La Torah en Cinq Livres

Le mot Torah signifie littéralement « instruction », c’est-à-dire une forme d’orientation dans la vie.

Mais lorsque les Juifs disent « Torah », ils ont probablement en tête les Cinq Livres de Moïse, qui constituent le fondement de toute instruction et de tout orientation juive. Nous l’appelons aussi le ‘Houmach, de l’hébreu ‘hamech qui signifie cinq, tout comme le titre, pas-si-juif et quelque peu archaïque, de Pentateuque, vient du préfixe grec penta signifiant également cinq.

Souvent, lorsque les gens parlent d’« une Torah », ils font référence à un rouleau de parchemin comprenant les Cinq Livres de Moïse qui est conservé dans l’arche de la synagogue et qui est sorti pour être lu pendant les offices.

(Photo: Beis Yisroel Torah Gemach)
(Photo: Beis Yisroel Torah Gemach)

La Torah en 24 livres

Les Cinq Livres de Moïse sont une section d’une collection de textes également appelée « Torah », mais autrement connue sous le nom de Tanakh (תנ"ך).

TaNaKh est l’acronyme des mots :

  • Torah : le ‘Houmach (les Cinq Livres de Moïse) – décrit ci-dessus.

  • Nevi’im (les Prophètes)

  • Ketouvim (les Écritures, tels que les Psaumes, les Lamentations ou les Proverbes).

Tous les livres de la Torah sont des œuvres divines, mais le ‘Houmach occupe une place unique.

Il existe cependant une distinction.1 Bien que tous les livres de la Torah soient vénérés comme des œuvres divines, le ‘Houmach occupe une place unique. La raison en est que le ‘Houmach est l’œuvre de Moïse, et que la véracité de la prophétie de Moïse est fondée sur une expérience nationale : l’événement survenu au mont Sinaï, au cours duquel la nation tout entière fut témoin de la communication de D.ieu avec elle.

Jusqu’à ce moment-là, le peuple ne pouvait pas être entièrement certain que ce que Moïse lui disait venait vraiment de D.ieu. Ils n’avaient aucune preuve empirique, si ce n’est que Moïse accomplissait des miracles – mais que démontrent les miracles ? Seulement une capacité d’accomplir quelque chose de surnaturel. Ils ne sont pas la preuve que D.ieu vous a parlé à ou a parlé à qui que ce soit d’autre. C’est pourquoi ce n’est que lorsque les Enfants d’Israël virent et entendirent par eux-mêmes qu’ils n’eurent plus de doutes.

Toutes les autres prophéties du Tanakh, qu’il s’agisse de Samuel, d’Isaïe ou de Daniel, sont le témoignage d’un seul individu. On ne les croit que parce que Moïse nous a ordonné – au nom de D.ieu – de croire et d’obéir aux prophètes qui remplissent les critères qui ont été clairement fixées dans la Torah. Une personne qui parle au nom de D.ieu mais qui ne remplit pas ces conditions doit être sévèrement punie, quels que soient les miracles qu’elle peut accomplir.2

Il est donc évident qu’aucun prophète ne peut ajouter ou retrancher quoi que ce soit à ce que Moïse a enseigné, puisque leur crédibilité repose entièrement sur son autorité.3 Les prophètes ne viennent que pour expliquer, développer et exhorter le peuple à observer « la Torah de Moïse », comme l’a dit le dernier d’entre eux, Malachie : « Souvenez-vous de l’enseignement de Mon serviteur Moïse, à qui J’ai ordonné à Horeb des lois et des règles pour tout Israël. »4

Pour lire l’exposé de Maïmonide sur cette distinction, cliquez ici et lisez les trois chapitres suivants.

Le Tanakh est parfois désigné par le reste du monde comme « la Bible hébraïque ». Les Juifs ont écrit de nombreux autres livres d’histoire, de sagesse et de prophétie, mais aucun d’entre eux n’était considéré comme divin et éternel au point d’être inclus dans le Tanakh.

Je pourrais donc aussi dire : « Le Cantique des cantiques est un livre de la Torah », même s’il ne fait pas partie des Cinq Livres de Moïse.

La Torah Orale – une Torah infinie

Toute œuvre nécessite une connaissance et une compréhension de son contexte pour donner un sens à son contenu, à plus forte raison une œuvre censée transmettre toutes les instructions nécessaires à une nation entière et à chaque individu dans toute situation, et ce, pour toujours.

C’est pourquoi nous avons « la Torah Orale » (en hébreu : Torah chébé’al Peh תורה שבעל פה). Et celle-ci est littéralement sans fin.

Dans les Cinq Livres de Moïse, nous lisons à plusieurs reprises comment Moïse transmettait les instructions de D.ieu au peuple. Mais il est évident que Moïse enseigna beaucoup plus que ce qui pouvait être mis par écrit dans ces cinq livres.

Par exemple, il nous est dit par écrit que l’on doit « se reposer le septième jour », mais il n’y a pas d’explication écrite de la nature de ce repos. Il nous est dit d’abattre les animaux avant de les manger « comme je vous l’ai ordonné »5 – mais il n’y a aucune description de la sorte d’abattage qui est commandée.

Les exemples sont presque infinis. Il y a tellement de manques et d’ambiguïtés que l’on ne peut guère tirer de loi pratique du texte seul.

Ajoutez à cela le fait que la Torah écrite ne contient pas les voyelles nécessaires à la lecture de l’hébreu biblique. Le mot ‘halav qui signifie « lait », par exemple, a les mêmes consonnes que le mot ‘helev qui veut dire « graisse ». Dans de nombreux cas, le seul moyen de connaître la différence est la tradition. Il n’y a pas non plus de ponctuation dans le texte écrit.

