9 Voici la descendance de Noé. L’introduction de la Torah à la chronique des descendants de Noé est porteuse pour nous de deux leçons relatives à la façon d’élever les enfants.

La Torah commence par évoquer la rectitude de Noé. De là nous apprenons qu’il convient de marquer notre déférence pour les personnes particulièrement saintes dont notre monde s’honore.

Il ne suffit pas de penser que nous sommes grandement redevables à ces personnes : nos enfants doivent nous entendre nous exprimer à leur propos. La seule mention de leurs noms doit nous faire évoquer la sainteté de leur conduite, à l’instar de la Torah à l’égard de Noé.

Nous devons en particulier marquer notre admiration pour le fait qu’ils sont, tel Noé en son époque, « intègres dans leur sainteté » – autrement dit que celle-ci s’étend à tous les aspects de leur vie, y compris des actes apparemment très ordinaires comme manger.

Notre véritable postérité est faite de nos bonnes actions. Ceci nous enseigne que nous devons donner à nos enfants une éducation qui leur fasse ressentir que notre plus grand espoir à leur égard est qu’ils se distinguent par leurs bonnes actions, lesquelles perpétueront notre lignée au plan spirituel. Bénis par une telle éducation, nos enfants suivront la bonne voie dans leur relation avec Dieu, avec leurs semblables, et en particulier avec leurs parents. Une telle atmosphère fera communier la famille dans le but partagé d’exceller dans des actes de bonté et de bienveillance.1

La Torah commence par évoquer sa rectitude. La parole réveille les traits de caractère qui sont latents. Lorsque nous parlons en mal des autres, cela renforce les aspects négatifs de leur caractère ; et dans une plus large mesure encore, lorsque nous nous exprimons en bien à leur égard, cela renforce leurs qualités. Cela nous enseigne que nous devons toujours nous efforcer de discerner le bien chez nos semblables et de faire mention de leurs qualités. Le résultat est double : nous faisons que la bonté d’autrui se révèle avec d’autant plus de vigueur, et nous les aidons à accomplir la mission divine qui est la leur.2

Il était intègre en dépit (ou bien : au regard) de ses générations. Ces deux lectures du verset nous encouragent à faire nôtre l’attitude de Noé face à son environnement, même si nous pouvons être tentés d’agir autrement.

Lorsque nous nous sentons spirituellement bien armés, nous pouvons être amenés à penser que nous n’avons pas besoin de nous protéger en « entrant dans l’arche », autrement dit en nous immergeant dans le monde de la prière et de l’étude de la Torah, car nous ne nous sentons pas menacés par des « eaux déferlantes ». La première interprétation de ce verset dément une telle idée, car même un juste comme Noé dut « entrer dans l’arche ». Mais il y a d’autres moments quand, à l’image de Noé selon la seconde lecture du verset, nous ne sommes des justes qu’en comparaison de ceux qui sont autour de nous. Nous pouvons alors apprendre de Noé qu’en dépit des « eaux déferlantes » qui nous menacent, nous avons le moyen de sauver le monde entier et nous-mêmes avec lui. Une seule bonne action de notre part peut infléchir le cours des choses et faire que les mérites du monde contrebalancent ses manquements.3

14 Tu l’enduiras à l’intérieur et à l’extérieur de poix. Le mot « enduire » (kofer) peut aussi connoter « expiation » (kappara). Nos sages nous enseignent que l’étude de la Torah et les actes de bonté forgent l’expiation, et purgent une personne de l’avilissement causé par le péché. La phrase peut alors être lue comme suit : « Lorsque l’expiation nous est nécessaire (comme ce fut le cas de la génération de Noé), il convient de nous “enduire” intérieurement du kofer de l’étude de la Torah (une activité intérieure), et à l’extérieur, du kofer des actes de bonté (une activité manifeste). »4

16 Une fenêtre de toit en faisant usage d’une pierre lumineuse. Une fenêtre ne crée pas de lumière par elle-même : elle ne fait que permettre à la lumière extérieure de pénétrer. Une pierre lumineuse, en revanche, constitue elle-même une source de lumière. Au plan métaphorique, permettre à la lumière de pénétrer dans l’arche caractérise le fait d’amener la conscience du divin dans un monde qui ternit le divin :

Fenêtre de toit. La première étape consiste à percer la façade de la nature, qui ternit la présence de Dieu et fait percevoir le monde comme indépendant de Lui. En réalité, Dieu s’implique bien dans la marche du monde ; nous pouvons souvent ressentir que la main de Dieu est à l’œuvre dans les « coïncidences » qui se produisent dans notre vie.5 Mais si nous voulons voir la présence de Dieu de manière claire, nous devons auparavant regarder au-delà du voile de la nature qui la ternit.

Une pierre lumineuse. Une fois que nous avons établi la fenêtre permettant à la lumière surnaturelle de Dieu d’investir notre conscience, nous atteignons une plus haute perspective encore : nous apprenons à percevoir la nature elle-même comme véhiculant la lumière et la révélation. Par exemple, comme nous le verrons par la suite,6 le fonctionnement cohérent de la nature reflète le caractère immuable de Dieu.

