41:2–6 Sept vaches… sept épis de blé. Pharaon ne rêva que du terrestre – des animaux et de la nourriture –, tandis que Joseph rêva du terrestre et du céleste. Cette différence reflétait leurs différentes perspectives : Pharaon ne percevait rien de plus haut que la réalité matérielle, tandis que Joseph était aussi parfaitement conscient de la réalité spirituelle. En outre, le fait que les deux rêves de Joseph, ayant respectivement trait au matériel et au spirituel, livraient en substance un même message, montre que pour Joseph le terrestre et le céleste ne faisaient qu’un. Non seulement le terrestre ne le distrayait pas du céleste, mais il était transfiguré et était devenu céleste.1
41:8 De façon satisfaisante pour Pharaon. Comme l’abondance de la production agraire de l’Égypte dépendait des crues annuelles du Nil, les vaches et le blé émergeant du fleuve constituaient des symboles manifestes de subsistance matérielle, et il semblait plausible de les interpréter comme signifiant des années successives de récoltes abondantes et de famine. Cependant, les conseillers de Pharaon furent troublés par le fait que dans le rêve les sept vaches décharnées et les sept vaches saines se tenaient les unes à côté des autres, alors que les années de famine et les années d’abondance ne pouvaient se produire simultanément. D’un autre côté, si les vaches et le blé ne symbolisaient pas des saisons agraires, comment expliquer que le Nil produisait une abondance de nourriture et une pénurie de nourriture en même temps ? C’est pourquoi ils proposèrent d’autres interprétations, comme : « Tu auras sept filles en bonne santé et tu enseveliras sept autres filles. » Il est vrai que ces interprétations ne faisaient pas cas de la présence manifeste du Nil dans le rêve de Pharaon, mais les conseillers de Pharaon mirent ce détail au compte des incohérences qui caractérisent inévitablement les songes prophétiques.2 Néanmoins, Pharaon savait que ce type d’interprétation ne pouvait pas être juste, car en tant que chef suprême de l’Égypte, il avait conscience que ses rêves véhiculaient davantage qu’une signification qui avait trait à lui seul.3
41:35 Simultanément. Les rêves de Joseph avaient eu pour conséquence qu’il soit vendu comme esclave en Égypte ; les rêves de Pharaon eurent pour conséquence que Joseph soit couronné vice-roi, ce qui en définitive aboutit à l’exil égyptien, qui est la préfiguration de tous nos exils.4
L’exil fut causé par des rêves parce que l’exil lui-même est comme un rêve. Les rêves consistent en des illusions incohérentes où des éléments conflictuels et contradictoires peuvent coexister. De façon analogue, notre conduite en exil peut sembler hypocrite : nous prions Dieu avec une dévotion absolue, et cependant, en l’espace de quelques minutes, nous nous retrouvons à agir d’une façon qui contredit les injonctions de Dieu. Nos actes ne sont pas à la hauteur de nos paroles, et nos paroles ne font pas écho à nos pensées.5
Le lien entre l’exil et les rêves nous enseigne que, bien que nos actions puissent parfois apparaître hypocrites, nous ne devons pas en être découragés. Nous ne devons pas abandonner du fait de nos défaillances momentanées. Nos mauvaises actions n’ont de portée que jusqu’au moment où nous réparons leurs dommages à travers le repentir. En revanche, la portée de nos bonnes actions est éternelle.6
41:44 Nul homme. Quand les conseillers de Pharaon entendirent qu’eux aussi seraient subordonnés à Joseph, ils s’exclamèrent : « Comment peux-tu accorder à un esclave de l’autorité sur nous ?! » Pharaon leur répondit : « J’ai décelé en lui des caractéristiques royales. » Ils lui dirent : « Si tu es dans le vrai, il doit connaître les soixante-dix langues,7 comme toute royauté le requiert. » Mais avant qu’ils aient la possibilité d’éprouver Joseph, l’ange Gabriel vint lui enseigner toutes les langues qu’il ne connaissait pas encore. Par la suite, quelle que fût la langue dans laquelle Pharaon s’adressait à Joseph, celui-ci lui répondait dans la même langue.
