En vacances, j’aime me lever tôt pour apprécier l’ambiance cristalline du petit matin. Je m’éveille parfois au léger crépitement d’un crachin qui détrempe le sol et rafraîchit l’air. D’autres matins, c’est à l’éclat glorieux du soleil et du scintillement de la rosée sur l’herbe comme un million d’étoiles.
Ces deux sortes de matins sont humides, l’un par la pluie, l’autre par la rosée, mais cependant ils suscitent des atmosphères très différentes : l’un est doux et apaisant alors que l’autre est gai et revigorant. Cette dissemblance est généralement attribuée à la lumière solaire, qui n’est pas la même selon les matins. Cependant, selon les Maîtres du ‘Hassidisme, cela se reflète également dans la forme d’humidité elle-même, dans la pluie et la rosée.
Avant de quitter ce monde, Moïse délivra ses dernières instructions. En introduction il composa un cantique d’une grande beauté lyrique. « Prêtez l’oreille, cieux, et je parlerai / que la terre écoute les paroles de ma bouche. / Que ma doctrine ruisselle comme la pluie / que ma parole distille comme la rosée. » (Deutéronome 32, 2)
Remarquant les deux métaphores employées par Moïse, celle de la pluie et celle de la rosée, le Midrache en donne l’explication suivante : « Le peuple d’Israël a demandé que son inspiration ruisselle comme la pluie, ce à quoi D.ieu répondit ‘Non, pas comme la pluie. Il est préférable qu’elle distille comme la rosée.’ » Israël voulait la pluie et D.ieu voulait la rosée. Qu’est-ce qui les différencie ? Les deux sont constituées de vapeur condensée, les deux sont une forme d’humidité et les deux sont visibles au sol.
Leur différence réside dans leur origine. La pluie se forme lorsque l’humidité d’en bas s’évapore en s’élevant dans l’atmosphère où elle se condense, forme des nuages et se précipite en pluie. La rosée ne nécessite pas de vapeurs montantes, elle se forme ici-bas, au sol, quand la température tombe et que l’humidité ambiante entre en contact avec des surfaces plus froides. Le cycle de la pluie commence par une ascension alors que celui de la rosée ne requiert pas d’ascension.
Pour pouvoir comprendre l’importance que cette distinction revêt dans l’échange entre Moïse et D.ieu, il nous faut d’abord en expliquer la symbolique spirituelle.
L’oscillation des âmes
De même que les vapeurs d’eau s’élèvent de la surface de la Terre vers les cieux qui la surplombent, ainsi vont les âmes. Elles oscillent entre les plans spirituels inférieurs, les plus éloignés du Divin, et les plans spirituels supérieurs, plus proches de D.ieu.
Telles les eaux qui s’étendent et stagnent à la surface du globe, nous sommes souvent satisfaits de notre vie ici-bas dans laquelle nous sommes spirituellement éloignés de D.ieu. Ballottés par les vagues de nos fantaisies, nous nous concentrons plus volontiers sur le corps que sur l’âme, plus sur ce qui est superficiel que sur le fond des choses, sur le matériel plus que sur le spirituel. Mais, comme l’eau qui est en surface, notre autosatisfaction ne peut pas durer éternellement. Nous finissons toujours par ressentir le besoin de nous élever.
C’est à ce moment que nous nous tournons vers D.ieu et prenons conscience du vide spirituel de nos vies. Nous nous rendons compte que la société dans laquelle nous vivons est en faillite morale et que la vanité et l’arrogance, l’égoïsme et la haine, le laxisme et la corruption sont monnaie courante. Et nous aspirons à une existence porteuse de plus de sens.
Une fois cette prise de conscience effectuée, l’éclat de notre mode de vie matérialiste se ternit. Notre enthousiasme à son égard s’évapore et, comme l’humidité qui se dégage des océans, nous nous élevons vers un degré plus haut, plus spirituel de l’existence. Et quand, de cette hauteur nouvellement acquise, nous nous retournons avec consternation vers notre passé, nous formons des nuages de remords dans la haute atmosphère.
Ces nuages obscurcissent notre ciel, remplaçant notre enthousiasme par de la honte. Mais il ne faut pas leur permettre de rester en place. Des gouttes d’inspirations doivent rapidement perler dans notre cœur et précipiter un épanchement torrentiel d’amour pour D.ieu et nous conduire à étudier la Torah et à observer ses commandements, les Mitsvot.
Désirs spontanés, réponse consciente
Connaissant la nature instable de l’homme, Moïse savait que rares seraient ceux qui parviendraient à maintenir un haut degré de dévotion. C’est pourquoi il a demandé à D.ieu que notre inspiration ruisselle comme la pluie.
Il a demandé à D.ieu de considérer notre pénitence comme les gouttes de pluie qui se forment à partir des vapeurs venues d’en bas, sachant qu’elle nous élèverait jusqu’à provoquer en nous un déferlement d’amour pour D.ieu.
Mais D.ieu répondit que cette inspiration s’égoutterait plutôt comme la rosée.
La rosée se forme au sol et n’implique pas la montée de la vapeur. D.ieu signifia en cela qu’Il susciterait notre inspiration « en bas », indépendamment des choix que nous ferions : lorsqu’Il constate que nous nous écartons des voies de la Torah, Il n’attend pas que « nos vapeurs s’élèvent », c’est-à-dire que nous fassions acte de repentance. Au lieu de cela, Il instille dans notre âme une goutte d’inspiration et éveille en nous le désir d’une Mitsva.
Il est, en effet, certains moments où nous ressentons un désir subit et inexplicable de nous rapprocher de D.ieu. Soudain, nous voulons assister à un office à la synagogue ou participer à un cours de Torah. Nous avons envie d’allumer les bougies de Chabbat ou de faire un don à une œuvre charitable. Ces désirs apparaissent spontanément, sans être suscités par rien que nous ayons vu ou entendu. C’est D.ieu qui est à l’initiative de ces « gouttes de rosée », elles ne proviennent pas de notre propre « élévation ».
Cependant, si c’est D.ieu qui suscite le désir, Il nous laisse le soin de le réaliser. Nous avons alors le choix entre deux options : nous pouvons nous restreindre à cette unique inspiration, ou bien nous pouvons mettre celle-ci à profit pour en stimuler d’autres qui nous conduiront à accomplir d’autres Mitsvot.
En d’autres termes, nous pouvons soit faire de la pluie, soit attendre la prochaine rosée.
Faisons donc pleuvoir.
Cet essai est basé sur le discours de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi figurant dans son œuvre Likoutei Torah, p. 73b.
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