L’idée est caractérisée par la « pierre lumineuse » : une « pierre », qui apparaît comme un objet inanimé et terne, devient une source « lumineuse » de révélation.7

18 Tu entreras dans l’arche ainsi que ta famille. Avant le Déluge, l’idée du repentir était passablement ignorée. Cette réticence au repentir et à l’ennoblissement du caractère était due à la nature fruste du monde physique à cette époque. Après le Déluge, Noé eut devant lui un « monde nouveau »,8 autrement dit un monde qui avait été purifié et ennobli au point que le repentir n’y était désormais plus une lointaine éventualité.

C’est la raison pour laquelle Noé ne pria pas pour ses contemporains et ne chercha pas à les juger favorablement. Noé n’avait jamais éprouvé les terribles tentations dont ses contemporains avaient été l’objet, et ne pouvait ainsi pas concevoir qu’une personne puisse ne pas obéir à la parole de Dieu. Il n’avait jamais connu ni défaillance ni repentir du fait que la repentance n’existait pas encore. Aussi ne fut-il pas inspiré à les juger favorablement ou à prier pour eux.9

19 De tous les êtres vivants. Au plan métaphorique, les mots « tous les êtres vivants » nous enseignent qu’il est de notre devoir d’amener quiconque est en danger de « noyade » spirituelle à l’abri dans notre « arche spirituelle » personnelle. Le concept de providence divine dicte que, quand Dieu fait en sorte que nous sachions qu’une personne a besoin d’aide, c’est le signe que nous sommes censés l’accueillir dans notre vie et la rapprocher du divin.10

20 L’arche n’accueillera que les animaux qui ne se sont pas accouplés entre espèces. Il y eut d’autres miracles qui permirent à Noé de sauver les animaux. Par exemple, il est totalement contre nature que des animaux prédateurs demeurent une année entière confinés dans un compartiment. D’ordinaire, le fonctionnement d’un zoo nécessite un certain personnel, à la fois pour maintenir les animaux en place et pour assurer leur sécurité. L’arche, en revanche, n’avait pour tout « personnel » que Noé et ses enfants, constamment mobilisés pour nourrir les animaux, ce qui constituait un fardeau si lourd et si pénible qu’ils ne purent jamais goûter de véritable sommeil durant leur séjour dans l’arche.11

Et cependant, la paix régna dans l’arche de Noé, ce qui fut un avant-goût des temps messianiques, lors desquels le loup côtoiera paisiblement l’agneau.12 Nous devons dès lors présumer que la nature des animaux prédateurs fut miraculeusement transformée pendant leur séjour dans l’arche.13

1 Viens dans l’arche. Au plan métaphorique, nos « arches » personnelles sont les moments que nous consacrons à l’étude de la Torah et à la prière. Tout comme l’arche protégea Noé et sa famille du déluge qui faisait rage à l’extérieur, nous pouvons « entrer » dans les mondes de l’étude de la Torah et de la prière afin d’être protégés du « déluge » des préoccupations terrestres qui menace de nous submerger.

Il est particulièrement salutaire de commencer par nous immerger dans la prière dès le matin. Chaque matin, lorsque nous affrontons de nouveau le monde, lui et tout ce qu’il contient peuvent paraître exister de façon autonome, comme n’ayant nul besoin de Dieu. Les prières du matin nous permettent de reconnaître que le monde ne peut pas exister par lui-même, et que sa finalité est que nous en fassions la demeure naturelle de Dieu.

Entreprendre ainsi notre journée nous aide à faire en sorte d’éviter les activités qui ne servent pas cette mission, et à veiller à faire usage de chaque moment comme une occasion de la mener à bien. Ainsi disposés, nous pouvons exercer toutes nos activités matérielles sans craindre qu’elles ne deviennent des « eaux rugissantes » qui nous accablent d’anxiété, de stress et de confusion.14

Toi et toute ta famille. Le fait d’avoir dit qu’« entrer dans l’arche » signifie au plan métaphorique nous immerger dans les mondes de l’étude de la Torah et de la prière ne signifie pas pour autant que nous pouvons être oublieux des besoins de nos semblables. Nous ne saurions nous contenter de notre seul salut individuel. Nous avons le devoir d’amener notre famille, nos enfants et, en définitive, le monde entier au havre protecteur de l’étude de la Torah et de la prière. La détresse de notre prochain ne doit nous donner aucun répit, car nous formons tous une seule et même entité : si l’un de nous est spirituellement mal portant, nous tous en sommes affectés.15

2 Les animaux qui ne sont pas spirituellement purs. Plutôt que de qualifier sans ménagement les animaux non-cachers de « spirituellement impurs », Dieu les désigne par l’expression « qui ne sont pas spirituellement purs », ajoutant ainsi au texte de la Torah huit lettres apparemment superflues. Cela nous enseigne que nous devons, nous aussi, déployer tous nos efforts pour faire exclusivement usage d’un langage propre et adouci par l’emploi de périphrases.16 Il est vrai que l’expression « spirituellement impur » (tamé) apparaît dans la Torah à de nombreuses reprises, mais c’est alors dans le cadre de l’énoncé d’une loi, qui se doit d’être clair et sans équivoque. Le terme ainsi mentionné sans détour ne connote rien de négatif dans un tel contexte, car l’enjeu est celui de la loi et non celui de l’impureté. En revanche, dans une narration il convient de privilégier la périphrase.17

