Le 33ème jour du Omer est fêté par tous les Juifs comme l’une des grandes réjouissances de l’année, dans une période d’austérité notoire.

Les deux causes les plus connues à cette réjouissance sont le fait que les disciples de Rabbi Akiva, qui avaient été frappés de mortalité pendant cette période, ne furent plus touchés par le fléau à partir de ce jour, et le fait que Rabbi Chimon bar Yo’haï y termina sa vie terrestre, après avoir recommandé que l’on fasse de cet anniversaire un jour de joie.

Tous les thèmes relatés et traités dans la Torah étant d’une extrême précision, il importe de comprendre, dans le cas présent, le rapport existant entre ces deux événements, survenus le même jour, en plus du fait que Rabbi Chimon était lui-même l’un des principaux disciples de Rabbi Akiva.

Il faut de plus remarquer que les deux événements sont porteurs d’un caractère contraire : Rabbi Chimon était l’un des cinq disciples restés en vie après la cessation de l’épidémie. Lag Baomer est donc pour lui (et ses condisciples) synonyme de vie, et en même temps le jour de son départ de ce monde !

La solution à cette difficulté

Il est connu1 que « toutes les actions, l’enseignement et le service du Tsadik, qu’il a réalisés tout au long de sa vie, s’assemblent (et montent avec lui) le jour où il quitte ce monde ». Ces œuvres ayant constitué sa vraie vie,  il s’ensuit que c’est à ce moment seulement qu’il parvient à son seuil de perfection, une perfection manifeste. Appliqué à Rabbi Chimon, ce principe signifie que, puisque le service de ce dernier ne s’inscrivait pas dans la ligne de celui des 24000 disciples qui moururent, mais conduisait au contraire à la cessation de la mort, il va de soi que son départ de ce monde (l’instant où son service révèle qu’il a atteint sa perfection) ne pouvait tomber que le jour où la mort cessa, Lag Baomer.

Une question se pose, à ce stade de l’explication : Rabbi Chimon est le seul des cinq disciples survivants à avoir quitté ce monde, le jour de Lag Baomer, ce qui laisse entendre un rapport particulier avec le jour où la mort cessa. Pourquoi ce rapport particulier, dont ne semblent pas bénéficier ses quatre condisciples ?

L’instant de l’abnégation

La réponse à cette question apparaîtra après avoir résolu la difficulté suivante : nos Sages2 imputent la mort des disciples de Rabbi Akiva au fait qu’ils « ne se témoignaient pas l’un l’autre suffisamment de respect ». Or, Rabbi Akiva basait tout son enseignement sur l’amour du prochain (« Tu aimeras ton prochain comme toi-même est un grand principe dans la Torah », enseignait-il en permanence). Comment se peut-il que ceux que la Torah appelle « ses disciples » n’aient pas éprouvé du respect l’un pour l’autre ?

L’une des explications données à ce sujet est que chaque disciple avait une compréhension personnelle de l’enseignement de Rabbi Akiva, et qu’il servait D.ieu selon la voie issue de sa compréhension. Chacun d’entre eux était donc tellement imprégné de la justesse de sa propre voie qu’il considérait comme défectueuse toute autre façon de comprendre et de servir. De plus, étant disciple de celui qui mettait l’amour du prochain au-dessus de tout, chacun s’efforçait d’influencer ses camarades selon la voie qu’il estimait la plus vraie. Lorsqu’il se heurtait à leur refus d’adhérer à sa vision (puisqu’ils suivaient la leur) il ne pouvait dissimuler le sentiment négatif que lui procurait la contemplation d’un autre type de service, défectueux à ses yeux, et ne pouvait du même coup éprouver un vrai sentiment de respect envers celui qui – selon lui – s’en contentait.

L’analyse va encore plus loin : le fait qu’ils soient désignés comme « disciples de Rabbi Akiva » nous conduit à rechercher la racine de cette voie (être à ce point immergé dans sa propre conception que l’on ne remarque plus l’existence d’une perfection inhérente à une autre conception) dans le service de Rabbi Akiva lui-même. En effet, celui-ci avait désiré tout au long de sa vie atteindre l’instant de l’abnégation, où il  se sacrifierait pour l’Unité Divine (comme il le confia à ses disciples au moment ultime, où il fut supplicié par les Romains3).

Or, cette abnégation, appelée Messirout Néfèch, emplit l’être au point qu’il ne reste aucun point de sa personne qui soit extérieur à cet état. Les disciples de Rabbi Akiva avaient reçu de celui-ci ce désir intense de Messirout Néfèch, aussi leur service en était-il littéralement imbibé, les envahissant tout entiers. Ils étaient donc tellement acquis à leur propre service que rien n’existait en dehors de celui-ci.

Le monde et le désert

Pourtant, ce don de soi dans le service ne correspondait pas, malgré son intense dévotion, à l’Intention Divine.

En effet, l’abnégation seule se traduit par un « élan » vers D.ieu, qui conduit à vouloir sortir du corps et du monde. Malgré la noblesse de la motivation, elle ne peut exprimer l’Intention Divine, qui spécifie que l’« élan » doit conduire à un « retour » vers le monde, pour propager la Présence de D.ieu ici-bas, dans les structures de la logique et de l’esprit.

Les disciples de Rabbi Akiva, emplis de l’abnégation seule, « détruisaient » en fait les structures du monde, transformant celui-ci en un « désert », alors que les cinq disciples survivants, « qui édifièrent la Torah »4, réalisèrent la construction de structures, témoignant ainsi de l’existence d’un « retour » pour loger le Divin dans un monde construit. Eux aussi avaient reçu de leur maître sa Messirout Néfèch, mais dans sa conception parfaite, telle qu’elle se trouvait chez Rabbi Akiva : un « élan » accompagné d’un « retour ». L’élan ne conduit pas à la mort, serait-elle l’effet de l’extase, mais à un supplément de vie dans le service.

Réparer le monde

C’est cette conception que l’on trouve, sous sa forme la plus révélée, chez Rabbi Chimon bar Yo’haï :

Les treize ans qu’il dut vivre, cloîtré dans la caverne et ne pouvant accomplir un grand nombre de Mitsvot sur le plan matériel, furent pour lui une période où dominait l’abnégation, l’« élan ». Mais cette période contribua à forger la période suivante, lorsque, sorti de la caverne, il ne rechercha pas l’isolement et le refus du monde, mais au contraire à soigner et à réparer celui-ci.

Le service de D.ieu de son maître Rabbi Akiva se retrouvait, perfectionné et grandi, chez lui : Rabbi Akiva était « entré intact » (dans le « Pardess », la dimension la plus profonde de la Torah) et il en était « sorti également intact »5, car, à son « élan » était associé a priori sa volonté de « retour ». Rabbi Chimon, entré dans la caverne à cause de son abnégation, ne pouvait qu’en sortir pour réparer le monde.

(Discours du Chabbah Emor, veille de Lag Baomer 5740)