Et Jonathan dit à [David] : Demain est le nouveau mois. On se souviendra de toi, car ton siège sera vacant.

Samuel I 20,18

Dans la première Mitsva qui nous fut commandée en tant que peuple, D.ieu nous ordonna de relier nos vies à la lune. Il nous demanda d’établir un calendrier basé sur le mois lunaire – le cycle de 29,5 jours dans lequel la lune, telle que perçue par un observateur terrestre, achève sa révolution autour de la Terre.

Ainsi, le calendrier juif est-il un calendrier de mois, mesurés par la durée d’une nouvelle lune à la suivante. Douze de ces mois totalisent une année d’environ 354 jours, soit onze jours de moins que le cycle solaire de 365,25 jours. L’année juive alterne donc entre 12 et 13 mois, le mois supplémentaire (ajouté sept fois dans un cycle de 19 ans) servant à aligner les mois lunaires sur le cycle solaire des saisons. (En revanche, les mois des calendriers à base solaire sont totalement artificiels, car ils ne sont que la division de l’année solaire en douze segments plus ou moins égaux. Ces mois n’ont aucun rapport avec le cycle lunaire, ni avec aucun autre phénomène naturel.)

La « nouvelle lune » est la nuit où la lune est visible pour la première fois après sa disparition mensuelle de notre ciel nocturne. L’alignement et le mouvement de la lune par rapport à la terre et au soleil signifient que, pour l’observateur terrestre, la lune traverse des phases au cours desquelles elle croît et diminue, jusqu’à disparaître complètement à un moment de son cycle. Lorsque la lune est la plus proche du soleil, entre le soleil et la terre, son côté éclairé – le côté illuminé par la lumière du soleil – est tourné vers l’extérieur de la Terre, de sorte qu’il nous est invisible. Lorsqu’elle s’éloigne du soleil pour orbiter autour de la terre, elle apparaît d’abord comme un mince croissant de lumière, et continue de croître et de se remplir pendant les quinze jours suivants. Au milieu de son orbite, quand elle est la plus éloignée du soleil et que la terre se trouve entre le soleil et la lune, la moitié éclairée de la lune est entièrement visible sur la terre, de sorte qu’elle apparaît comme une sphère complète dans les cieux et baigne notre nuit de la pleine luminescence de sa lueur pacifique. Puis, alors que la lune poursuit son orbite terrestre, se rapprochant du soleil, nous la voyons de moins en moins ; la sphère se réduit par incréments nocturnes pour devenir une demi-sphère, puis des éclats de lumière de plus en plus maigres, jusqu’à ce qu’elle disparaisse de notre vue au point où elle se trouve à sa plus grande proximité du soleil.

La nuit où la lune est visible pour la première fois après son hiatus est la première du mois juif (d’où le terme hébreu pour « mois », ‘hodech, de la racine ‘hadach qui signifie « nouveau »). Le mois est composé de 29 ou 30 jours, jusqu’à ce que la prochaine nouvelle lune marque le début d’un nouveau mois. La première moitié du mois juif est ainsi marquée par une lune qui grossit chaque nuit et qui atteint son plein potentiel luminescent la nuit du 15 ; mais le 16 du mois, la lune est déjà diminuée et elle continue à se rétrécir chaque nuit jusqu’à la naissance d’une nouvelle lune et d’un nouveau mois.

[À l’époque où siégeait le Sanhédrine (la « cour suprême » statuant selon la loi de la Torah), le début d’un nouveau mois était proclamé sur la base de l’observation directe de la nouvelle lune – pratique qui reprendra avec la venue de Machia’h et le rétablissement d’une autorité centrale de la Torah pour tout Israël. Aujourd’hui, notre calendrier prédéfini n’est pas aussi précis, le premier du mois tombant à distance d’un ou deux jours de la « naissance » de la nouvelle lune.]

Le peuple d’Israël, dit le Zohar, mesure le temps avec la lune parce qu’il est comparable à la lune. Comme la lune, le peuple juif chute et s’élève tout au long de l’histoire, nos régressions et nos défaites annonçant toujours une nouvelle renaissance, un autre renouveau. L’histoire de la lune est l’histoire de notre peuple, et aussi l’histoire de chaque vie productive : le manque stimule l’initiative, les échecs stimulent la croissance, et les plus grandes réalisations naissent de moments de diminution et de dépréciation.