11 Dans la 600e année. Le Zohar18 interprète ce verset comme une prophétie : « Dans la 600e année du sixième [millénaire, c’est-à-dire vers l’année 1840], les portes de la sagesse supérieure et les sources de la sagesse terrestre s’ouvriront, afin de préparer le monde à être élevé au septième [millénaire, c’est-à-dire l’ère messianique]. »

La « sagesse supérieure » désigne la sagesse de la Torah, tandis que la « sagesse terrestre » désigne le savoir profane. Or, la période à laquelle la prophétie du Zohar fait allusion fut le théâtre d’un formidable essor du savoir, à la fois dans le domaine de l’articulation rationnelle des secrets profonds de la Torah et en la matière de découvertes scientifiques révolutionnaires. D’un côté, nous pouvons aisément comprendre comment la révélation de la dimension intérieure de la Torah prépare le monde à l’ère messianique – il nous est enseigné que ces révélations constituent un avant-goût de la sagesse divine dont le monde sera alors investi.

On peut, en revanche, se demander en quoi les découvertes révolutionnaires dans le domaine des sciences profanes sont susceptibles de préparer le monde à l’ère messianique.

En premier lieu, les récentes avancées technologiques nous donnent un avant-goût du climat spirituel qui prévaudra à l’ère messianique. En ce temps-là, notre perception du divin ne sera plus circonscrite au domaine intellectuel : l’œil physique sera en mesure de voir l’énergie divine qui maintient le monde.19 La technologie moderne nous permet d’avoir un aperçu d’une telle perception empirique du divin. Par exemple, la conscience qu’un téléphone ou une radio peuvent nous permettre d’entendre une voix émise à l’autre bout du monde constitue un exemple empirique de l’idée que Dieu voit et entend tout ce qui se déroule dans l’univers.

En outre, les avancées scientifiques elles-mêmes font écho aux concepts exposés dans la dimension intérieure de la Torah. Le concept de l’unicité de Dieu, par exemple, est mis en évidence par la science elle-même. Les hommes de science étaient généralement convaincus que chaque organisme était fait de nombreux éléments distincts. Mais à mesure que la science se développe, elle reconnaît que la diversité présente dans l’univers n’est qu’une apparence, et que l’univers consiste essentiellement en l’unité de la forme et de la matière.

Lorsque nous contemplons l’unité du monde à travers les yeux de la science, nous réalisons que cette unité est le pendant de l’unité du divin (laquelle est révélée à travers la dimension intérieure de la Torah). Et partant, cela « prépare le monde à l’élévation du septième [millénaire] ».20

Dans le deuxième mois, Mar’hechvane. Le Déluge métaphorique commence lui aussi en Mar’hechvane. Au cours du mois de Tichrei, nous passons la plupart de notre temps dans « l’arche » des fêtes solennelles (Roch HaChanah et Yom Kippour), de Souccot et de Sim’hat Torah. C’est seulement le mois suivant, Mar’hechvane, que nous retournons à la vie ordinaire. Bien que cette transition apparaisse comme une régression spirituelle, la vie ordinaire que nous reprenons en Mar’hechvane comporte en fait un avantage en ce que nous accomplissons alors la finalité de forger une demeure au divin dans ce monde, précisément en pénétrant l’existence ordinaire d’une conscience du divin.21

Les cataractes des cieux. Les eaux déferlantes du Déluge caractérisent les soucis qui envahissent l’esprit. Ces soucis peuvent prendre deux formes :

Le grand abîme : Ce sont les inquiétudes qui ont trait aux enjeux « bas », c’est-à-dire purement matériels, comme les soucis d’argent.

Les cataractes des cieux : ce sont les inquiétudes liées à des sujets « élevés », c’est-à-dire plus spirituels et plus nobles, comme des responsabilités communautaires susceptibles de ne pas toujours permettre de se consacrer à l’étude de la Torah et à l’accomplissement des commandements. Bien qu’il soit évidemment important de participer aux tâches communautaires, la chose ne doit pas se faire aux dépens de l’étude de la Torah et de l’observance des commandements, car c’est justement à travers le respect des commandements que l’on se relie à Dieu et que Son aide nous est acquise.22

12 Quarante jours et quarante nuits. Dans la mesure où la souillure spirituelle résulte de la mort et constitue également une forme subtile de mort, la purification spirituelle est une forme de renaissance. Aussi, le Déluge dura quarante jours et quarante nuits, une durée associée à la naissance : c’est le temps nécessaire à un embryon pour devenir entièrement formé depuis sa conception. De façon analogue, la quantité minimale d’eau que doit contenir un mikvé (le bassin rituel utilisé pour la purification spirituelle), à travers lequel une personne « renaît » spirituellement, est de quarante séa.23

Au plan métaphorique, les eaux du Déluge correspondent à nos soucis financiers, lesquels, de façon analogue, servent à nous purifier spirituellement. Il est vrai qu’ils nous distraient et nous perturbent temporairement, mais en même temps, ils percent une brèche dans les murs de nos certitudes, nous permettant ainsi de nous projeter au-delà de notre ego. C’est alors que nous devenons sensibles à la sainteté.

