C'était la première nuit de Pessa'h. Dans tous les foyers de Berditchev on célébrait joyeusement le premier Sédère. Dans tous les foyers sauf celui du grand et saint Rabbi Lévi Its'hak où le Sédère avait été retardé. Les amis intimes du Rabbi se regardaient pleins d'étonnement, car le saint homme avait formulé quelques demandes assez bizarres. Il avait déclaré qu'avant de commencer le Sédère, il désirait instamment savoir combien de mouchoirs turcs, quelle quantité de tabac autrichien et combien de miches de pain se trouvaient dans Berditchev. Et le saint Rabbi souhaitait même de voir les articles qu'éventuellement on aurait découverts.
Les amis du Rabbi avaient haussé les épaules. Ce dernier n'ignorait pas que les mouchoirs turcs et le tabac autrichien étaient, l'un et l'autre, des marchandises interdites, des produits de « contrebande ». Quiconque se trouvait en possession de tels articles se savait passible d'amendes fort lourdes, voire d'emprisonnement, pour les avoir fait passer illégalement à la frontière. Quant au pain, où pouvait-on trouver non une miche, mais même une seule petite miette au soir du premier Sédère ? Mais le désir du Rabbi était un ordre. Aussi quelques-uns de ses disciples sortirent-ils pour tâcher de satisfaire à un désir si étrange. Quelque temps après, ils revinrent chargés d'un grand nombre de mouchoirs turcs et d'une importante quantité de tabac autrichien. C'était un jour de semaine, aussi pouvaient-ils sans inconvénient transporter séance tenante les articles.
Quand Rabbi Lévi Its'hak de Berditchev apprit le retour des messagers, il fit son entrée dans la salle à manger. Pensif, il inspecta les mouchoirs et le tabac.
– N'avez-vous pas trouvé une seule miche de pain dans toute la ville ? demanda-t-il.
– À D.ieu ne plaise, répondirent les envoyés, pas même une miette ! Quel Juif aurait du ‘hamets à Pessa'h ?
Les yeux du saint Rabbi brillèrent de joie. Il les leva au ciel et dit :
– Mon D.ieu que j'aime tant ! Le long de toutes les frontières de Russie, des douaniers montent une garde vigilante pour empêcher l'entrée de marchandises turques et autrichiennes. Pourtant, en dépit des agents armés, de la menace d'emprisonnement et de lourdes amendes, en dépit des lois douanières strictes et des règlements draconiens, voyez le nombre de mouchoirs turcs que j'ai devant moi ! Voyez la quantité de tabac autrichien ! Mais Toi, mon D.ieu que j'aime, Tu n'as pas de douaniers montant la garde armés de fusils et d'épées, Tu ne menaces point d'emprisonnement immédiat ; Tu as proféré seulement quelques paroles dans Ta sainte Torah, et cela a suffi pour qu'il n'y ait pas une seule miette de pain dans aucun foyer juif de la ville entière de Berditchev !
Cela dit, le saint Rabbi commença le Sédère, plein de joie d'avoir eu encore une fois l'occasion de prouver à D.ieu qu'Israël était fidèle et sincère, tant à Lui qu'à Sa sainte Torah.
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