Rabbi Banaah mesurait des tombes... [et] il arriva au tombeau d’Adam. Dit Rabbi Banaah : J’ai regardé ses deux talons, et ils brillaient comme des soleils.

Talmud, Baba Batra 58a

Toute ma vie j’ai été piétiné. Les autres – la tête intelligente, le cœur si sensible, les mains affairées, et tous les autres gars si sophistiqués là-haut – sont à peine conscients de mon existence. Pourtant, je les sers sans me plaindre. C’est mon devoir. Je porte leur poids, je les amène là où ils doivent se rendre, ou bien je lève le pied en attendant d’autres instructions. Parce que c’est mon devoir.

Bien sûr, ils ne l’admettront jamais, mais s’ils daignaient ne serait-ce qu’un instant considérer les callosités si loin en dessous d’eux, ils pourraient apprendre une ou deux choses de la vie. L’autre jour, nous sommes tombés sur un obstacle : un torrent glacé. Ou un lit de braises fumantes. Ou était-ce une lande épineuse ? Peu importe. La tête comprit que nous devions continuer. Elle avait tout prévu. Elle écrivit même un livre expliquant la nécessité de se jeter à l’eau et d’aller de l’avant (je n’ai pas eu l’occasion de le lire, mais je compte le faire un de ces jours). Le cœur était tout excité par ce défi, et les mains avaient les mains pleines de tous les machins qu’elles créaient pour nous aider à traverser. Pourtant, à la lisière de ces roches déchiquetées (ou de ce marais boueux), ils ont tous hésité. La tête voulut vérifier encore une fois une ou deux références dans sa thèse. Le cœur n’était plus tout à fait d’humeur. Les mains avaient quelques ajustements mineurs à apporter à la machinerie. C’est moi qui ai fait le premier pas. Bien sûr, il y avait ceux qui m’ont conseillé de ne pas me laisser marcher dessus comme ça par tout le monde. Mais j’ai fait le pas en avant. Parce que c’est mon devoir.