Du fait que la véritable finalité de nos problèmes financiers n’est pas – à Dieu ne plaise ! – de nous punir, mais de tempérer notre excès d’ego, la chose peut être accomplie en un seul et court moment. Pour peu que nous puissions rapidement le message que recèlent les soucis d’ordre financier et transcendions notre ego, aucun autre souci monétaire ne sera nécessaire pour nous amender.24

1 Dieu se souvint de Noé. Prendre soin des animaux était une tâche extrêmement pénible ; aussi, Noé et sa famille imploraient Dieu de les soulager de leur souffrance dans l’arche. Par égard pour les prières de Noé – et aussi au titre du fait que les animaux ne s’étaient pas livrés aux relations entre espèces avant d’entrer dans l’arche25 et ne s’étaient pas accouplés quand ils y avaient séjourné, ainsi qu’ils en avaient reçu l’ordre26 –, Dieu cessa de traiter le monde comme Il l’avait fait jusqu’à présent, à travers Son attribut de stricte justice, pour laisser désormais prévaloir Son attribut de miséricorde.

Au plan métaphorique, le dévouement de Noé pour les animaux peut être comparé au fait de prodiguer une nourriture spirituelle à nos semblables. Lorsqu’il nous arrive d’affronter des difficultés dans ce domaine, à l’instar de Noé il nous faut persévérer en toute circonstance. Et cependant, même lorsque nous ne faisons pas cas de notre inconfort personnel, nous devons apprendre à être particulièrement sensibles à celui de nos semblables (sans chercher à vérifier si leur besoin relève de la nécessité ou du luxe)27 et leur fournir ce dont ils ont besoin en temps voulu.28

6–7 Pour voir si les eaux s’étaient complètement résorbées. Comme la Torah va bientôt le relater,29 Noé ne quitta pas l’arche avant que Dieu ne lui en eût donné l’ordre. Pourquoi, dans ce cas, voulut-il savoir si le sol était sec ?

La réponse est que, Dieu l’ayant chargé d’assurer la pérennité de la vie, Noé se sentit responsable de mettre en œuvre toute démarche naturelle susceptible d’inciter Dieu à hâter le renouveau de la vie sur terre. Et de fait, les efforts de Noé – qui témoignèrent de son immense aspiration à accomplir la tâche que Dieu lui avait confiée – accélérèrent l’ordre de Dieu de quitter l’arche.

La leçon est particulièrement pertinente et vient à point nommé au moment où nous approchons de l’ère messianique.

L’exil peut être comparé au Déluge. Tout comme pour le Déluge, Dieu seul peut mettre un terme à l’exil. Mais à l’instar de Noé nous pouvons hâter la Rédemption en aspirant activement à elle et en faisant tout ce qui est en notre pouvoir pour hâter sa venue.30

11 Noé sut alors. L’olivier est un arbre particulièrement robuste ; aussi n’est-il pas étonnant que certains de ces arbres eussent survécu au Déluge. D’un autre côté, le Déluge avait sans aucun doute détruit tout leur feuillage. La feuille que la colombe avait rapportée semblait fraîche, et sa tige montrait clairement qu’elle l’avait arrachée de l’arbre. Ces indices attestèrent que l’eau s’était résorbée depuis assez longtemps pour permettre à une telle feuille de pousser. Aussi, même si la colombe avait arraché la feuille d’un arbre situé au sommet d’une montagne, cela signifiait toutefois qu’assez de temps s’était écoulé pour que le reste de la terre fût considérablement asséché.31

16 Sors de l’arche. Comme nous l’avons vu, « entrer dans l’arche » est une métaphore de notre besoin de nous immerger dans l’étude de la Torah et dans la prière. Il peut être tentant de demeurer dans cette atmosphère spirituelle protégée, et sa perfection sereine peut nous fourvoyer au point de nous amener à penser qu’il n’est en réalité nul besoin d’améliorer le monde autour de nous.

Nous ne devons pas considérer le départ de notre arche personnelle comme un sacrifice de notre part pour nos semblables, car ce départ nous est également bénéfique et contribue à nous parfaire. Aussi sublimes que puissent être les degrés que nous pouvons atteindre dans notre propre arche, ils connaissent néanmoins une limite. De tels degrés ne sont pas comparables à ceux que nous pouvons atteindre par notre œuvre dans le « monde réel », au sein duquel Dieu nous donne la possibilité d’éprouver l’infini en y forgeant une demeure à Son essence infinie.32

Tu pourras désormais reprendre les relations conjugales. Cet ordre – le premier donné à Noé au moment où il quitta l’arche – n’était pas uniquement censé libérer Noé et les animaux de l’interdiction de la cohabitation qui avait été en vigueur alors qu’ils se trouvaient dans l’arche, mais également de communiquer le but de leur départ de l’arche. Après que le Déluge eut détruit tout ce qui se trouvait sur la terre, Noé eut la tâche de tout reconstruire en fructifiant et en se multipliant, et en s’assurant que les animaux fassent de même.

La procréation révèle le pouvoir infini de Dieu dans le monde parce qu’elle permet de perpétuer des espèces de génération en génération potentiellement à l’infini. Bien que l’arche fût un noble environnement spirituel – ou plutôt, du fait même qu’il était si sublime et spirituel –, elle n’était pas le lieu que l’essence infinie de Dieu pouvait habiter. C’est seulement au sein du monde ordinaire que nous pouvons créer une demeure pour l’essence infinie de Dieu.33

21 Le penchant du cœur de l’homme est mauvais dès son plus jeune âge. L’affirmation énoncée dans le présent verset pour justifier le fait que les humains ne doivent pas être détruits apparaît précédemment34 comme argument pour justifier exactement le contraire, autrement dit le fait qu’ils doivent être détruits !