(Il n’est donc pas étonnant que lorsque les premiers protestants ont commencé à traduire la Bible hébraïque en langue vernaculaire, ils furent contraints de s’appuyer sur la tradition juive de la ponctuation et des voyelles, ainsi que sur les commentateurs juifs classiques pour connaître le sens simple du texte.)

La Torah ordonne également aux anciens de « garder les enfants d’Israël loin de l’impureté ! »6 Elle dit : « Gardez Mes gardes ! »7 Ce qui signifie que si les dirigeants spirituels constatent que leur génération est plus sujette à la tentation que les précédentes – ou qu’elle ne peut tout simplement pas être aussi prudente qu’avant –, il est temps d’ajouter quelques avertissements pour les tenir davantage à distance de la faute.8 De nombreuses précautions de ce type furent ajoutées au début de l’histoire juive sans être consignées dans un document public.

De plus, de temps en temps, les sages et les dirigeants du peuple ont utilisé les principes d’interprétation transmis par Moïse pour déduire de nouvelles règles, ou retrouver celles qui avaient été oubliées. Ils ont également établi de nouveaux édits pour protéger la loi ou pour l’appliquer à de nouvelles situations lorsqu’elles se présentaient, comme pour Pourim et ‘Hanouka. La Torah elle-même confère une grande autorité aux soixante-dix anciens et aux « prêtres et aux sages qui seront de votre temps » pour répondre à « tout ce qui est difficile pour vous », au point que « vous ne devez pas vous détourner de leurs paroles ni à gauche ni à droite ».9

La Torah Orale est un organisme vivant et croissant qui ne peut être capturé par un filet d’encre sèche sur une page.

Ainsi, la majeure partie de la Torah dut être transmise oralement, de père en fils, de maître en élève.10 Elle ne pouvait être transmise que de cette manière, en raison de sa nature même. Alors que la Torah Écrite est un texte sacré lié à un nombre précis de mots, la Torah Orale est un organisme vivant et croissant de sagesse, de profondeur et de connaissance qui prospère dans les eaux d’une relation maître-élève et ne peut être capturée par un filet d’encre sèche sur une page. Pourtant, le noyau essentiel de cette tradition orale finit par être mis par écrit, afin qu’il ne se perde pas.11

Étant donné que cette tradition orale est également une partie essentielle de l’instruction divine, elle est également appelée « Torah » – la Torah Orale. Elle comprend :

  • la lecture correcte du texte, sa ponctuation, ses voyelles et sa cantillation, ainsi que le sens des mots.

  • la compilation des lois et des règles appelée Michna, ainsi que d’autres compilations acceptées, telles que le Sifri, le Sifra, le Mekhilta, la Braïta et la Tossefta.

  • la discussion et le débat sur ce matériel, appelée Talmud ou Guemara,

  • les ouvrages ésotériques (souvent connus sous le nom de Kabbale) et les guides éthiques basés sur la Torah et composés par des érudits de la Torah,

  • les histoires et leurs leçons rassemblées dans le Talmud et les ouvrages midrashiques,

  • tout autre enseignement qui a été accepté par un consensus pérenne de la communauté juive pratiquante, parce qu’il est fermement fondé sur un précédent, ou parce qu’il a été démontré qu’il émerge, par des moyens acceptés, de textes et d’opinions antérieurs.

Comme l’affirme le Talmud, « Écritures, Michna, Talmud et Aggadah (anecdotes et paraboles), même ce qu’un étudiant diligent est destiné à enseigner devant son maître, tout a déjà été dit à Moïse au Sinaï ».12

Alors, oui, un ami pourrait vous dire : « Tu aurais dû entendre l’étonnante Torah que le rabbin a prononcée au nom de son maître ce matin ! »

Si vous lui demandez : « Quel livre de la Torah ? », il pourrait répondre qu’il n’a pas encore été écrit. C’est parce que la Torah Orale est toujours vivante et grandit dans l’esprit et la bouche de ceux qui l’étudient, croient en elle et l’embrassent. Nous expliquerons plus tard comment cela fonctionne exactement.

Cours de Torah à Manchester, en Angleterre (Photo par Bentzi Sasson)
Cours de Torah à Manchester, en Angleterre (Photo par Bentzi Sasson)

L’intégrité de la Torah orale

 

Une question fréquemment posée est : comment savons-nous que les anciens et les rabbins ont vu juste ? Et comment savons-nous que cette tradition orale n’a pas été corrompue au fil des ans ?

D.ieu nous a ordonné de porter toutes les questions difficiles devant les tribunaux des anciens et des sages de chaque époque et de suivre leurs décisions. S’Il se fie à eux, nous pouvons aussi le faire.

Mais si l’on considère que l’auteur de ce système est le même que l’auteur de toute la Torah – à savoir D.ieu lui-même – la question disparaît. Comme nous l’avons vu plus haut, D.ieu nous a ordonné de porter toutes les questions difficiles devant les tribunaux des anciens et des sages de chaque époque et de suivre leurs décisions. S’Il se fie à eux, nous pouvons aussi le faire.

