Explorer la terre

La quatrième partie du livre des Nombres raconte comment D.ieu enjoint à Moïse d’envoyer (chela’h, en hébreu) des éclaireurs afin d’explorer la terre d’Israël en vue de sa conquête par le peuple juif.

À la suite de cette mission, le peuple subit son plus grave recul, puisque cela entraîne la mort dans le désert de toute la génération et le report de l’entrée en Terre Promise de trente-neuf ans. La plus grande partie de cette paracha se consacre au récit de cette tragique et douloureuse histoire.

Nombreuses sont les explications de l’échec des explorateurs dans cette mission, mais ce qui sous-tend leur erreur est la conviction que les enfants d’Israël ne seraient pas capables d’accomplir leur mission, que D.ieu surestimait d’une manière ou d’une autre leurs capacités ou bien sous-estimait les difficultés auxquelles ils seraient confrontés.

La génération de la sortie d’Égypte était parvenue à un degré de conscience divine plus élevé que n’importe quelle autre génération dans l’histoire. D.ieu les nourrissait de la manne céleste, preuve quotidienne de Son implication constante jusque dans les facettes ordinaires de la vie — ce qui fit d’eux les destinataires idéaux de la Torah.1 Ils avaient été témoins du contrôle absolu de D.ieu sur les lois de la nature, supposées « immuables », et de Son pouvoir de les suspendre pour le bien de Son peuple. Enfin, ils avaient été témoins de la révélation divine du don de la Torah au mont Sinaï. Comment donc ce peuple, exposé jour après jour aux miracles de D.ieu, put-il devenir soudain une masse de sceptiques effrayés ? Et comment leur élite spirituelle put-elle tomber si bas et contester la toute-puissance de D.ieu ?

La réponse est que c’est précisément leur erreur qui devait être révélée comme telle avant l’entrée dans le territoire. Lorsque nous considérons le grand éventail des exigences que la Torah impose à notre vie, et les efforts que nous devons déployer pour les accomplir, il est facile de tomber dans le piège de penser que D.ieu demande trop de nous. Après tout, la Torah cherche à régir tous les aspects de notre existence dans tous ses innombrables détails. Même le fait de l’étudier semble en soi un pari impossible, car « sa mesure est plus longue que la terre, et elle est plus large que la mer ».2 En outre, la Torah exige de nous de vaincre notre instinct animal inné et de résister à l’attraction de la société et de ses normes. Comment la voix faible d’une poignée de fidèles à D.ieu peut-elle être entendue au milieu du fracas de ceux qui L’ignorent ?

Ce sont des arguments qui paraissent bien solides. Pourtant, après une réflexion même brève ils s’effritent. Car même un homme responsable de la répartition de tâches ne donnerait pas à un émissaire une charge trop difficile à accomplir pour lui. Et, tandis que l’homme qui se charge de cette répartition peut se tromper dans l’estimation des capacités de son émissaire, D.ieu nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes : en tant que notre Créateur, Il est pleinement conscient de nos forces comme de nos faiblesses. Aussi, il est inconcevable qu’Il veuille nous confier une tâche que nous ne saurions exécuter.

Ainsi, en échouant dans leur mission, ironiquement les espions réussirent à donner au peuple cette leçon fondamentale.

Deuxièmement, le fait même que les explorateurs, en tant que dirigeants juifs, parcourent tout le pays le prépara spirituellement à l’entrée ultérieure du peuple tout entier. Si les espions et leur génération n’avaient pas fauté, le peuple y serait entré guidé par Moïse, et aurait remporté une victoire miraculeuse grâce à la nuée de gloire de D.ieu et à la colonne de feu. Mais alors la victoire et la conquête auraient été l’œuvre de D.ieu et non pas celle du peuple. À cause de la faute des explorateurs, il faudrait désormais conquérir la terre par des prouesses militaires, mais la victoire découlerait des efforts du peuple. Et parce qu’ils se battraient pour elle, elle leur serait plus chère que s’ils l’avaient reçue comme seul don de D.ieu.

Ainsi, dans cette optique, il fallait que les éclaireurs « fautent » : c’était la seule façon d’atteindre l’objectif de faire du monde la demeure de D.ieu, la seule façon de permettre au processus historique de se dérouler exactement comme il convenait. Leur véritable faute ne fut pas leur acte en soi, mais le fait d’avoir mis l’accent uniquement sur l’une des faces de la médaille.

Ainsi, la leçon que nous devons tirer des explorateurs est d’aspirer à la vie spirituelle tout en nous soumettant humblement au désir de D.ieu de faire de ce monde Sa demeure. Lorsque nous entreprenons la quête de manifester notre dimension divine en tant que mandat de D.ieu, et non comme un moyen de faire prévaloir nos intérêts personnels, notre mission est assurée de réussir.3