Terouma – Le Tabernacle

Comme la Torah le racontera par la suite, lorsque les Juifs furent convaincus que Moïse ne descendrait pas du mont Sinaï, ils commirent la faute d’adorer un veau d’or. Aussi, Dieu retira Sa présence du peuple juif. Afin de la restaurer, Il leur ordonna de construire pour elle une « demeure » portable. Celle-ci consisterait en une tente-sanctuaire (le Tabernacle), une cour tout autour et des pièces de mobilier placées à des endroits spécifiques. La septième partie du livre de l’Exode débute par l’ordre de Dieu de contribuer par un prélèvement (terouma, en hébreu) à la construction de ce Tabernacle.

Comme il a été expliqué, Dieu créa ce monde afin d’en faire Sa demeure. Ce but fut atteint pour un instant fugace lors de la création, mais les méfaits des premières générations contraignirent la présence divine à se retirer dans des niveaux spirituels de plus en plus éloignés. L’inversion de ce processus fut entamée par Abraham, poursuivie par ses successeurs, et atteignit son point culminant grâce à son descendant de la septième génération, Moïse.

En donnant la Torah par l’intermédiaire de Moïse, Dieu enseigna à l’humanité comment faire de ce monde Sa demeure en permanence. Mais, surtout, Il fit que Son essence devienne partie intégrante de l’âme juive. Le peuple juif devint ainsi la présence vivante de Dieu sur la terre, irrévocablement obsédé par la Divinité et Ses implications pour le monde.

Mais le don de la Torah, aussi profond qu’il ait été, ne parvint pas à restaurer entièrement la présence de Dieu sur la terre. Car il fut essentiellement une initiative de Dieu : « Et Dieu descendit sur le mont Sinaï. »1 Toute la création fut submergée par le caractère extraordinaire de l’événement.

En outre, Dieu ayant amorcé la révélation, celle-ci ne pouvait perdurer, car elle n’avait pas le moyen de s’intégrer dans la trame de la réalité. « Le mont Sinaï était tout en fumée » – le Divin pénétra et sanctifia jusqu’aux pierres inanimées du Sinaï, et « ils ne pouvaient en toucher l’extrémité » ; cependant, « lorsque le son de la corne de bélier retentira, il leur sera permis de gravir la montagne »2 : une fois la révélation achevée, la montagne revint à son état antérieur comme si rien ne s’était passé.

Il fallait donc, après le don de la Torah, que le peuple juif contribue personnellement à ce que la présence de Dieu revienne sur terre. Il est vrai que la révélation qu’éveillerait cet acte ne saurait imprégner la réalité entière – car seuls les aspects de la réalité participant à l’effort en seraient affectés, mais ceux-là le seraient en permanence.

Dans la paracha de Terouma, la contribution du peuple juif au retour de la présence de Dieu se concrétise par la construction du Tabernacle. « Ils me feront un sanctuaire afin que Je demeure en leur sein. »3 Dans le Tabernacle, Dieu trouve enfin une demeure permanente dans le monde matériel et, à travers lui, une demeure au sein de chaque individu. Comme l’enseignent nos sages : « Il n’a pas dit : “Je demeurerai en lui” (dans le Tabernacle), mais “Je demeurerai en eux” (en chacun). »4 La présence du Tabernacle consolida la conscience divine dans la vie du peuple, à la fois en tant que nation et en tant qu’individus.

Le mot terouma signifie « don » ; littéralement, « prélèvement » sur les biens de quelqu’un. La paracha débute par le commandement de Dieu de faire don de matériaux pour la construction du Tabernacle. Le don est un acte paradoxal : en donnant, nous disons en même temps que cela est à nous et que nous pouvons en faire ce que bon nous semble, et, en même temps, nous y renonçons au profit d’autrui. Nous « admettons », pour ainsi dire, que nous sommes moins dignes de notre richesse que l’individu ou la cause à qui nous l’offrons – que notre propre vie privée ne constitue pas la raison d’être de l’existence.

Ainsi, contrairement au don de la Torah sur le mont Sinaï, qui entraîna une annulation complète mais éphémère de la grossièreté matérielle du monde, la contribution à la construction du Tabernacle provoqua le raffinement graduel mais permanent de la création.

C’est pourquoi l’ordre de Dieu de contribuer à la construction du Tabernacle précède celui de le construire et que cette paracha porte bien le nom de Terouma : en effet, c’est au cours du processus de don pour la construction du Tabernacle que sa nature et sa finalité essentielles – la concrétisation de la présence divine dans la réalité terrestre telle qu’elle est accomplie par l’effort humain – s’expriment le plus complètement.5