La lune et le progrès

Dans son récit de la création de l’univers, la Torah parle de « deux grands luminaires » créés par D.ieu pour éclairer la terre et définir « les signes, les temps, les jours et les années » de la vie sur terre. Dans le même verset, cependant, les deux grands luminaires deviennent « le grand luminaire pour régir le jour et le petit luminaire pour régir la nuit ». Le Talmud explique cela ainsi : à l’origine, le soleil et la lune étaient bien deux grands luminaires, égaux en taille et en luminescence. Mais la lune objecta et déclara que « deux rois ne peuvent pas partager la même couronne ». Alors D.ieu lui ordonna : « Va et diminue-toi. »

Ainsi naquit le mois. Non seulement la lune fut réduite à l’état de pâle réflecteur de la lumière d’un autre, mais elle fut également réduite en ce que son éclairage de la Terre serait limité par les changements constants de sa juxtaposition avec la source de sa lumière, le soleil, et le récepteur de celle-ci, la terre. Pendant deux semaines de chaque mois, la lune accomplit fidèlement le décret divin « Va et diminue-toi », en se réduisant progressivement au point où elle est complètement obscurcie.

Ce sont ces diminutions répétées qui donnent les qualités uniques du temps lunaire. En vivant avec la lune, nous apprenons comment les ténèbres peuvent donner naissance à la lumière et comment l’absence peut générer une présence renouvelée. Nous apprenons à exploiter l’élan de nos descentes pour gravir de nouvelles hauteurs, des hauteurs qui ne pourraient jamais être anticipées par une trajectoire « solaire » constante dans la vie.

À un niveau plus profond, l’injonction « Va et diminue-toi » se rapporte à l’essence même de notre humanité. L’homme est unique parmi les créations de D.ieu en ce que lui seul est un mehalekh, un « allant », un voyageur de la vie. Toutes les autres créations, y compris les êtres spirituels les plus élevés (et cela inclut l’âme humaine avant qu’elle se revêtisse dans un corps physique), sont des omdim, des êtres « statiques ». Un « statique » n’est pas nécessairement immobile ; en effet, toutes les choses possèdent, à un degré ou à un autre, le potentiel de se développer et de progresser. Mais toutes les créations évoluent selon une orbite « solaire », une orbite définie par des limites préétablies qu’elle ne peut pas dépasser. Seul l’être humain est lunaire, ayant une trajectoire dans la vie qui comprend à la fois la croissance et le déclin, la disparition et la renaissance.

Car seul l’homme possède le pouvoir du libre arbitre – un pouvoir aussi puissant que mortel, aussi infini que contraignant. Avec le libre arbitre vient la capacité de s’autodétruire et la capacité de se sublimer. L’homme a le pouvoir de nier tout ce qu’il est et représente, et dans l’instant qui suit, de se recréer dans un nouveau moule et de s’élancer dans un chemin que son existence antérieure n’aurait jamais pu anticiper.

« Va et diminue-toi » est l’injonction perpétuelle du Créateur à Sa création lunaire. Car ce n’est qu’en se diminuant que l’âme humaine peut « aller » et progresser. C’est seulement en se rendant vulnérable à la mortalité et aux écueils de l’état physique que l’âme de l’homme peut devenir un « allant », un être qui a le pouvoir de faire de soi-même plus que ce qu’il est.

L’absence de David

C’est le message implicite de la haftarah (lecture des Prophètes) lue à la synagogue lorsque Chabbat tombe la veille de Roch ‘Hodech, lorsque la date du premier jour du mois est proclamée. Le verset d’ouverture de cette haftarah s’énonce ainsi : « Et Jonathan dit à [David] : “Demain est le nouveau mois. On se souviendra de toi, car ton siège sera vacant.” » David a des raisons de penser que le roi Saül lui souhaite du mal, alors il projette d’éviter le palais royal. Jonathan lui dit que son absence même attirera l’attention de Saül et incitera le roi à révéler ses intentions à son égard.

