Moïse est vrai et sa Torah est vérité (Talmud Baba Batra 74a)

Sois parmi les disciples d’Aharon : celui qui aime la paix, poursuit la paix, aime les créatures de D.ieu et les rapproche de la Torah (Maximes de nos Pères 1:12) 

L’histoire de la naissance de la nation juive dépeint Moïse comme l’incarnation parfaite du chef d’Israël. C’est lui qui fait sortir les Enfants d’Israël d’Égypte. C’est lui qui reçoit la Torah de D.ieu et l’enseigne au peuple. C’est à Moïse que D.ieu adresse Ses instructions sur la manière d’édifier le Sanctuaire dans lequel résidera la Présence divine dans le camp israélite, et Moïse est également décrit comme celui qui l’a « fait » (bien que la construction ait été concrètement réalisée par d’autres). C’est Moïse qui nourrit et guide le peuple d’Israël (et supporte le poids de leurs plaintes et de leur rébellion) en les conduisant à travers leur périple de 40 ans les menant du Sinaï à la Terre Promise.

Toutefois, une lecture plus attentive du récit de la Torah révèle que la conduite d’Israël fut un travail d’équipe : toujours présent aux côtés de Moïse se trouve son frère aîné, Aharon. Parfois le rôle d’Aharon est très apparent, parfois il est à peine discernable, mais il est toujours là.

Lorsque Moïse fait face à Pharaon, c’est en compagnie d’Aharon, qui joue un rôle majeur dans l’accomplissement des miracles et des plaies qui forceront la libération des Juifs. Quand D.ieu ordonne Sa première mitsva au peuple juif, elle est adressée « à Moïse et à Aharon » – une phrase qui apparaît souvent dans la Torah, parmi les nombreux « Et D.ieu dit à Moïse » introduisant ses lois. Quand le peuple se plaint, c’est « à Moïse et à Aharon » qu’il adresse ses réclamations ; quand Kora’h remet en question l’autorité de Moïse, c’est également (et en fait essentiellement) une rébellion contre la position d’Aharon dans la direction du peuple

Ce qui est frappant à propos du duo Moïse-Aharon est qu’Aharon ne correspond pas aux standards habituels du « bras droit » ou du « second ». Il n’existe pas non plus une claire répartition des tâches entre les deux frères. S’il est vrai que Moïse est la figure dominante du récit, Aharon est toujours un partenaire à part entière des événements et des initiatives qui vont transformer un clan d’esclaves libérés en peuple de D.ieu. Tout se passe comme si Moïse ne pouvait rien accomplir sans Aharon et ce dernier, quant à lui, semblablement dépendant de Moïse dans l’accomplissement de son rôle.

[Il y a d’ailleurs un Midrash qui révèle que Moïse était originellement destiné à être le Kohen et Aharon le Lévite, et que D.ieu inversa leurs rôles lorsque Moïse refusa son mandat lors de la révélation du Buisson Ardent. D’après cela, les rôles de ces deux frères ne sont pas seulement interdépendants, mais interchangeables !]

La construction du Sanctuaire et le service de D.ieu qui s’y déroulait en sont l’illustration. Dans la Paracha de Tetsavé, nous lisons la façon dont D.ieu assigne à Aharon et à ses fils la responsabilité de conduire le service dans le Sanctuaire : ils doivent représenter le peuple dans le projet de s’approcher de D.ieu et d’interagir avec Lui en Lui offrant des sacrifices et en accomplissant les autres services du Sanctuaire. Cela semble désigner le Sanctuaire comme « domaine » privilégié d’Aharon. Et pourtant, comme cela a été mentionné plus haut, c’est Moïse qui doit construire le Sanctuaire. Et c’est Moïse qui doit initier Aharon dans la prêtrise. Pendant sept jours, Moïse doit servir de Kohen (assumant de fait le rôle d’Aharon), offrant les sacrifices apportés par Aharon et ses fils. Le Sanctuaire sera effectivement le domaine d’Aharon – après les sept jours d’initiation, seuls lui et ses fils pourront y accomplir le service –, mais c’est un domaine qu’ils ne peuvent atteindre qu’en association avec Moïse.