Par contre, quand Joseph essaya de converser avec Pharaon en hébreu, Pharaon ne comprit pas, car la langue hébraïque n’avait été préservée que par la lignée de Chem.8 Quand Pharaon vit que Joseph connaissait cette langue – et qu’il était ainsi plus digne que lui d’être le chef suprême de l’Égypte –, il dit à Joseph : « Fais-moi le serment que tu ne le divulgueras pas », et Joseph le lui jura.9
41:46 Il parcourut. Bien qu’il était libre d’agir comme bon lui semblait, Joseph ne fit aucune tentative pour informer son père qu’il était vivant, car il avait été témoin du pacte scellé par ses frères interdisant à chacun de dire la vérité à leur père au sujet de sa disparition jusqu’à ce qu’ils reçoivent de Dieu un signe pour le faire.10 Comme Dieu n’avait pas encore donné le moindre signe dans ce sens, Joseph comprit, tout comme son grand-père Isaac avant lui,11 que Dieu ne souhaitait pas encore que Jacob connaisse la vérité.12
41:48 Un peu du sol. Notre « nourriture » spirituelle est la connaissance de la Torah, que nous acquérons en l’étudiant.13 Pour que cette « nourriture » soit retenue par nous et pour nous assurer qu’elle n’est pas « gâchée », nous devons déposer un peu de « sol » en elle.14
Le sol, qui est foulé par tous, caractérise l’humilité. En étudiant la Torah avec humilité, nous l’intériorisons et nous assurons ainsi que la connaissance que nous avons d’elle perdurera et gardera sa fraîcheur.15
41:51–52 Manassé… Ephraïm. La vie en exil requiert que nous adoptions deux approches apparemment contradictoires du monde environnant :16 d’un côté, nous devons être constamment vigilants face aux influences néfastes ; d’un autre côté, nous devons nous investir dans le monde extérieur afin d’exercer sur lui un ascendant salutaire.
En clair, influencer notre environnement est plus important que se contenter de maintenir nos valeurs. Néanmoins, le maintien de nos valeurs doit être notre priorité, car si nous oublions nos racines nous n’aurons plus rien pour contribuer au monde.
Les deux fils de Joseph, nés et élevés en Égypte, incarnent ces deux aspects de la vie en exil. Joseph nomma son premier-né Manassé « afin de n’oublier ni sa famille ni son héritage ». Il nomma son second fils Ephraïm « car Dieu m’a fait fructifier dans le pays de ma souffrance » ; autrement dit, afin de souligner que notre vocation dans le monde est d’influer sur lui positivement.17
41:55 Allez chez Joseph. Joseph savait que Dieu avait ordonné à Abraham et à ses descendants de circoncire tous les serviteurs qu’ils acquerraient.18 Le fait qu’il devint officiellement responsable du bien-être de l’Égypte eut pour conséquence de faire de tous ses citoyens sa propriété, et il eut alors le devoir de les circoncire. Lorsqu’ils vinrent lui demander de la nourriture, il vit l’occasion d’exercer son autorité pour qu’ils le fassent. C’est pourquoi il leur répondit qu’il ne leur donnerait du blé qu’à la condition qu’ils consentent d’abord à se circoncire.
Circoncis. La société égyptienne était immergée dans la recherche avide du plaisir charnel,19 lequel, comme l’écrit Maïmonide, 20 est tempéré par la circoncision. Ainsi, en faisant que les Égyptiens se circoncisent, Joseph tempéra leur obsession de l’assouvissement charnel.
Le peuple juif est collectivement désigné comme « Joseph ».21 Ainsi, nous sommes censés suivre l’exemple de Joseph en demeurant hors d’atteinte de notre environnement matérialiste, voire même en l’ennoblissant. En affermissant notre engagement au judaïsme, nous conduisons nos frères juifs à affermir le leur. Plus encore, nous influençons plus largement la communauté des non-juifs à observer les lois de la Torah qui les concernent (les lois noa’hides). Ainsi, nous finirons par transformer le monde entier en une demeure pour Dieu.22
42:8 Eux ne le reconnurent pas. Joseph était capable de maintenir sa conscience du divin bien qu’immergé dans le monde profane, ce que ses frères n’étaient pas en mesure de faire. D’où le fait qu’ils « ne le reconnurent pas » : ils furent incapables d’imaginer que ce vice-roi d’Égypte pouvait être Joseph le juste puisque, dans leur perspective, il était impossible d’être immergé dans le profane et demeurer vertueux.23
42:21 Car nous avons vu son désespoir. Le crime de la vente de Joseph en captivité peut être perçu comme une métaphore de nos « crimes » envers notre propre âme divine, lesquels crimes sont commis également envers Dieu puisque l’âme divine est une partie de Dieu.
Le séjour de l’âme dans le corps et sa conscience profane est à l’image d’un prince en captivité. Le but de cet exil est que l’âme ennoblisse son rapport au monde matériel et le pénètre de spiritualité. Ainsi, il est donné à l’âme la possibilité de s’élever à un degré de spiritualité plus haut que celui qui était le sien avant de descendre ici-bas.
