech est le moment où se révèle dans l’âme de chaque Juif l’étincelle de Machia’h qu’elle contient, le niveau de Yé’hida, qui est une parcelle de l’âme du Machia’h (dont l’âme est la Yé’hida collective du peuple juif).2 En imprégnant toute les facettes de la personnalité du Juif avec la profondeur de la Yé’hida, cette révélation engendre un renouveau de tout son être, à même d’entraîner la révélation et la venue du Machia’h.3

Pourquoi seulement le début ?

Il faut néanmoins comprendre pourquoi c’est précisément la renaissance de la Lune qui évoque la Délivrance messianique et non le moment de la « pleine lune ». Nos Sages ont en effet enseigné que l’âge d’or de l’Histoire juive, au temps du roi Salomon et du premier Temple, fut comparable à la pleine lune : de la même façon qu’il faut quinze jours pour que la Lune soit pleine, il fallut quinze générations depuis Avraham notre père jusqu’à Salomon pour atteindre cette plénitude. Or, sachant que l’ère messianique sera marquée par une perfection encore plus poussée, il semble plus logique de la comparer à une situation de « pleine lune », quand celle-ci brille de toute sa lumière, plutôt que de « nouvelle lune », dans laquelle on commence à peine à en percevoir l’éclat.

Cette apparente incohérence nous mène à conclure qu’il existe une qualité, un avantage inhérent à la « nouvelle lune » qui ne se trouve pas dans la situation de « pleine lune ». C’est cette qualité qui se révélera au sein du peuple juif lors de la Délivrance messianique et c’est pourquoi celle-ci est précisément comparée à la « (re)naissance » de la Lune.

La prière d’un petit enfant

Pour comprendre la nature de cette qualité, il est utile de se pencher sur la notion de naissance et de renouveau telle qu’elle apparaît au sein du peuple juif lors de la naissance d’un enfant :

Du fait qu’il est proche de sa naissance, un petit enfant possède en effet une supériorité par rapport à une « grande personne ».

Un Juif adulte est conscient qu’il existe différents degrés chez le Créateur : D.ieu est appelé « Sage », « Tout-puissant », etc. Et même lorsqu’il envisage D.ieu tel qu’Il existe au-delà de toutes ces qualités, la grandeur de D.ieu réside à ses yeux dans le fait de dépasser lesdites qualités et se mesure donc à leur aune.

En revanche, l’enfant, qui ignore ces subtilités théologiques, prie D.ieu en toute simplicité. Il s’adresse tout simplement à « D.ieu Lui-même », dont il n’est pas nécessaire de préciser les « qualités ». Et pour cette raison l’enfant appelle D.ieu « Hachem », « le Nom ».

Cette différence est également illustrée dans la façon dont l’homme s’attache à D.ieu :

L’adulte, qui sait que D.ieu dépasse toutes les qualités, l’appréhende de façon « négative », en ressentant que la grandeur de D.ieu est de ne pas être limité par ces définitions. Son attachement à D.ieu passe donc par la négation de soi, de ses conceptions, etc ;

A l’inverse, pour l’enfant, c’est à travers la perception de soi qu’il est en contact avec D.ieu, car il Le ressent dans toute chose. D.ieu l’accompagne à chaque instant de son existence, dans son repas, dans ses activités, etc.

En d’autres termes, l’adulte s’attache à D.ieu à travers ses propres facultés révélées, son intelligence, sa sensibilité, etc. Et, même lorsqu’il s’élève jusqu’à se lier à D.ieu avec les parties les plus profondes de son être, sa force de volonté, de désir, jusqu’à sa yé’hida elle-même, cela demeure dans un projet de sortir de soi et de ses limites pour s’unir avec le Créateur.

Le petit enfant, lui, s’unit à D.ieu de par l’essence de son âme (qui est au-delà de tout nom – c’est-à-dire de toute définition – que l’on peut donner à l’âme, de toute « qualité » que l’on peut reconnaître à celle-ci).

Avant le « Modé ani »

Ces deux degrés de la relation avec D.ieu, celui de « l’adulte » comme celui de « l’enfant », se retrouvent dans la vie quotidienne de chaque Juif :

Le début de la journée d’un Juif, immédiatement dès son réveil, est marqué par la récitation du Modé ani, l’expression de reconnaissance à D.ieu pour la restitution de son âme. Dans cette phrase, on mentionne l’action de reconnaissance (le verbe « Modé ») avant de mentionner sa propre existence (le pronom personnel « ani » , « je »). Cette attitude d’effacement total de soi devant D.ieu est l’expression de l’essence de l’âme (au-delà du ressenti de celle-ci).4

Or, cette révélation de l’essence de l’âme est liée avec le moment même du réveil. En effet, la récitation du Modé ani est en elle-même une démarche5 d’humilité, c’est-à-dire de sortie de soi. En revanche, l’instant même du réveil (lors duquel on est une « nouvelle créature », comme un enfant qui vient de naître) marque la révélation de l’essence de l’âme dans toute sa vérité. Il n’y a, en cet instant, rien d’autre que la révélation de son existence. Et comme l’essence de l’âme est une avec l’Essence Divine, il y a donc dans cet instant la révélation de l’Essence Divine telle qu’Elle se trouve en soi.