L’explication est la suivante : les offrandes sacrificielles offertes par Noé firent que le même argument qui suscita chez Dieu l’usage de Son attribut de stricte justice Lui inspira à présent de solliciter Son attribut de bienveillance et de miséricorde. C’est là l’illustration de l’incroyable pouvoir spirituel des sacrifices.

Il en va de même de notre propre existence, dans la mesure où, lorsque nous nous « sacrifions » en renonçant par-delà notre entendement à nos désirs personnels pour accomplir la volonté de Dieu, nous méritons en retour une attitude de Dieu qui fasse écho à la nôtre : ce qui pourrait être retenu à charge contre nous plaide désormais en notre faveur.35

7 Quant à vous. En plus de ce que Dieu leur avait explicitement ordonné,36 les enfants de Noé s’engagèrent à honorer leurs parents et à bannir la débauche, car ils comprirent que ces principes sont les fondations d’une société digne et qu’elles avaient été sapées par les générations qui avaient précédé le Déluge.37

8 Noé était encore réticent à procréer. Tout comme Noé, certaines personnes y réfléchissent à deux fois avant d’avoir des enfants. Elles font valoir que l’éducation des enfants est une redoutable responsabilité. Certains se demandent s’ils possèdent les possibilités affectives ou financières, ou même les connaissances et l’expérience requises pour élever des enfants appelés à devenir des adultes responsables.

Or, l’épisode de Noé nous enseigne à ne pas envisager les choses ainsi. Dès lors que Dieu lui ordonna d’avoir des enfants, Noé n’hésita plus à procréer, en dépit de ses appréhensions quant à l’avenir matériel ou spirituel de sa postérité. En définitive, il ne nous appartient pas de prédire l’avenir, mais il s’agit pour nous d’accomplir la volonté de Dieu. Si Dieu nous demande d’avoir des enfants, nous ne devons pas permettre à nos doutes de nous empêcher de le faire.

Il est évident que, pour chaque nouvel enfant qui vient au monde, Dieu ouvre de nouvelles voies qui véhiculent des bénédictions financières, matérielles et spirituelles. De façon analogue, nous ne devons pas craindre de manquer de ressources physiques ou affectives pour élever de nombreux enfants,38 car Dieu n’exige pas de nous ce qui est au-delà de nos capacités.39

De fait, avoir beaucoup d’enfants favorise le bien-être physique et moral. Contrairement à l’idée répandue selon laquelle avoir beaucoup d’enfants ne serait pas propice à une vie sereine et stable, la vérité est qu’avoir trop peu d’enfants est contre nature, et peut conduire à l’anxiété, au manque d’harmonie conjugale et à une perturbation de l’ambiance familiale.

Tout ce qui précède a toujours été vérifié, mais cette vérité vaut particulièrement pour la présente génération, à mesure que nous approchons l’ère messianique. D’après le Talmud, le Messie ne viendra pas tant que toutes les âmes n’auront pas quitté leur « dépôt » céleste pour descendre ici-bas afin de connaître la vie au sein du monde matériel.40 Ainsi, chaque enfant venant au monde nous fait faire un pas de plus vers l’ère messianique.41

9 J’établirai Mon alliance avec vous. Le propos de cette alliance n’était pas uniquement le maintien physique du monde. Son intention profonde était que le monde fonctionne en conformité avec la finalité ultime pour laquelle il avait été créé,42 à savoir d’être l’outil qui permettrait au peuple juif d’accomplir sa mission divine. Il est vrai que nous n’avons pas encore vu l’accomplissement de cette promesse ; bien au contraire, nous n’avons, hélas, que trop souffert, et subi bien trop d’horribles persécutions religieuses et physiques. Néanmoins, en nous raccrochant fermement à notre indéfectible espoir et en priant avec ferveur de ne jamais plus subir ou être témoin de telles horreurs, tout en nous dévouant à notre mission divine avec joie et ardeur, nous pouvons faire en sorte que se réalise le désir de Dieu que le monde concoure à l’accomplissement de notre mission divine. Lorsque cela se produira, même les nations qui nous avaient auparavant persécutés deviendront nos alliés.43

11 Jamais plus un déluge ne détruira la terre. Le Déluge fut un retour au stade initial de la Création, lorsque la terre était physiquement submergée par les eaux et spirituellement immergée dans la conscience du divin. Dans cette perspective, la promesse de Dieu de ne jamais plus amener un déluge ne laisse pas d’interpeller : pourquoi ne ferait-Il pas ?

L’explication est la suivante : Au tout début de la Création, tout n’était qu’eau, car la terre sèche n’existait pas encore.44 Au plan spirituel, cela signifie que le monde était empli de conscience divine du fait seulement que la « terre sèche » – l’idée fausse que le monde existe indépendamment de Dieu – n’était pas encore présente.