À première vue, la connexion entre la haftarah et le nouveau mois semble purement fortuite : elle relate une conversation qui eut lieu la veille de Roch ‘Hodech, alors nous la lisons la veille de Roch ‘Hodech. Mais à y regarder de plus près, les paroles de Jonathan à David expriment le sens profond du mois lunaire, et en particulier de la veille de Roch ‘Hodech, c’est-à-dire le jour de la disparition de la lune. Jonathan dit à David : « On se souviendra de toi parce que ton siège sera vacant ». Le mot clé de la formulation originale en hébreu de cette phrase est pakod, qui est la racine aussi bien de venifkadta, « on se souviendra de toi », que de yipaked, « sera vacant ». En effet, les deux sont liés : on « brille par son absence ». Tout comme le vide qui aspire le liquide dans une seringue, ce sont les vides et les absences de la vie qui suscitent ses plus grandes réalisations et accomplissements.

Telle est l’essence du temps lunaire, selon lequel le Juif rythme sa vie individuelle et communautaire : l’effacement est annonciateur du renouveau ; les ténèbres sont l’impulsion de la renaissance de la lumière.

Le seizième incrément

Ainsi, le quinzième jour du mois juif, le jour où la lune atteint l’apogée de son potentiel lumineux, marque le point culminant de la contribution particulière de ce mois à la vie juive.

Nissan est le « mois de la rédemption » et c’est le premier jour de Nissan que le processus de notre libération d’Égypte débuta ; mais les résultats de ce processus ne devinrent pleinement manifestes que le 15 Nissan, le jour de l’Exode, que nous célébrons chaque année lors de la fête de Pessa’h, au moment où nous revivons le don divin de la liberté à travers les observances et les coutumes du Séder. De même, le premier Tichri est le jour où nous couronnons D.ieu en tant que roi de l’univers, en consacrant à nouveau toute la création au but pour lequel elle fut créée et en suscitant chez D.ieu le désir de continuer à la créer et de la maintenir ; mais la célébration du couronnement divin est éclipsée par les jours de solennité et de crainte qui occupent la première partie de Tichri, ne se concrétisant que lors de la joyeuse fête de Soukkot, qui commence le 15 de ce mois.

Il en va de même pour chacun des douze mois de l’année juive. Chacun possède sa qualité propre, chacun a son apport, et chacun subit un cycle de diminution et de croissance, de dissimulation et d’expression, qui atteint son apogée le 15 du mois. Ainsi, nous avons le « Nouvel An des arbres » le 15 Chevat ; Pourim les 14 et 15 Adar ; et le 15 Av, que le Talmud appelle « la plus grande fête » du calendrier juif.

Pourtant seize est supérieur à quinze.

Dans la Torah, tout est précis et possède un sens. Donc, si le quinzième jour était vraiment le sommet du mois, il serait également son nombre le plus élevé. Cependant, après le quinzième, nous avons un jour que la Torah considère comme le seizième jour, un nombre supérieur à quinze. Et les nombres continuent à monter : dix-sept, dix-huit, dix-neuf, et ainsi de suite, jusqu’au 29ème ou au 30ème. D’après cela, le jour le plus élevé du mois est le jour où la lumière de la lune est complètement dissimulée !

Cependant, comme nous l’avons déjà noté, le point où la lune disparaît de notre vision terrestre est également le point où elle atteint sa plus grande proximité avec le soleil. En d’autres termes, il est possible d’observer le cycle lunaire sous deux angles : du point de vue de l’illumination de la Terre par la lune, ou du point de vue de la relation de la lune avec la source de sa lumière, le soleil.

Vu sous l’angle de la première perspective, la lune subit des changements et des diminutions pour atteindre son plein potentiel lumineux seulement après une ascension ardue de quinze jours, puis elle décline jusqu’à disparaître complètement au cours de la seconde quinzaine du mois.

Du point de vue de la seconde perspective, la lune n’est bien entendu jamais diminuée : elle conserve la même taille sur toute son orbite et la lumière du soleil baigne sa surface à tout moment (sauf dans le cas d’une éclipse lunaire, lorsque la terre vient directement entre le soleil et la lune et empêche la lumière du soleil d’atteindre la lune). En effet, le point même où la lune est complètement obscure (et donc inexistante) pour l’observateur terrestre est le point culminant de la relation de la lune avec le soleil : le point où l’illumination de la lune par le soleil est au maximum de sa clarté et de son intensité.

Dans la perspective de la lumière manifeste, les revers de la vie sont des points de luminescence et de vitalité diminuées.

Mais quand on considère le sens profond de ces descentes, on les reconnaît comme des points de vitalité intensifiée, des points auxquels nous nous rapprochons de notre Source pour recevoir la force et l’impulsion nécessaires pour surmonter le prochain défi et atteindre le sommet de la vie visible.1