Le Midrash de Rabbi Tan’houma l’exprime ainsi13 :

Une personne ne doit pas dire : « Je n’accomplirai pas les mitsvot des anciens, car elles ne sont pas issues de la Torah. »

Le Saint, béni soit-Il, dit à ces personnes : « Mes enfants, il ne vous est pas permis de parler ainsi ! Au contraire, tout ce qu’ils décrètent sur vous, vous devez l’accomplir, comme il est dit dans Ma Torah : “Tu feras selon la Torah qu’ils t’enseigneront.”14 Pourquoi ? Parce que Moi aussi, Je suis d’accord avec leurs paroles, comme il est dit : “Vous décréterez une parole et elle sera établie pour vous.”15 »

Le premier livre de la Torah, le Livre de la Genèse, en particulier, nous enseigne à plusieurs reprises que D.ieu est présent dans l’histoire. Il ne nous a jamais quittés et continue de nous guider par l’intermédiaire de Ses prophètes, de Ses sages et des justes, hommes et femmes, qu’Il envoie pour guider Son peuple.

En outre, le processus par lequel de nouvelles règles et de nouveaux enseignements sont établis et transmis est solide. Nous ne parlons pas d’une petite poignée de personnes, mais d’une nation entière impliquée dans l’étude, le débat et la transmission de la tradition orale de la Torah. Pour qu’une nouvelle loi devienne effective, elle devait être acceptée par l’ensemble de la communauté. Pour qu’elle perdure, elle devait être transmise par une « masse critique » d’enseignants.

Les questions ont toujours été encouragées en tant que partie essentielle de l’étude. Une question qui revient souvent dans le Talmud est « D’où cela vient-il ? », ce qui signifie « Comment cela nous est-il parvenu : par l’exégèse d’un texte, par une tradition orale depuis Moïse, ou par un décret ultérieur ? ». Aucune tradition n’était considérée comme acquise, aucune nouvelle décision n’était prise sans un solide précédent.

Le Talmud en donne un exemple très frappant à titre d’illustration16 :

Rav Judah a dit au nom de Rav :

Lorsque Moïse monta sur les hauteurs, il trouva le Saint, béni soit-Il, occupé à apposer des couronnes sur les lettres.

Moïse dit : « Maître de l’Univers, qui T’oblige à faire cela ? »

Il répondit : « Il se lèvera un homme, au bout de nombreuses générations, Akiva ben Joseph de son nom, qui déduira de chaque trait des monceaux et des monceaux de lois. »

– Maître de l’Univers, dit Moïse. Permets-moi de le voir.

Il répondit : « Recule. »

Moïse recula et s’assit derrière huit rangées d’élèves de Rabbi Akiva. Il n’avait aucune idée de ce dont ils parlaient et il se sentit défaillir.

Puis ils arrivèrent à un certain sujet et les disciples dirent au maître : « Comment sais-tu cela ? »

Rabbi Akiva répondit : « Il s’agit d’une loi dont nous savons par tradition orale qu’elle a été donnée à Moïse au Sinaï. »

Et Moïse fut réconforté.

Néanmoins, nous trouvons presque toujours des points de vue disparates sur un sujet. Notre tradition traite cela en expliquant que Moïse, lui aussi, reçut de multiples opinions :

Rabbi Yanaï a dit :

La Torah n’a pas été donnée telle quelle. Au contraire, pour tout ce que D.ieu disait à Moïse, Il donnait 49 facettes de pureté et 49 facettes d’impureté.

Moïse dit : « Maître de l’Univers ! Quand pourrons-nous jamais clarifier tout cela ? »

D.ieu répondit : « Tournez-vous vers la majorité.17 Si ceux qui le déclarent pur sont majoritaires, il est pur. Si ceux qui le déclarent impur sont majoritaires, il est impur. »

Rabbi Avahou dit au nom de Rabbi Yonathan : « Rabbi Akiva avait un élève assidu et son nom était Rabbi Méir. Il était capable de trouver 49 facettes de la Torah pour déclarer un rongeur pur, ainsi que 49 facettes pour le déclarer impur. »

Rabbi Yehoshua ben Levi a dit : « À l’époque de Saül et de David, et à l’époque de Samuel, même les petits enfants savaient apprendre la Torah avec 49 facettes de pureté et 49 facettes d’impureté. »18

Cette notion de vérités multiples que chaque élève doit passer au crible est un principe fondamental de l’étude de la Torah, ainsi que l’un des secrets de la robustesse de la tradition. Dans la tradition juive, D.ieu est également appelé « la Lumière Infinie », ou simplement « l’Infini ». De même qu’Il est infini, la sagesse qui émane de Lui est illimitée dans son application, ainsi que dans les points de vue qu’elle peut inclure.19

Évidemment, toutes les opinions ne sont pas de la Torah. Il y a des critères, indispensables pour assurer l’intégrité de la Torah. Voir plus loin : « Les hommes peuvent-ils créer plus de Torah ? »

Comme le Talmud explique les mots de l’Ecclésiaste :

« Les paroles des sages sont comme des aiguillons ; les dires des maîtres de collections, comme des clous bien plantés : tout émane d’un seul et même berger. »20

[...] Qui sont les « maîtres de collections » ? Ce sont les élèves des sages qui s’assoient en groupes occupés à la Torah. Ceux-ci déclarent une chose impure et ceux-là la déclarent pure. Ceux-ci interdisent et ceux-là autorisent. Ceux-ci déclarent une chose casher et ceux-là la déclarent impropre.