Le baiser

Les versets qui ouvrent notre Paracha offrent un exemple frappant de l’entrecroisement des rôles de Moïse et d’Aharon.

Et toi [dit D.ieu à Moïse] tu commanderas aux enfants d’Israël qu’ils t’apportent de l’huile d’olive pure écrasée pour que la lumière s’élève de la lampe perpétuelle.

Dans la Tente d’Assignation, en dehors du Parokhet [le rideau] qui se trouve devant le Témoignage, Aharon et ses fils la disposeront du soir au matin devant D.ieu.

La tâche d’allumer la Menorah est dévolue à Aharon et à ses fils ; et pourtant l’huile pour l’allumer devait être apportée à Moïse.

C’est en fait dans ces deux versets que réside la clé pour comprendre le partenariat de Moïse et d’Aharon dans la direction d’Israël.

Dans Exode 4, 27, la Torah décrit les émouvantes retrouvailles des deux frères au pied du mont Sinaï. Soixante ans plus tôt, jeune homme de vingt ans, Moïse avait fui l’Égypte ; maintenant, le berger de 80 ans était sur le chemin de retour de l’Égypte, mandaté par D.ieu pour libérer Son peuple de l’esclavage.

Et D.ieu dit à Aharon : « Va dans le désert à la rencontre de Moïse. » Et il y alla et le rencontra au pied de la montagne de D.ieu, et il l’embrassa.

Le Midrash décrit le baiser des frères en des termes cosmiques :

C’est à cela que se réfère le verset (Psaumes 85, 11) quand il dit « La bienveillance et la vérité se sont rencontrées ; la droiture et la paix se sont embrassées. » « La bienveillance », c’est Aharon ; « la vérité », c’est Moïse. « La droiture », c’est Moïse, « la paix », c’est Aharon.

Moïse et Aharon avaient la tâche de créer un peuple qui allait servir comme « lumière de D.ieu pour les nations », qui allait disséminer la sagesse et la volonté de D.ieu auprès de Sa création. C’est une tâche qui est, par définition, impossible : D.ieu est infini, parfait et absolu ; le monde qu’Il a créé est fini, toujours insatisfait et notoirement instable. Et pourtant, le Juif doit et peut dépasser ce paradoxe, faisant de sa vie un paradigme d’absolus divins campés sur un monde temporel.

Les deux aspects de ce paradoxe sont exprimés dans les versets cités ci-dessus du commencement de Tetsavé : le peuple d’Israël est appelé pour « élever une lampe perpétuelle », une lampe éternelle et immuable ; et pourtant cette lampe doit brûler et projeter sa lumière « du soir au matin », soit au sein même des conditions inconstantes du monde temporel dans lequel alternent, se mélangent et se supplantent la lumière et l’obscurité.

C’est ici que se trouvent délimitées les fonctions respectives de Moïse et d’Aharon : Moïse est la source de « l’huile pure » qui nourrit « la lampe éternelle » ; Aharon est celui qui introduit la lumière dans la réalité, dans le monde diversifié, « du soir jusqu’au matin ».

Forger une nation qui dépassera ce paradoxe requiert des « représentants » des différentes forces divines en jeu : d’un côté, les attributs divins de « vérité » et de « justice » d’où émergent la perfection et l’immuabilité de la Torah de D.ieu ; de l’autre, les attributs divins de « paix » et de « bienveillance » d’où jaillissent la diversité et la subjectivité de la création de D.ieu.

Moïse – celui qui enseigne la Torah et transmet la sagesse et la volonté divines – est la personnification de la perfection et de la vérité. Aharon, qui est le champion de l’effort humain pour servir D.ieu en élevant vers Lui les matériaux de Sa création, est le véhicule de la bienveillance et de la paix. Ensemble, ils créent et conduisent Israël, le pont entre le Créateur et la création.