Quand mon fils aîné a atteint l’âge d’entrer à l’école – c’était il y a plus de trente ans – j’ai recherché pour lui une institution un peu plus religieuse que celles de l’état. Non loin de chez nous, fonctionnait un Beth ‘Habad. Quand j’ai voulu inscrire mon fils dans cette école Loubavitch, on m’a expliqué le problème : le nombre d’enfants n’était pas suffisant pour que le Ministère de l’Éducation israélien accorde des subventions ; il en fallait au moins 18 et on était loin de compte. Quand j’annonçai que j’étais prêt à aider, on me mit en relation avec le regretté Rav Moshé Slonim qui, comme il aimait à le dire, « m’engagea dans l’armée du Rabbi ». Je pris quelques jours de congé de mon travail et passai de maison en maison afin de convaincre nos voisins d’envoyer leurs enfants dans l’école Loubavitch. Le fait que je n’étais pas moi-même un 'hassid Loubavitch a certainement impressionné nombre d’entre eux et, finalement, nous sommes parvenus à inscrire 28 élèves ! Tous les parents – et moi parmi eux – ne pouvions que nous féliciter de l’excellence du niveau scolaire ainsi que des qualités humaines du personnel de l’école.

Pour nous remercier de notre aide, Rav Slonim nous accompagna à New York où nous avons eu le privilège d’être reçus par le Rabbi : très impressionnés par le regard du Rabbi, nous avons reçu de sa part de nombreuses bénédictions aussi bien dans le domaine du travail que de l’éducation de nos enfants et le Rabbi prit même la peine de nous remercier sincèrement pour notre aide.

Quelques années plus tard, un de nos enfants décéda : âgé de deux ans, il souffrait depuis la naissance d’une malformation cardiaque. A la même époque, mon épouse avait dû subir plusieurs opérations chirurgicales délicates et les médecins lui interdisaient toute nouvelle grossesse. Nous avions trois garçons – que D.ieu nous les garde en bonne santé ! – cependant le traumatisme subi avec la perte de notre enfant, ajouté aux problèmes médicaux de ma femme n’avaient pas entamé son désir ardent de mettre au monde une fille. Je décidai de téléphoner au secrétariat du Rabbi pour demander une bénédiction.

Quelques heures plus tard, le secrétaire du Rabbi me rappelait et me demandait de me munir d’un papier et d’un crayon : il me lut alors la réponse exacte du Rabbi. Permettez-moi de ne pas l’évoquer publiquement, mais je dois avouer que nous étions absolument stupéfaits : tout d’abord, le Rabbi nous accordait sans réserve sa bénédiction pour une nouvelle grossesse suivie d’une naissance sans problème. Mais le Rabbi nous recommandait également de nous renforcer chacun dans un domaine bien particulier. Je précise que le Rabbi n’avait pas mentionné un sujet général comme par exemple la pureté familiale ou l’étude de la Torah mais vraiment deux points spécifiques et personnels, aussi bien pour moi que pour mon épouse. Personne au monde n’aurait pu savoir que justement ces deux points-là avaient besoin d’être réparés chez nous sauf s’il avait vécu vraiment 24 heures par jour avec nous. Mais il n’y a pas de secret pour le Rabbi, pour nous c’est maintenant évident. Bien entendu, nous avons réparé ce qui devait l’être et nous avons alors pu accueillir dans la joie notre prochain bébé, une jolie petite fille après nos trois garçons.

* * *

Il y a un peu plus de vingt ans, lors de la fête de Chouchan Pourim en 1987, je suis retourné au 770 Eastern Parkway à New York. Les ‘Hassidim me prévinrent que le Rabbi allait sortir d’un instant à l’autre de la synagogue. Je me suis glissé dans la foule tout en préparant mon appareil photo. La cohue était indescriptible ; j’avais vingt ans de moins que maintenant et j’étais encore fort. A quoi sert la force si ce n’est dans pareille situation, quand il m’était possible d’apercevoir le Rabbi ? Je fis comprendre très nettement à tous ceux qui m’entouraient qu’ils devaient me permettre de prendre le Rabbi en photo ; j’y réussis mais, à peine le flash avait-il fonctionné, que je fis malheureusement tomber mon appareil, juste devant la voiture du Rabbi qui avançait déjà…

Mais le Rabbi l’avait aperçu et il fit signe à son secrétaire de s’arrêter. Dans la foule, on me fit comprendre que je pouvais ramasser l’appareil, ce que je fis avec un soupir de soulagement qui a dû s’entendre au loin. Alors que je me baissai pour le reprendre, le Rabbi abaissa sa vitre de la voiture et me tendit une pièce de cinq centimes en précisant que je devais la mettre dans la boîte de Tsedaka en Erets Israël.

Fou de joie, je mis de côté une pièce équivalente que je remettrais plus tard à la Tsedaka en Israël, selon la tradition. Dans une bijouterie, j’achetai un collier dans lequel j’insérai la pièce et je pus ainsi offrir à mon épouse un bijou à nul autre pareil : effectivement, elle sut apprécier ce très beau cadeau qu’elle porta sur elle à toute occasion.

Quelques années plus tard, juste avant Pessa’h, ma femme perdit le collier avec la pièce. Immédiatement, toute la famille se mit à rechercher frénétiquement dans toute la maison mais sans résultat. On aurait dit que la terre avait englouti la précieuse chaînette. Nous espérions qu’avec le nettoyage de Pessa’h, nous la retrouverions mais nous avions beau bouger les meubles et chercher dans tous les tiroirs, nous ne l’avons pas retrouvée. Ma femme était très déçue et amère.

Depuis, plusieurs années ont passé, avec autant de nettoyages méthodiques de Pessa’h. Nous avons même déménagé deux fois, mais nous n’avons pas retrouvé le collier.

Un jour, avec ma femme, je rencontrai le Chalia’h de notre ville, Rav Aharon Kaniewski. Au cours de la conversation, ma femme mentionna l’épisode de la chaînette : malgré les années, elle y pensait encore avec tristesse.

- Envoyez un fax au Rabbi ! nous dit-il d’un ton assuré.

Nous étions incrédules : tout ceci se passait bien après le trois Tamouz 1994, jour où le Rabbi avait disparu physiquement. Mais ce jeudi, Rav Kaniewski nous assura que de nombreuses personnes continuaient d’envoyer leurs demandes au Rabbi par fax ou par Internet, pour y être déposées sur le Ohel. Le vendredi j’ai donc envoyé une lettre au Rabbi par fax au Ohel.

Le dimanche matin, je passai dans la salle à manger de la Yéchiva ; un des professeurs passait justement devant les élèves en demandant : « A qui appartient cela ? »

Je me suis approché et j’eus le souffle coupé. J’en tremble encore maintenant : c’était justement le collier avec la pièce du Rabbi ! Nul ne comprenait pourquoi je n’arrêtai pas de répéter : « Oui, on peut encore envoyer des fax au Rabbi… »

Chmouel Bar Levav - Kfar Chabad