Peut-être qu’une personne dira : « Si c’est le cas, comment puis-je étudier la Torah ? »

C’est ce qu’on nous a enseigné : tous ont été donnés par un seul berger. Un seul D.ieu les a données, un seul chef les a prononcées de la bouche du Maître de Toutes Choses, béni soit-Il, comme il est écrit : « Et D.ieu prononça toutes ces choses, en disant... »

Toi aussi, que ton oreille soit comme un entonnoir et acquiers un cœur compréhensif pour entendre les paroles de tous ces avis.21

Qui est l’auteur de la Torah ?

La tradition juive enseigne que Moïse a écrit les Cinq Livres de Moïse. On trouve des allusions à ce sujet à plusieurs endroits du texte, et encore plus explicitement à Josué 1,7-8. Seize occurrences dans le Tanakh font référence à « la Torah de Moïse ».

Pourtant, nous ne pouvons pas vraiment qualifier Moïse d’« auteur » de la Torah. En vérité, aucun prophète n’est son propre auteur. Certains, comme David, ont pu dire : « L’esprit de D.ieu a parlé en moi et Sa parole est sur ma langue ».22 Il ne se sentait rien de plus qu’un conduit permettant au divin d’entrer dans ce monde. D’autres ont reçu d’En Haut des visions ou des rêves afin qu’ils puissent transmettre un message au peuple.23

Il n’y avait pas de sens du moi dans les paroles de Moïse – comme nous le voyons, il se réfère à lui-même à la troisième personne.

Mais la prophétie de Moïse se situe à un tout autre niveau. Ses paroles n’étaient pas enveloppées d’allégories et de métaphores mais étaient des instructions directes, des articulations précises de la voix divine qui précéda l’univers. Il n’y avait aucun sens du moi dans les paroles de Moïse – comme nous le voyons, il se réfère à lui-même à la troisième personne, décrivant sa naissance et les événements de sa vie objectivement, comme s’il parlait de quelqu’un d’autre.24

C’est ce que D.ieu veut dire lorsqu’il dit à Miriam et Aaron : « C’est bouche à bouche que Je lui parle ».25 C’est également ce que veut dire le Talmud lorsqu’il affirme que « D.ieu dictait et Moïse écrivait ».26

Qu’en est-il des huit derniers versets de la Torah, qui décrivent la mort de Moïse ? Le Talmud rapporte deux opinions.27 Rabbi Yehouda affirme que ces derniers versets ont été écrits par Josué, l’élève et le successeur de Moïse. Rabbi Shimon est d’un avis différent et dit : « Jusqu’à ce point, le Saint, Béni soit-Il, dictait et Moïse répétait après Lui et écrivait le texte. À partir de ce point, le Saint, Béni soit-Il, dictait et Moïse écrivait avec des larmes. »

Quand Moïse a-t-il écrit la Torah ?

Quand Moïse a-t-il écrit tout cela ? Le Talmud donne deux opinions sur ce sujet également. L’une est qu’il a écrit des rouleaux séparés au fur et à mesure que les choses se déroulaient au cours de la période de quarante ans dans le désert, et qu’il ne les a cousus ensemble qu’à la fin de sa vie. L’autre est qu’il a écrit les cinq livres à la fin de sa vie.28

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, l’origine divine de la Torah était incontestée. Les érudits et les hommes d’État européens la citaient bien plus que toute autre source, car elle était considérée comme un texte de la plus haute autorité. C’est pourquoi la plupart de ce que nous considérons comme les « valeurs des Lumières » trouvent leur source dans la Torah.29

Aux 18e et 19e siècles, certains érudits laïques ont tenté de dater la rédaction de la Torah à une époque beaucoup plus tardive. Le plus connu d’entre eux était Julius Wellhausen, qui affirmait qu’il s’agissait d’un faux, l’œuvre de prêtres canonisateurs dans les premières années du second Temple, assemblant des écrits de plusieurs traditions. C’est ce qu’on appelle généralement « l’Hypothèse documentaire », une tentative de reconstruire l’évolution du texte, un peu comme si l’on essayait de démêler une entité que l’on considère comme un œuf brouillé.

Aucune preuve externe n’a été produite pour soutenir cette hypothèse, et bien au contraire, la syntaxe et le format de centaines de milliers de documents anciens du Proche-Orient découverts à une époque plus récente sapent bon nombre de ses propositions.30 Nous sommes maintenant en mesure de retracer les textes tels qu’ils sont modifiés au fil des âges, et aucun amalgame de ce genre n’a été trouvé.

Pour ce qui est des preuves internes – c’est-à-dire provenant du texte lui-même –, le pouvoir explicatif de l’hypothèse soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses, et les commentaires traditionnels abordent la plupart de ces problèmes de manière plus satisfaisante. De plus, nous savons maintenant que ce que l’on considérait auparavant comme des anomalies du texte indiquant l’existence de plusieurs auteurs, comme les changements grammaticaux et les répétitions, sont en fait assez courants dans les documents du Proche-Orient ancien.

En outre, il n’a jamais été précisé à qui profiterait exactement cette conspiration, puisque la Torah impose des restrictions et des reproches à presque tout le monde, ni pourquoi quelqu’un tomberait dans le panneau.

L’hypothèse n’a jamais été sans détracteurs érudits, et elle a été sérieusement attaquée ces dernières années par plusieurs experts, dont le principal égyptologue de l’époque de Ramsès, Kenneth A. Kitchen, qui affirme que l’absence d’anachronisme, les détails descriptifs et la précision démontrent que l’œuvre n’a pu être composée que de manière contemporaine.31 James K. Hoffmeier est un autre égyptologue très respecté qui a publié des ouvrages en faveur d’une lecture contemporaine.32 Plusieurs universitaires ont même affirmé que les chercheurs ne s’accrochent à ce paradigme qu’en raison du pouvoir qu’il confère à ses tenants.33

La tradition juive selon laquelle la Torah fut écrite par Moïse, en revanche, a été le consensus universel des juifs et des chrétiens jusqu’à la fin du XVIIe siècle. La tradition juive est une chaîne ininterrompue, et elle a toujours été la connaissance publique d’une grande masse de personnes – ce qui est extrêmement difficile à falsifier. Comme toutes les autres hypothèses ne sont que spéculatives, il est logique de s’en tenir à la tradition.