Cependant, le désir ultime de Dieu est que la conscience du divin imprègne jusqu’à la « terre sèche » – et ce sera immanquablement la norme à l’ère messianique, lorsque « le monde sera empli de la connaissance de Dieu comme l’eau recouvre le lit des mers ».45 À l’avènement de cette époque, le monde ne sera pas recouvert par l’eau et nous aurons conscience de notre propre existence. Nous serons cependant habités de cette conscience divine normalement associée avec la « submersion par les eaux », autrement dit nous serons défaits de notre ego.

Pour que la terre finisse par atteindre ce stade, elle devait au préalable être submergée par les eaux du Déluge, qui « détruisirent la terre », autrement dit qui la défirent de toute conscience d’elle-même.

Cette expérience unique conféra à la terre la disposition d’être désormais réceptive à la conscience du divin, et ce, même après que les eaux furent résorbées et que le sol réapparut. C’est pourquoi le Midrach46 compare l’ère messianique à l’époque de Noé. En effet, le Déluge initia le conditionnement du monde qui lui permettra d’aboutir à son stade ultime – la conscience du divin en dépit de la présence de l’ego – à l’ère messianique.

Désormais, grâce au Déluge il nous est possible de pénétrer même notre existence « terrestre » de la conscience du divin. Les efforts accomplis dans ce sens hâteront l’aboutissement du monde à l’entière conscience du divin pendant l’ère messianique.47

18 ‘Ham fut le père de Canaan. ‘Ham signifie « chaud ». Au plan métaphorique, ‘Ham caractérise le désir ardent de l’âme et son aspiration à se rapprocher de Dieu et à s’attacher à Lui. Canaan, qui signifie parfois « marchand »,48 est une allusion à la quête par l’âme du profit que lui valent l’étude de la Torah et l’accomplissement des commandements : un attachement accru à Dieu.

‘Ham fut le père de Canaan. Lorsque l’âme descend dans ce monde et investit le corps et « l’âme animale », elle ressent un intense désir pour le divin et une ardente aspiration à la présence de Dieu – elle devient ‘Ham. Ce désir l’inspire à vouloir être gratifiée d’une relation avec Dieu encore plus étroite en étudiant la Torah et en accomplissant les commandements – à devenir Canaan.49

21 Il but du vin et s’enivra. D’après le Midrach, le fruit défendu qu’Ève offrit à Adam était du vin ; Ève était consciente de l’importance de la joie et chercha à l’atteindre par ce moyen. Cependant, elle manqua à vivre une joie sanctifiée, car elle succomba aux sentiments de conscience de soi et d’ego, qui sont les sous-produits d’une réjouissance exclusivement profane. Noé tenta de remédier à l’erreur d’Ève en vivant une joie sans ego. C’est ainsi qu’il tenta de se défaire de son ego au moyen de l’ivresse. Mais cette tentative était fourvoyée, car le but n’est pas d’engourdir l’esprit et les émotions à travers la boisson, mais de se défaire de l’ego à travers l’humilité et l’abandon à Dieu.

C’est Sarah qui parvint à une joie défaite d’ego, car elle fut l’incarnation même du désintéressement. La joie véritable est issue de l’humilité du fait que la personne qui est humble ne se sent pas digne de quoi que ce soit, et n’est ainsi jamais déçue. La joie issue du désintéressement ne connaît aucune conséquence négative ; au contraire, elle nous porte aux plus hauts degrés de vécu spirituel, procurant un avant-goût du Monde futur. C’est pourquoi le fils de Sarah fut nommé Yits’hak (« rire »), à titre d’avant-goût de l’ère messianique, lorsque « notre bouche s’emplira de rire ».50

À l’instar de Sarah, nous pouvons nous aussi accomplir notre mission divine à travers une joie authentique et sans craindre de fâcheuses conséquences.51

23 Ils ne virent pas la nudité de leur père. S’ils marchèrent à reculons, comme le verset nous le dit explicitement, il va de soi qu’ils ne virent pas la nudité de leur père. En réalité, ces mots signifient que Chem et Yapheth ne se concentrèrent pas sur la conduite dégradante de leur père, mais sur ce qu’ils devaient faire pour remédier à la situation. ‘Ham lui, « vit la nudité de son père » : non seulement il ne fit rien pour corriger la situation, mais il ne vit que le manquement de son père et s’en fut le colporter à ses frères.

Pourquoi ces réactions si dissemblables chez les frères ?

Le Baal Chem Tov enseignait que les personnes que nous rencontrons dans notre vie sont comme des miroirs. Lorsque nous voyons le mal en elles, c’est en réalité le reflet d’un mal qui nous habite nous-mêmes que nous voyons.52 Comme nous sommes généralement aveugles à nos propres fautes, Dieu fait en sorte que nous les remarquions chez l’un de nos semblables, en espérant que l’indice ne nous échappera pas, que nous reconnaîtrons posséder les mêmes défauts, et ainsi les corrigerons en nous-mêmes.

Aussi, comme ni Chem ni Yapheth ne partageaient le faible de Noé pour l’ivresse, ils ne firent pas attention à elle. ‘Ham, lui, partageait cette faiblesse de Noé ; c’est pourquoi son attention fut mobilisée par la dégradation de son père et non par la façon dont il pouvait se rendre utile.