Et cette révélation de l’essence de son âme au réveil constitue la base sur laquelle le Juif va servir D.ieu tout au long de la journée : tout de suite en récitant le Modé ani, puis la prière disant « l’âme que Tu as mise en moi est pure, Tu l’as créée, Tu l’as formée, Tu me l’as insufflée » qui fait allusion aux quatre autres niveaux de l’âme, et ensuite son action au sein du monde matériel dans le cadre de sa profession, etc.

La lumière est seulement une conséquence

Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi la Délivrance messianique est liée à la (re)naissance de la Lune plutôt qu’à la pleine lune :

La plénitude atteinte par la Lune le quinzième jour du mois ne concerne que sa lumière, alors que l’existence même de la Lune est révélée le jour du Roch ‘Hodech, lorsque, après avoir totalement disparu, elle surgit de nouveau. Par la suite, cette existence pénètre elle-même la lumière de la Lune.

C’est de cette même façon que se déroulera la Délivrance messianique : les Enfants d’Israël sont amenés à « se renouveler comme la Lune »6 lors de l’avènement messianique par la révélation de « l’essence de leur existence », l’essence de leur âme, qui imprégnera toutes les dimensions de la vie, jusqu’à révéler concrètement que l’âme et l’Essence Divine ne font qu’un.7

Révéler l’essence de l’âme

Étant donné que la Délivrance résultera de nos actions en exil,8 il convient de s’y préparer en s’employant dès maintenant à la révélation de l’essence de son âme, telle qu’elle dépasse même le degré de Yé’hida :

En effet, au-delà de l’enseignement ‘hassidique connu selon lequel la Délivrance se fera par le fait que chaque Juif révélera l’étincelle du Machia’h qui est en lui (son niveau de Yé’hida), il faut ajouter et préciser que l’objectif essentiel est de révéler l’essence de son âme, l’essence d’Israël qui dépasse même la Yé’hida, ce qui constitue le véritable sujet du Machia’h.

Tel est le sens du verset « J’ai trouvé mon serviteur David, Je l’ai oint de Mon huile sainte »9 : « J’ai trouvé » fait référence à l’existence même du Machia’h et « Je l’ai oint de Mon huile sainte » enseigne que cela doit pénétrer toutes les dimensions, à l’instar de l’huile qui s’infiltre dans tous les matériaux.

Cela signifie que lorsqu’un Juif se réveille, avant même d’exprimer sa yé’hida en se vouant entièrement au service de D.ieu, il ressent sa propre existence, c’est-à-dire l’essence de son âme. Et la prise de conscience de cela (son « réveil ») entraîne à sa suite tous les éléments du service de D.ieu qui jalonnent la journée, en les imprégnant de la révélation de l’essence de l’âme.

Tel est véritablement le sujet de la venue du Machia’h : la révélation effective de l’essence du peuple juif.

« Tous les jours de ta vie »

Telle est également le sens profond de l’injonction de la Michna,10 « Tous les jours de ta vie, pour amener les jours du Machia’h » : à chaque instant que l’homme est en vie et qu’il respire, il a le devoir de faire venir le Machia’h. Au-delà de toutes les actions qu’il entreprend en ce sens, l’essence même de son existence est de faire venir le Machia’h ! Et cela amènera « les jours du Machia’h », au pluriel, ce qui fait allusion aux deux périodes de l’ère messianique ainsi qu’aux innombrables élévations successives qui la caractériseront.

Ainsi, dès l’instant de son réveil, au moment de la révélation de l’essence de son âme, un Juif ressent dans sa première respiration consciente le sujet du Machia’h : il respire, si l’on peut dire, « l’air du Machia’h ». « L’air du Machia’h » représente l’existence même du Machia’h, la révélation de son existence en tant que Machia’h, qui est la première étape suite à laquelle commencera sa révélation aux yeux de tous à travers ses actions (« la lumière du Machia’h »).

Ainsi donc, le fait de révéler la nature profonde et divine de notre vie (« ta vie ») est ce qui amène aux « jours du Machia’h » – à la Délivrance concrète du monde entier – car ceux-ci sont inclus dans la révélation de son existence.

Adapté des discours du Rabbi du 28 ‘Hechvan,
Roch ‘Hodech Kislev et Chabbat (2 Kislev) Toldot 5752