En conséquence, tant que nous demeurons fidèles à la vocation de la descente de l’âme, celle-ci est heureuse d’endurer le vécu dans la captivité matérielle. Lorsque, en revanche, nous ne sommes pas fidèles à notre mission, et de façon certaine lorsque notre conduite va à son encontre, l’âme souffre d’une douleur injustifiée. Et à nouveau, dans la mesure où l’âme est une partie de Dieu, chaque fois que nous nions la vocation de la descente de l’âme, ou même ne la justifions pas, nous envoyons, pour ainsi dire, Dieu en captivité, tout comme les frères le firent pour Joseph.24
43:14 Parallèlement. Le bon sens ordinaire dicte que la prière est avant tout nécessaire dans les situations désespérées. Dans les circonstances ordinaires, nous présumons que, tant que nous faisons ce que nous avons à faire, tout le reste se mettra naturellement en place.
Cependant, ce que les paroles de Jacob à ses enfants nous enseignent, c’est que, même lorsqu’une issue favorable semble parfaitement plausible, nous ne devons jamais présumer pouvoir y aboutir sans l’aide de Dieu. Nous devons toujours prier – et pas uniquement à titre de précaution supplémentaire, mais comme premier recours.
Même s’il nous faut frayer des voies naturelles nous permettant de recevoir les bénédictions de Dieu, nous devons avoir conscience qu’en réalité, Dieu – qui transcende la nature – contrôle le moindre aspect de notre vie. Lorsque nous en prendrons pleinement conscience, nous percevrons de façon certaine que les événements « naturels » de notre vie sont en fait des miracles travestis par la nature.25
43:30 Joseph… gagné par la compassion. Après avoir béni Benjamin, Joseph conversa avec lui pour faire écho à l’idée que les enfants sont des cadeaux issus de la bienveillance de Dieu,26 et lui demanda : « As-tu un autre frère de ta mère ? »
Benjamin répondit : « Oui, mais je ne sais pas ce qu’il est devenu. »
« As-tu des enfants ? »
« J’ai dix fils. »
« Quels sont leurs noms ? »
« Béla, Bè’her, Achbel, Guéra, Naamane, E’hi, Roch, Moupim, ‘Houpim et Ard. »27
« Que signifient ces noms ? »
« Ils sont tous une allusion à mon frère disparu et aux épreuves qu’il a traversées. Béla, parce qu’il fut “englouti” (nivla) et a disparu parmi les gentils. Bè’her rappelle qu’il était le “premier-né” (be’hor) de notre mère. Achbel est une allusion à la façon dont “Dieu le conduisit en captivité” (chevao el). Guéra, parce qu’il est devenu “résident”(guer) parmi les gentils. Naamane, parce qu’il était “agréable” (naïm). E’hi, car il était “mon frère” (a’hi). Roch car, en tant que frère aîné, il était mon supérieur (roch, “tête”). Moupim rappelle comment il étudia “de la bouche de” (mipi) mon père. ‘Houpim, parce qu’aucun de nous n’a pu assister au mariage de l’autre et n’a vu l’autre sous le “dais nuptial” (‘Houpah). Ard rappelle qu’il “descendit” (yarad) pour vivre parmi les gentils. »
Quand Joseph entendit que Benjamin avait donné à tous ces fils des noms qui le rappelaient lui ou ses infortunes,28 il fut gagné par l’émotion.
44:2 À l’ouverture du sac du plus jeune. En faisant de Benjamin la victime d’un coup monté, Joseph créa une situation dans laquelle ses frères pouvaient se repentir de leur péché de l’avoir vendu. Si ses frères mettaient leur vie en jeu pour sauver Benjamin, cela équivaudrait à faire de même pour sauver Joseph. Ils s’amenderaient ainsi pour leur crime envers Joseph en adoptant une attitude inverse, ce qui les affranchirait des retentissements négatifs de leur péché.29
44:7 Ce serait déshonorant pour nous. Le sens littéral de ces mots est : « ce serait profane pour nous ». Le fait que les frères firent usage d’une telle expression en s’adressant à un Égyptien indique que le profane leur était si étranger qu’ils s’attendaient à ce que l’Égyptien le sache.
En tant que Juifs, le profane, autrement dit le fait de donner la priorité aux intérêts matériels, fait si peu partie de nous qu’il nous est complètement étranger. Nous apprenons des fils de Jacob que ce sentiment ne doit pas rester enfoui quelque part dans les recoins de notre subconscient : il doit être à ce point partie intégrante de nous que les autres le comprennent. C’est ce détachement même qui nous permet de sanctifier le profane.30
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