De façon analogue, lorsque nous remarquons des défauts chez nos semblables, nous devons être attentifs à notre réaction. Si nous faisons immédiatement en sorte de remédier à leurs défauts, nous avons la preuve que telle est la vraie raison pour laquelle Dieu fit en sorte que nous les remarquions. Si nous nous prenons à nous concentrer sur leurs défauts par-delà ce qu’il conviendrait de faire pour remédier à la situation, il devient alors clair que notre attitude témoigne de la présence en nous des mêmes défauts.

Ainsi, chaque fois que nous voyons ou entendons quelque chose de négatif concernant notre prochain, il convient de remédier à la situation tout en « marchant à reculons », c’est-à-dire en nous efforçant au maximum de ne pas nous concentrer sur ce qui fait la honte de notre prochain.53

26 La Cour de la Mort. Le Midrach explique que les personnes qui composaient « la Cour de la Mort » étaient des ascètes qui consommaient des mets très ordinaires, étaient vêtus simplement et n’attendaient que l’au-delà.54 Bien qu’on fût avant la Dispersion et que les plaisirs physiques abondaient, ces gens préféraient ne pas verser dans la matérialité de ce monde. Ils étaient, au contraire, impatients de rejoindre une existence plus spirituelle et d’être affranchis des contingences et des désirs qui accompagnent la matérialité. Cette « Cour de la Mort » était donc un lieu défait de jalousie et de recherche du plaisir.

Mais comment pouvaient-ils ainsi résister à la profusion des plaisirs terrestres ? La réponse est que ‘Hatsarmaveth était le fils de Yoktane (« le petit »), ainsi nommé du fait de son humilité. Une personne humble est en mesure de demeurer au-dessus de l’hédonisme dans lequel les autres versent.

Nous devons nous aussi, à l’instar de ‘Hatsarmaveth, faire notre possible pour nous élever au-delà des distractions matérielles de ce monde. Mais cela exige de nous identifier à Yoktane, de nous efforcer d’être humbles et défaits d’ego.55

1 Conduite par Nimrod. Nimrod56 parvint à les convaincre que Dieu faisait montre de présomption en reléguant l’humanité sur la terre et en se réservant les cieux pour Lui seul ; il fallait donc montrer à Dieu qu’ils mettaient à défi cette arrogance en construisant une tour qui s’élèverait jusque dans les cieux, Son domaine. Il les persuada même que le Déluge n’était qu’un simple phénomène périodique appelé à se répéter tous les 1656 ans, et que pour cette raison également, ils devaient construire une tour qui s’élèverait jusque dans les nuages de façon à pouvoir au besoin contrôler la pluie.57

4 Faisons-nous un nom. L’épisode de la Tour de Babel se déroula au lendemain du Déluge. Mus par l’instinct de survie, les descendants des survivants cherchèrent à se prémunir contre une éventuelle destruction, mais négligèrent de prendre la leçon du Déluge, à savoir que nous devons nous tourner vers Dieu pour assurer notre bien-être.

Nous-mêmes, les survivants d’un « déluge » qui emporta des millions de Juifs, devons faire attention à ne pas commettre la même erreur que les survivants du déluge de Noé. Rebâtir l’infrastructure de la civilisation, et en particulier celle de la civilisation juive, constitue une cause louable, mais elle n’est pas une fin en soi. Notre « cité » et notre « tour » doivent posséder une finalité d’ordre divin bien plus profonde, ce qui signifie que nos maisons de prière et d’étude de la Torah doivent être les édifices les plus remarquables et les plus vénérés de nos villes. Elles sont la véritable « tour » de nos cités58, qui nous protégera à la fois de l’adversité extérieure et intérieure.59

10 Voici les descendants. Ayant achevé de relater comment les soixante-dix descendants de Noé devinrent différents peuples, la Torah poursuit sa chronique de la lignée de Chem.60 On remarquera dans cette chronique que la durée de vie humaine se réduisit de plus en plus après le Déluge.61 La raison en est qu’après le Déluge, Dieu ne maintint plus le monde sans considérer le mérite des humains, comme Il l’avait fait avant le Déluge.

Dorénavant, la réussite de l’humanité à s’ennoblir serait la cause principale de l’expression de la bienveillance divine. Bien que cela assura que Dieu n’anéantirait plus jamais le monde,62 l’intensité d’effusion de la vitalité divine en fut atténuée, ce qui résulta en une espérance de vie plus réduite.63

17 Ever vécut. Après la dispersion, Chem vit que tous s’éloignaient à nouveau des prescriptions originelles données par Dieu à l’humanité. Aussi, avec son arrière-petit-fils Ever, il fonda une académie dont le but était de préserver le corpus de ces enseignements – que Dieu promulguerait formellement plus tard en donnant la Torah – et de les enseigner à quiconque s’y intéressait suffisamment pour les rechercher. Avec les enseignements de Dieu, cette académie préserva la connaissance de la langue initiale du monde, l’hébreu. Ce langage fut tenu secret, car Chem et Ever avaient compris du fâcheux épisode de la Tour de Babel que Dieu estimait que les populations n’étaient plus dignes d’en faire usage. Chem s’établit dans la ville de Salem (qui serait par la suite renommée Jérusalem).64

28 Harane mourut. Abram grandit dans la période qui suivit l’émigration de Nimrod et ses partisans dans la vallée de Chinear.