Qui a écrit le reste des livres de la Torah ?

Qu’en est-il des autres livres du Tanakh qui sont également appelés « Torah » ? Voici une liste de leurs auteurs selon le Talmud34 :

  • Josué : Josué, complété par Pin’has.
  • Juges et Ruth : Samuel
  • Samuel : Samuel, complété par Gad le Voyant et Nathan le Prophète.
  • Psaumes : David, recueillant ses propres cantiques ainsi que ceux de dix anciens : Adam, Melkitsédek, Abraham, Moïse, Héman, Yedoutoun, Assaf et trois fils de Kora’h.
  • Job : Moïse
  • Rois : Jérémie
  • Jérémie, Livre des Rois, Lamentations (Eikha) : Jérémie.
  • Isaïe : transcrit et conservé par Ezéchias et ses collègues.
  • Proverbes, Cantique des Cantiques, Ecclésiaste (Kohelet) : composés par Salomon, transcrits et conservés par Ezéchias et ses collègues.
  • Ézéchiel, les Douze Prophètes, Daniel et le rouleau d’Esther : les Membres de la Grande Assemblée (pendant l’exil babylonien).
  • Livre d’Ezra et Chroniques : Ezra, complété par Néhémie.
(Photo: Bentzi Sasson)
(Photo: Bentzi Sasson)

Peut-on créer plus de Torah ?

Nous avons dit précédemment que de la Torah est constamment créée par ses étudiants. Mais comment cela peut-il être possible, si la Torah est une instruction divine ?

Une réponse simple est que la Torah donne des principes généraux, et c’est à nous de comprendre comment ces principes s’appliquent à de nouvelles situations au fur et à mesure qu’elles se présentent.

Par exemple, à mesure que la technologie progresse, des questions apparaissent. La Torah dit : « Vous n’allumerez pas de feu dans toutes vos habitations le jour du Chabbat. »35 Cela inclut-il le fait de tourner la clé de contact d’une voiture à combustible fossile ? (Consensus : oui.)

Et le fait d’actionner un interrupteur électrique ? (Consensus : Probablement pas, mais néanmoins interdit pour d’autres raisons.)

Ou le fait de chauffer le filament de carbone d’une ampoule à incandescence, pour qu’il brille ? (Consensus : Interdit par deux avis : l’un que c’est un feu, l’autre que chauffer du métal jusqu’à son point d’incandescence est considéré comme cuire.36)

Peut-on laisser les appareils électriques continuer à fonctionner pour nous le Chabbat sans notre intervention ? (Consensus : dans les bonnes conditions, oui).

Dans le domaine de l’éthique médicale également, comme de nouvelles situations se présentent presque quotidiennement, les précédents de la Torah guide et éclairent les rabbins dans ce domaine également.

De même, lorsque la Torah nous raconte une histoire afin d’enseigner une leçon. À chaque génération, nous devons déterminer quelle est la leçon pertinente pour cette époque.

Mais comment pouvons-nous appeler ces applications elles-mêmes de nom de « Torah » ? Il semblerait qu’elles relèvent de notre propre sagesse et non de la sagesse divine.

Une réponse à cela se trouve dans la Torah elle-même. Moïse décrit l’événement de D.ieu parlant au Mont Sinaï en ces termes : « Il y eut une grande voix et elle ne s’est jamais arrêtée. »37

Les derniers mots de ce verset – velo yassaf – ne sont pas seulement ambigus mais contiennent deux significations opposées. Ils pourraient signifier « et elle ne s’est jamais arrêtée ». Mais ils peuvent également signifier « et elle ne s’est jamais répétée ».38

Les deux sont vrais. Le Midrash39 explique :

Rabbi Its’hak dit :

Ce que les prophètes étaient destinés à prophétiser à chaque génération, ils l’ont reçu du mont Sinaï. Car c’est ce que Moïse a dit à Israël : « Pour ceux qui se tiennent ici avec nous aujourd’hui… et ceux qui ne sont pas ici avec nous aujourd’hui. »

Il n’a pas dit : « Ceux qui ne se tiennent pas ici avec nous aujourd’hui », mais simplement « ceux qui ne sont pas avec nous aujourd’hui ». C’est parce qu’il parlait des âmes qui étaient destinées à être créées mais qui étaient encore sans substance. De celles-ci, on ne pouvait pas dire qu’elles se tenaient là, et pourtant elles aussi, chacune, reçurent ce qui leur revenait.

C’est ainsi qu’il est dit : « Énoncé de la parole de D.ieu dans la main de Malachie ».40 Non pas « aux jours de Malachie », mais « dans la main de Malachie ». Car la prophétie était déjà dans sa main depuis l’événement du mont Sinaï. Seulement, il ne lui était pas permis de prophétiser jusqu’à ce que le temps de la prophétie arrive.

