Il fut un temps où tous les livres ne parlaient que de perfection. Chaque livre vous disait : « Voici comment vous devez être ; allez, maintenant, et soyez ainsi ».

Puis Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi (l’« Admour Hazakène », 1745-1813) écrivit un livre pour « nous tous ». Il l’appela même Sefer Chel Beinonim, ce qui signifie le livre pour l’homme ordinaire. Le premier livre d’illumination kabbalistique pour Monsieur Tout-le-Monde. (Nous l’appelons « Tanya » car c’est le premier mot du livre.)

En vérité, pour l’homme ordinaire qui aspire à vivre pleinement, il n’y a qu’une question. C’est la question que Rabbi Chnéour Zalman pose au début de son livre et qu’il reprend plusieurs fois. Sans surprise, cette question est à la source de toutes les afflictions caractéristiques de « nous tous » : la culpabilité, la dépression, l’apathie et les sentiments d’insuffisance.

Il fut un temps où tous les livres ne parlaient que de perfection.

Voici comment Rabbi Chnéour Zalman présente la question :

Avant votre naissance, nous enseignent les sages, on vous fit prêter serment : « Sois juste. Ne sois pas méchant. Pourtant, même si le monde entier te dit que tu es juste, considère-toi comme méchant ».

Cela mérite des éclaircissements. N’avons-nous pas appris dans les Pirkei Avot : « Ne te considère jamais comme méchant » ?

De plus, si une personne se considère comme méchante, elle se sentira découragée et déprimée et ne pourra pas servir D.ieu avec joie. D’un autre côté, si elle ne devient pas du tout déprimée à cause de cela, elle pourrait en venir à traiter la vie comme une plaisanterie, à D.ieu ne plaise.

Transposons cela dans un langage contemporain. Au lieu de « juste » et « méchant », utilisons quelque chose qui communique les mêmes idées, mais qui soit plus proche de notre psyché moderne :

Voici une parole surprenante des sages anciens : ils affirmaient qu’avant votre naissance, le Tribunal Céleste vous a fait jurer que vous seriez un être spirituellement éclairé et que vous ne seriez jamais un raté. Puis ils vous ont dit que « même si le monde entier te considère comme l’être éclairé ultime, considère-toi comme un raté ».

Ils ne peuvent pas avoir voulu dire cela. Après tout, ce sont les mêmes sages qui nous ont enseigné : « Ne te considère jamais comme un raté ».

De plus, tout le monde sait que si vous pensez constamment « Je suis un raté, je suis un raté », vous finirez par vous sentir comme un ver de terre et il sera très difficile de se lever et d’aller travailler le matin. Mais la Torah nous dit que nous devons servir D.ieu avec joie ! Comment peut-on servir D.ieu avec joie si l’on se considère comme un perpétuel raté ?

Eh bien, vous pourriez décider de ne pas prendre l’échec trop au sérieux et vous dire : « Je suis un raté, et alors ? Je dois quand même être heureux ». À D.ieu ne plaise de vivre une telle vie. Une telle attitude pourrait mener à faire n’importe quoi.

Saisissez-vous la portée de cette question ? Pour ma part, je ne la comprenais pas. Jusqu’à ce qu’après une trentaine d’années d’étude du livre, un vieil ami devenu psychologue – le Rav Dr Y. Y. Chagalov – me la fasse remarquer :

Le livre aborde la grande question : « Pourquoi ne devrais-je pas être déprimé ? »

C’est l’une des questions fondamentales de notre existence terrestre. C’est une tension inévitable pour chacun d’entre nous : savoir ce que nous devrions être tout en sachant que nous ne l’atteindrons jamais.

C’est une tension inévitable pour chacun d’entre nous : savoir ce que nous devrions être tout en sachant que nous ne l’atteindrons jamais.

Nous voyons nos échecs chaque jour – et même quand nous réussissons, nous savons au fond de nous que ce n’est pas vraiment ça. Notre perfection se trouve dans le Jardin d’Éden où nous vivions avant notre naissance, mais certainement pas ici. Pourtant, nous continuons d’exiger de nous-mêmes d’être cet être parfait qui précède la vie sur cette planète.

Nous nous retrouvons alors enchevêtrés dans des complications. Ces nœuds entravent encore plus notre progression – ce qui nous mène à plus d’échecs. Et ensuite on nous demande de nous réjouir de notre sort ?

La réponse se déploie à travers 53 chapitres denses qui transcendent toute intuition des êtres humains ordinaires, utilisant des enseignements traditionnels de la sagesse juive pour révolutionner la sagesse juive. Mais ça va, car mon ami psychologue m’en a également révélé le sens. Si je devais résumer en une ligne, ce serait comme suit :

Cessez de vous préoccuper de qui vous êtes et de qui vous devriez être et commencez à penser à ce que vous êtes censé faire. Pas « que suis-je » mais « où suis-je ». « Que suis-je ? » c’est : Qu’est-ce que je ressens à propos de tel sujet ? Ai-je atteint l’illumination ? Sommes-nous arrivés ? Mais « Où suis-je ? » c’est : Que suis-je en train de faire, de dire et de penser maintenant ?