Bien qu’élevé en idolâtre, Abram avait compris dès son enfance de quelle aberration procédait le culte des idoles. Lorsqu’il brisa intentionnellement les idoles de son père, ce dernier le conduisit chez Nimrod, qui le jeta dans une fournaise ardente. Dieu sauva miraculeusement Abram, qui sortit indemne de la fournaise. Le frère aîné d’Abram, Harane, décida qu’il se rangerait du côté de celui qui sortirait vainqueur de cette confrontation. Lorsqu’on lui demanda de quel côté il se rangeait, Harane, ayant vu Abram sortir indemne, affirma qu’il était de son côté, sur quoi Nimrod le jeta lui aussi dans la fournaise, dans laquelle il périt.

La nouvelle de cet épisode se répandit tellement que Nimrod fut désormais connu sous le nom d’Amrafel (« celui qui dit : “Tombe [dans la fournaise] !” »)65, et la ville où il se déroula fut connue sous le nom de Our (« le feu ») Kasdim.66 Une autre signification de Our est « vallée », car elle était la capitale du royaume de Nimrod, dans la vallée de Chinear.

31 Et s’y établirent. Pendant qu’ils se trouvaient à ‘Harane, Abram et Saraï commencèrent à répandre le monothéisme, et rassemblèrent peu à peu autour d’eux une communauté de nouveaux croyants.67 Dans le cadre de ce renouveau du monothéisme, Abram institua l’usage de prier Dieu chaque matin.68

En l’année 2018, lorsqu’Abram avait soixante-dix ans, il visita Canaan brièvement.69 Comme il sera décrit par la suite,70 Dieu lui apparut au moment où il s’y trouvait et lui promit de lui donner le pays de Canaan et de faire de lui le père du peuple élu.

Abram retourna ensuite à ‘Harane. Du fait que son père Téra’h n’avait pas voulu l’accompagner en Canaan, Abram dut retourner à ‘Harane pour continuer à s’occuper de lui, car avant que Dieu lui enjoigne explicitement de partir, il était légalement tenu d’observer le commandement d’honorer les parents.71

À cette époque, Abraham avait déjà connaissance des premières prescriptions de Dieu à l’humanité, qui avaient été préservées par Chem et Ever.72 Il avait commencé à observer ces enseignements, qui étaient appelés à constituer la Torah que Dieu donnerait par la suite à sa postérité. Néanmoins, il ne se circoncit pas, car cela aurait constitué une transgression du commandement explicite de Dieu de ne pas verser le sang humain ;73 le fait d’avoir de lui-même fait siens les commandements de la Torah ne lui donnait pas pour autant le droit de passer outre à un ordre explicitement signifié.74

Abram. Les dix générations qui vécurent depuis Adam jusqu’à Noé se conduisirent de façon immorale ; aussi, Dieu amena le Déluge qui les anéantit. Il y eut également dix générations immorales entre Noé et Abram, mais Dieu ne les anéantit pas ; Il gratifia simplement Abram de la rétribution qui leur était due.75 Pour quelle raison Abram fut-il considéré comme digne de recevoir la rétribution des générations l’ayant précédé alors que Noé n’avait pas eu un tel privilège ?

La réponse réside dans le fait que les générations qui ont précédé Noé ne méritaient aucune récompense. Et quand bien même auraient-elles mérité quelque rétribution, Noé n’était pas digne d’en bénéficier, car il ne chercha pas à édifier ses contemporains et ne pria pas pour eux.

En revanche, les générations qui précédèrent Abram méritaient bien une rétribution pour avoir vécu en bonne harmonie et pour avoir fait régner le respect mutuel au sein d’elles. Mais la concomitance de cette louable attitude avec leur rébellion contre Dieu invalida leur mérite de cette rétribution. Les bénédictions divines suscitées par leurs bonnes actions furent accaparées par les forces du mal.

Abram, qui était l’incarnation de la bonté, tenta de rapprocher de Dieu tous ses semblables, et alla jusqu’à prier pour les habitants de Sodome. Par cette œuvre, il ennoblit de façon rétroactive les précédentes générations et reçut ainsi leur rétribution, récupérant les bénédictions divines qui avaient été temporairement détournées par les forces du mal.76

Ces deux époques de l’histoire trouvent leur écho dans le parcours de chaque personne, dans la mesure où chaque individu constitue un microcosme.77 Il arrive, hélas, que nous gaspillions un temps précieux en actes irréligieux tout en jouissant d’une prospérité matérielle, ce qui peut nous laisser croire qu’une telle situation peut se poursuivre indéfiniment. La réalité est cependant que le succès matériel n’est dû qu’à la patience de Dieu.78 Aussi faut-il que nous « amenions un déluge » sur ces actes irréligieux afin de les anéantir, tout comme Dieu anéantit les dix générations qui étaient entièrement perverties.

Mais ce n’est pas encore assez. Durant ce temps gaspillé, des choses positives auraient pu (et donc auraient ) être accomplies – après tout, il ne nous est alloué qu’un temps limité sur terre pour accomplir notre mission divine. Aussi, à l’instar d’Abram, nous ne devons pas seulement détruire ce qui est négatif, mais encore sauver le passé en le rectifiant et en parachevant ce qui a été défectueux, transformant ainsi les ténèbres en lumière.79