La même chose est dite au sujet d’Isaïe : « Du jour où l’événement s’est réalisé, j’étais présent. »41

Isaïe disait que depuis le jour où la Torah a été donnée au Sinaï, j’étais là, et là j’ai reçu cette prophétie. C’est seulement que « et maintenant, Hachem, D.ieu, m’a envoyé et Son esprit. »42 Ce qui signifie que, jusqu’à présent, on ne m’a pas accordé la permission de prophétiser.

Ce ne sont pas seulement les prophètes qui ont reçu leur prophétie du Sinaï, mais aussi tous les sages qui ont surgi à chaque génération. Chacun a reçu ce qui lui appartient du Sinaï.

C’est ainsi qu’il est dit : « Toutes ces choses, D.ieu les a dites à toute votre assemblée, une grande voix qui ne s’arrête jamais. »43

Dans chaque génération, dans chaque lieu où la Torah est étudiée, le Sinaï se produit encore, et encore, et encore, avec chaque nouvelle découverte, chaque éclair de sagesse et de perspicacité qui n’avait jamais été connu auparavant. Chacune de ces découvertes est un déploiement de la même voix, chacune étant nécessaire à ce moment et à cet endroit.

La semence de la Torah a été plantée avec l’événement du Sinaï, et l’ADN de cette semence continue de se déployer.

On pourrait dire que la semence de la Torah a été plantée avec l’événement du Sinaï, consignée dans les Cinq Livres de Moïse, mais que la voix du Sinaï continue d’être entendue dans chaque génération, car les étudiants de la Torah déploient l’ADN de cette semence, découvrant de nouvelles significations qui avaient de toujours été signifiées, et de nouvelles applications qui étaient de toujours latentes dans la Torah.

Cependant, il y a un avertissement inquiétant à cette entreprise. Le Zohar prévient que celui qui dit que quelque chose est de la Torah alors que ce n’est pas le cas a créé une idole.44 Cela a du sens si l’on considère que la Torah est la sagesse divine. Tout comme créer une idole et prétendre qu’elle est l’image de D.ieu est un dangereux mensonge, il en est de même s’agissant d’énoncer ses propres idées et les appeler « Torah ».

C’est pourquoi Rabbi Moché Cordovero enseigna : « Lorsque vous émettez des idées et que vous les analysez avec votre intellect afin de les comprendre, vous devez prendre soin de concevoir l’idée et de l’expliquer dans le cadre de la tradition des rabbins et de leurs paroles concises. Les idées originales doivent être incluses dans ce que vous avez acquis, que ce soit beaucoup ou peu. »45

Alors, oui, c’est dangereux, mais c’est une nécessité. Vous n’avez pas vraiment appris la Torah tant que vous n’êtes pas capable de discerner de nouvelles explications, significations et applications de votre propre chef. Comme le raconte le Talmud :

Il arriva que Rabbi Yo’hanane ben Beroka et Rabbi Elazar ben ‘Hisma allèrent saluer leur maître Rabbi Yehochoua à Peki’in.

Il leur dit : « Quelles sont les innovations qui ont surgi dans votre salle d’étude ? »

Ses disciples répondirent : « Nous sommes tes disciples, et nous buvons à tes eaux ! ».

Il leur répondit : « Néanmoins, il ne peut y avoir de salle d’étude de la Torah sans innovation. »46

En effet, le grand kabbaliste, Rabbi Its’hak Louria, enseigna que chaque âme juive qui vient en ce monde est capable d’innover en Torah, et doit le faire pour sa propre réalisation.47

L’originalité et l’innovation sont des éléments cruciaux de l’étude de la Torah, tant que la tâche est abordée avec appréhension et crainte, car il s’agit, après tout, d’une tâche divine.

Torah ou sagesse ?

Si l’on te dit qu’il y a de la sagesse chez les autres peuples, crois-le.

Si l’on te dit qu’il y a de la Torah chez les autres peuples, ne le crois pas.48

La Torah, semble-t-il, se distingue de ce que nous appelons généralement la sagesse. Même le terme « sagesse divine » est insuffisant pour la décrire.

Notre univers est certes composé de sagesse divine, mais la Torah est plus que l’univers. Notre environnement, notre corps, et même la psyché avec laquelle nous observons tout cela, tous sont d’une conception insondable. « Que Tes œuvres sont merveilleuses, ô D.ieu », dit le psalmiste. « Tu les as tous faites avec sagesse ! »49 Les premiers mots de la Torah, « Au commencement, D.ieu créa... »50 sont rendus dans le Targoum de Jérusalem par « C’est avec sagesse que D.ieu créa ».

Les rabbins du Talmud nous ont même appris que la Torah est le plan de l’univers :

Selon le fonctionnement habituel du monde, quand un roi mortel se construit un palais, il ne le construit pas de son propre chef, mais en suivant les conseils d’un architecte. Et l’architecte lui-même ne se fie pas non plus à son seul esprit, mais il dispose d’esquisses et de plans pour savoir comment construire les pièces et comment construire les portes. De même, le Saint, béni soit-Il, a regardé dans la Torah et a créé le monde.51

Pourtant, les lois de la Torah sont quelque chose de plus que les lois de la nature.

La sagesse vous dit tout ce que le Créateur a créé et tout ce qui pourrait en découler. La Torah vous dit ce que le Créateur désire.

Quelle est donc la différence entre la sagesse et la Torah ? Elle est simple, c’est la distinction entre ce qui est et ce qui devrait être : la sagesse vous dit tout ce que le Créateur a créé et tout ce qui pourrait en découler ; la Torah vous dit ce que le Créateur désire de Sa création, et comment y parvenir.