En fait, sans vouloir manquer de respect, plus vous vous effacez du tableau, mieux vous vous porterez.

Prenez Rabbi Yo’hanane ben Zakkaï, l’un des grands maîtres du Talmud. Sur son lit de mort, devant ses élèves, il éclata en sanglots. « Pourquoi pleure-tu, notre maître ? », demandèrent-ils.

Il leur répondit : « Sachez, mes enfants, que je vois devant moi deux chemins sur lesquels on conduit ceux qui quittent ce monde. L’un mène à la récompense éternelle et l’autre est moins favorable. Et je ne sais pas sur quel chemin on me conduira ! »

Allons, Rabbi Yo’hanane ! Jusqu’à présent, vous n’y aviez jamais pensé ?

Non, il n’y avait jamais pensé. Il n’en avait jamais eu le temps. Toute sa vie, Rabbi Yo’hanane ne pensait qu’à : « Quelle est la meilleure chose dans laquelle je peux m’investir dans le moment présent ? » Ce n’est qu’à ses derniers moments qu’il prit le temps de réfléchir à : « Alors, où suis-je ? Qu’adviendra-t-il de moi ? »

C’est un conseil que Rabbi Chnéour Zalman donna un jour à quelqu’un. C’était un homme d’affaires – qui était à la fois érudit et ‘hassid. Il se lamentait de ses pertes financières, qui ne lui permettaient pas de payer ses dettes ni de remplir ses engagements envers sa famille. « Tout ce que je demande, c’est que D.ieu me donne les moyens d’être honnête et de m’acquitter de mes obligations envers les autres ! », s’écria-t-il.

À quoi il fut répondu : « J’entends beaucoup parler de ce dont tu as besoin. Peut-on entendre quelque chose sur la raison pour laquelle on a besoin de toi ? »

Qui a besoin de vous ? Le monde a besoin de vous. Sinon, vous ne seriez pas là. Telle est la signification de toutes ces épreuves existentielles – c’est l’appel du monde qui vous dit : « Relève-moi ! Change-moi ! Transforme-moi ! » Vous êtes ici en mission – non pas pour être un superhéros ou une superhéroïne, ou même une âme supérieure – vous êtes ici pour une mission impossible : faire face à la matérialité du monde réel, depuis l’intérieur d’un corps très limitant, avec une fragile personnalité humaine, afin de transformer toutes ces choses en quelque chose de divin.

Bien sûr, vous allez tomber la tête la première de temps en temps. L’objectif ultime est quelque chose que nous ne pouvons jamais atteindre seuls. La plupart d’entre nous connaissent une multitude d’échecs pour quelques réussites. Mais qu’est-ce que cela peut bien vous faire ? Votre tâche est de garder le cap par gros temps. Des dégâts de temps à autre ? Un peu de mal de mer ? Vous essayez de les éviter, vous les arrangez quand ils surviennent, mais cela fait partie du voyage.

Maintenant, vous allez dire : « Mais qu’en est-il de me trouver moi-même ? Qu’en est-il de découvrir l’essence intérieure ? »

Qui dit que votre personne est votre véritable identité ? Peut-être que le vrai vous n’est pas un sujet, pas un objet, mais un verbe ?

Alors je vais vous révéler quelque chose : qui dit que votre personne est votre véritable identité ? Peut-être que le vrai vous n’est pas un sujet, pas un objet, mais un verbe ? En d’autres termes, votre essence véritable ne réside pas dans ce que vous êtes, mais dans ce que vous devez accomplir. Parce que quand D.ieu vous a conçu, c’est ce qu’Il envisageait : une petite créature, avec une parcelle de Sa conscience à l’intérieur, faisant ces choses remarquables. C’est dans cette Image divine qu’Il vous a créé et c’est en elle que vous trouverez votre véritable moi – et Lui, aussi.

C’est pourquoi Rabbi Chnéour Zalman s’efforce de démontrer que, aussi élevée et divine que puisse être notre âme profonde, elle ne peut jamais toucher son essence tant qu’elle n’est pas « revêtue des habits de la Torah et des mitsvot ». « On juge un homme à ses vêtements », entend-on souvent, et il en va de même pour cette essence divine en soi.

Vous voulez trouver votre essence véritable ? Faites quelque chose qui apportera de la lumière dans le monde. Vous voilà. Voici votre essence même. Ni dans la lumière, ni dans la chose, mais dans l’action.