Les préparatifs pour le voyage

Dans la seconde partie du livre des Nombres, le récit débute lorsque D.ieu ordonne à Moïse de compléter son recensement (nasso, en hébreu) des familles des Lévites. La Torah retrace ensuite le processus de purification que les Juifs durent accomplir avant de quitter le mont Sinaï pour la terre d’Israël. Cette section se conclut par le détail des offrandes des chefs de tribu le jour où le Tabernacle fut mis en fonctionnement. Leurs offrandes soulignaient le fait que la traversée imminente du peuple juif dans le désert – à l’instar du voyage de tout un chacun au cours de sa vie pour accomplir sa mission divine – doit être une expérience à la fois individuelle et collective.

La section précédente, qui se conclut par la conscription de la famille lévite de Kehat au service du Temple, commence par la conscription des deux autres familles lévites, celles de Guerchon et de Merari. Cela suscite d’ores et déjà la curiosité : à quoi bon cette césure au milieu du récit de la conscription des Lévites ? Mais ce n’est que le commencement. Guerchon était le fils aîné de Lévi ; Kehat et Merari naquirent après lui. Dès lors, pour quelle raison la famille de Kehat est-elle tirée de sa place naturelle, à la suite de celle de Guerchon, et greffée artificiellement à la fin de la paracha précédente ?

Selon le Midrash,1 la Torah donne la priorité à Kehat et les siens parce qu’ils portaient l’Arche de l’Alliance, qui abritait les Tables de la Loi. Du fait que cette famille transportait la Torah, moyen par lequel le Juif se lie à D.ieu, elle est décrite en premier.

Or l’expression employée dans ces deux parachas pour signifier « effectuer un recensement » est, littéralement, « élever la tête ». Comme il a été expliqué,2 le recensement du peuple eut pour effet de convoquer les talents – autrement latents – nécessaires à leur conscription dans l’« armée » de D.ieu à la veille de leur voyage dans le désert. C’est donc cette expression, véhiculant le sens d’élévation, qui commence la paracha et lui donne en même temps son nom : nasso, qui signifie « élever ». Ainsi, la paracha Nasso décrit l’élévation précédant la traversée du désert.

Mais la paracha commence par ces mots : « Effectue également un recensement des fils de Guerchon. » Le fait que ce dénombrement soit présenté comme secondaire par rapport à celui de la famille de Kehat, comme un rappel survenu presque au dernier instant, indique que le vrai dénombrement, le véritable acte « d’élever la tête », est celui portant sur les fils de Kehat. La raison en est que – nous l’avons déjà dit – la famille de Kehat portait l’Arche de l’Alliance, qui abritait la Torah. La Torah est le véritable moyen par lequel nous « élevons la tête », autrement dit nous atteignons des niveaux de plus en plus élevés de conscience divine. C’est pourquoi la famille de Kehat fut comptée en premier.3

Dès lors que notre conscience s’élève, toute notre vie s’élève avec elle ; aussi, une fois que la famille de Kehat a été « élevée », vient le moment d’élever celle de Guerchon. De fait, le pouvoir propre à la Torah de nous hausser au-delà du monde matériel se manifeste dans sa plénitude, non pas lorsqu’elle élève notre conscience, mais lorsqu’elle agit ainsi sur notre vie ordinaire, la vie de tous les jours. C’est la raison pour laquelle les paracha de Bemidbar et de Nasso sont séparées entre les dénombrements des familles de Kehat et de Guerchon : Nasso s’ouvre par le recensement de celle de Guerchon pour nous enseigner que la vraie « élévation des têtes » s’atteint lorsqu’elle affecte également nos vies ordinaires.4

Le fait de placer le recensement de Guerchon au début de la paracha souligne en outre la primauté de l’action sur l’étude. Comme il a été vu, l’étude de la Torah et la pratique concrète des commandements de D.ieu l’emportent l’une sur l’autre de points de vue différents. L’étude de la Torah nous unit à D.ieu d’une manière consciente, mais ceci a seulement prise sur notre intellect. L’accomplissement des commandements, en revanche, nous unit à D.ieu uniquement sur un mode subliminal, mais cette union imprègne le corps matériel. Rapporter en premier lieu le recensement de Kehat souligne la primauté de l’étude de la Torah ; l’ordre de répartition des paracha, de sorte que ce soit Guerchon qui introduise Nasso, met en relief la supériorité de la pratique des commandements.

Enfin, le fait que cette préparation – l’élévation par l’étude de la Torah – ait lieu dans le désert souligne que le but et l’accomplissement les plus réussis de l’étude de la Torah sont de parvenir à transformer même le désert stérile du vide spirituel en demeure de D.ieu sur terre.5