Par exemple, la sagesse vous dit que la façon dont vous traitez les autres ne peut que vous retomber dessus. C’est à vous de décider si vous voulez que cela vous retombe dessus ou non.

La sagesse vous dit que conserver des biens qui ne vous appartiennent pas n’est peut-être pas une bonne idée, ni pour vous ni pour les personnes qui vous entourent. Mais c’est à vous de décider si vous voulez ou non subir ces conséquences pour profiter des avantages immédiats.

La Torah, en revanche, ne se contente pas d’informer, elle instruit. La Torah, c’est D.ieu, qui crée l’univers et soutient son existence à chaque instant, qui dit : « Que tu le comprennes ou non, que tu puisses te justifier ou non, ne vole pas. » C’est faire un pas au-delà de la sagesse.52

En effet, dans de nombreux cas, la Torah vous donnera l’instruction de faire quelque chose qui dépasse votre compréhension. Là encore, vous écoutez, non pas seulement parce que vous êtes assez sage pour savoir que les instructions de Celui qui a créé le ciel et la terre ne vont pas toujours correspondre à votre compréhension, mais aussi parce que ce sont des instructions, après tout, du Créateur du ciel et de la terre.

C’est également ce que Rabbi Shimon ben Lakish a voulu dire lorsqu’il a enseigné que « la Torah a précédé la création du monde de deux mille ans ».53 Il ne pouvait évidemment pas parler du temps chronologique, puisque le temps est également une création. Le sens est plutôt ontologique. La Torah fournit un contexte supérieur qui ne peut être connu à partir du monde lui-même, un contexte de sens et de but.54

Illustration par Sefira Lightstone
Illustration par Sefira Lightstone

La Torah est-elle seulement pour les Juifs ?

Bien que la Torah soit une alliance entre D.ieu et le peuple juif, elle contient également une sagesse et des directives pour toute personne, juive ou non.

La Torah ne vient pas pour effacer les distinctions, mais plutôt pour créer une harmonie entre les individus et entre les nations à une époque annoncée par les prophètes. La Torah est destinée à concerner le monde entier, à élever la dignité de toute l’humanité et à nous amener tous à vivre en partenariat sous l’égide d’un Créateur unique.

Une ancienne tradition de la Torah Orale, à laquelle il est fait allusion dans le texte de la Genèse, raconte que D.ieu a donné sept commandements à l’ensemble de l’humanité – six à Adam puis un autre à Noé. Ces commandements sont parfois appelés « Lois Noahides » ou « Alliance Noahide ».

Au Sinaï, le peuple juif reçut l’instruction d’influencer les autres peuples pour qu’ils respectent ces principes fondamentaux de la décence humaine. Le Talmud affirme que tout être humain qui vit selon ces lois est considéré comme juste et a sa part dans le monde à venir.

Cliquez ici pour en savoir plus sur les sept commandements de l’humanité.

Pourquoi étudier la Torah ?

Lorsque vous vous plongez dans la Torah, votre objectif n’est pas d’accumuler des informations, mais de brancher votre esprit sur celui du Créateur. De penser d’une manière divine. De comprendre comment le Créateur de l’univers est en relation avec Ses créatures. C’est un partage d’esprit, jusqu’à ce que les mêmes préférences et les mêmes désirs respirent en vous deux. Ses pensées sont les vôtres et vos pensées sont les siennes. Il n’est pas d’union comparable que l’on puisse trouver dans aucune autre sagesse.55 Comme nous l’avons expliqué précédemment, la façon dont vous comprenez la Torah est elle-même la sagesse divine.

Mais la raison la plus importante d’étudier la Torah est de pouvoir en suivre les instructions, comme l’a enseigné Rabbi Yo’hanane : « Celui qui étudie et n’accomplit pas aurait mieux fait de ne jamais être venu en ce monde. »56 D’un autre côté, Rabbi A’ha répond : « Celui qui étudie afin de mettre son étude en action mérite de recevoir la révélation divine ». Il apprend cela de Josué, qui a dit au peuple : « Que ce Livre de la Torah ne quitte pas ta bouche, mais récite-le jour et nuit, afin d’observer fidèlement tout ce qui y est écrit. C’est alors seulement que tu réussiras dans tes entreprises et que tu connaîtras le succès. »57

C’est ainsi que nous demandons, dans nos prières quotidiennes, que nous soit donné un cœur « pour étudier et pour enseigner, pour faire et pour garder ».

Comment étudier la Torah

Lire quelques histoires bibliques et regarder le rabbin pendant toute la durée d’un cours ne suffit pas. Chaque discipline a non seulement son contenu, mais aussi son approche. La tradition de la Torah s’accompagne de méthodes d’étude. Voici quelques points clés :

Lisez à haute voix et retenez ce que vous apprenez.

Berouria était une femme érudite en Torah à l’époque romaine. Il est dit d’elle qu’elle a mémorisé plus de textes de la Torah Orale que n’importe qui d’autre de sa génération. Une anecdote du Talmud nous donne un aperçu de son secret58  :

Berouria rencontra un étudiant qui murmurait son étude au lieu d’élever la voix. Elle lui donna un coup de pied et lui dit : « N’est-il pas écrit : “disposée en tout et bien gardée” ?59 Cela signifie que si la Torah est disposée dans tes 248 membres – ce qui signifie que tu emploies tout ton corps pour l’étudier –, elle sera gardée. Et sinon, elle ne sera pas gardée. »

Le Talmud poursuit en racontant que Rabbi Eliézer avait un élève qui étudiait silencieusement et qui, après trois ans, oublia son étude.

Révisez, révisez et chantez en le faisant.

Les sages avaient des mots très durs pour ceux qui n’apprennent chaque sujet qu’une seule fois. Rabbi Yehochoua ben Kor’ha a enseigné : « Quiconque étudie la Torah et ne la révise pas est comparable à une personne qui sème et ne récolte pas ».60

La Torah, enseignait Rabbi Akiva, est destinée à être apprise comme s’il s’agissait d’une chanson.61 Une chanson se chante de nombreuses fois.

En fait, tout le Tanakh comporte des marques de cantillation. En ce qui concerne le Talmud et les autres études, la manière traditionnelle de les étudier est d’utiliser une voix chantante qui exprime le va-et-vient, la montée et la descente des affirmations et des arguments, le questionnement et la résolution. La chanson favorise tous les aspects de l’étude – la rétention, la cognition et surtout le plaisir.

Posez de bonnes questions.

« Les timides n’apprennent pas », enseignait Hillel l’Ancien.62 Pourquoi ? Parce que l’étude commence lorsque l’on pose une question.

En effet, le paradigme de l’éducation juive, la Haggadah de Pessah, commence par tenter d’amener les enfants à poser une question. Sans question, à quoi bon donner une réponse ? Pourquoi tenter d’introduire des informations dans un esprit qui ne les cherche pas ?

Une injure courante dans le monde de l’étude de la Torah est de traiter son interlocuteur d’am haarets. S’il est un am haarets, il est inutile d’écouter ses paroles, de prendre en compte ses décisions ou même de discuter avec lui. Qu’est-ce qu’un am haarets ? Quelqu’un qui a mémorisé l’intégralité du Tanakh et de la Michna et qui comprend tout ce qu’il a appris. Quelqu’un plein de connaissances, mais sans raisonnement propre. Quelqu’un qui peut fournir toutes les réponses, mais qui ne pose aucune question.63

C’est là tout l’intérêt de l’étude du Talmud : apprendre à raisonner par soi-même, à déduire une chose d’une autre, à voir le pour et le contre d’une nouvelle idée et, surtout, à savoir poser une bonne question.

Lorsque vous vous apercevez que vous posez les mêmes questions que les grands commentateurs du Tanakh et les rabbins du Talmud, vous savez que vous étudiez la Torah.

Étudiez avec un ami.

C’est peut-être le secret le plus brûlant de l’éducation juive : deux têtes valent mieux qu’une, surtout lorsqu’elles ne sont pas d’accord. Ainsi, la meilleure méthode d’étude dans le monde de la Torah consiste à étudier avec un partenaire – et de préférence un partenaire qui n’est pas d’accord avec vous.

Cette paire de têtes qui analysent un texte ensemble s’appelle une ‘havrouta.

Tout a commencé avec Moïse et Aaron, les premiers érudits de la Torah. La Michna énumère des dizaines de ‘havroutas, dont les plus grands experts et autorités de la loi juive. Leurs affrontements et leurs débats constituent la majeure partie du Talmud, et c’est en étudiant ces arguments que l’on devient un érudit de la Torah.

C’est le principal avantage d’une ‘havrouta : lorsqu’on étudie seul, on a tendance à ne voir qu’un seul côté de la médaille. Lorsque vous étudiez avec quelqu’un d’autre, chacun d’entre vous choisit un côté. Chacun d’entre vous explore, développe et défend son point de vue sur ce côté. Et si vous êtes capable d’argumenter tout en écoutant et d’écouter tout en argumentant – comme tout chercheur de la vérité doit être capable de le faire –, vous sortez du débat avec une vision considérablement approfondie et élargie du terrain.

Rabbi Yo’hanane et Rabbi Shimon ben Lakish ont constitué l’une de ces grandes ‘havroutas. Lorsque Rabbi Shimon mourut, Rabbi Yo’hanane refusa d’être consolé. Les sages envoyèrent Rabbi Elazar ben Pedat pour prendre la place de Rabbi Shimon. Le Talmud poursuit64  :

Rabbi Elazar ben Pedat alla s’asseoir devant Rabbi Yoḥanane. À propos de chaque question que Rabbi Yoḥanane disait, Rabbi Elazar ben Pedat lui disait : Il y a une décision qui est enseignée dans une baraïta qui soutient ton opinion.

Rabbi Yo’hanane lui dit : Es-tu comparable à ben Lakish ? Dans mes discussions avec ben Lakish, lorsque j’exposais une question, il soulevait vingt-quatre difficultés contre moi pour tenter de réfuter mon affirmation, et je lui répondais par vingt-quatre réponses, et la loi en elle-même s’élargissait et se clarifiait. Et toi tu me dis : « Il y a une décision qui est enseignée dans une baraïta qui soutient ton opinion. » Ne sais-je pas que ce que je dis est bon ?

Étudiez la Torah dans une yeshiva.

Si vous pouvez prendre ne serait-ce que quelques semaines de congé du travail ou de l’école, passez-les dans une yeshiva. Si vous ne pouvez pas prendre ce temps, prenez-le quand même. Comme l’a dit Hillel l’Ancien : « Ne dis pas : “Quand j’aurai le temps, j’étudierai”, car tu n’en auras peut-être jamais le temps. »

Quelques semaines, quelques mois, voire une année ou plus en yeshiva seront probablement le meilleur investissement de votre vie. Vous serez immergé dans un environnement de débats animés, de mitraillage de questions des enseignants et d’un esprit vivant de Torah intemporelle.