Il y a quelques années, j’ai été envoyé avec un ami par le Merkaz Chli’hout (qui envoie des émissaires rabbiniques dans le monde entier) pour l’été à Mexico. J’étais qualifié pour cela puisque je parle espagnol. A notre arrivée, nous avons fait connaissance de la communauté et avons décidé d’organiser un grand concert pour rassembler un maximum de jeunes et leur faire passer un message sur le judaïsme. Pour cela, nous nous sommes assurés la participation du chanteur Yehuda Glantz : celui-ci connaît bien la culture sud-américaine et en utilise d’ailleurs les instruments de musique. De plus, sa présence sur scène garantit une atmosphère enthousiaste et la participation enflammée du public.
Durant les préparatifs, nous avons été confrontés à de nombreuses difficultés, en particulier pour trouver un système de sono compatible avec les exigences de Glantz et de son orchestre. Finalement on nous indiqua le nom d’un magasin qui vendait exactement ce qu’il nous fallait. Au téléphone, le commerçant se montra ravi, bien entendu, de nous procurer le matériel nécessaire. J’insistai cependant pour fixer un rendez-vous pour le lendemain : dans une conversation face à face, il me serait plus facile d’obtenir un rabais - ce qui est courant dans ce pays.
Quand je m’y rendis avec mon ami, nous rencontrâmes un homme âgé d’une cinquantaine d’années. Après une poignée de main et des paroles de courtoisie habituelles, j’expliquai qui nous étions, pourquoi nous étions là et qui était celui qui nous avait envoyés à Mexico. Notre interlocuteur fit un geste de la main, signifiant : «Pas besoin de m’expliquer qui est le Rabbi de Loubavitch ! Je connais le Rabbi et j’ai même eu le privilège de le rencontrer une fois !»
J’étais stupéfait. Par son apparence extérieure, l’homme n’avait pas l’apparence d’un Juif ‘hassidique... L’homme ne se fit pas prier pour me raconter son histoire : «Oui, ma femme et moi, nous sommes juifs. Nous l’avons toujours su mais sans y attacher une importance quelconque. Par un certain concours de circonstances, nous avons commencé à nous intéresser à notre judaïsme, à observer Chabbat et la cacherout, deux principes auxquels nous avons décidé d’adhérer.
Peu après, nous avons eu l’occasion de visiter les Etats-Unis, le Texas précisément. Comme nous devions y passer un Chabbat, nous avons cherché l’adresse d’un rabbin chez qui nous pourrions passer Chabbat et manger cachère. Et nous avons trouvé un rabbin qui, au téléphone, nous invita cordialement à passer Chabbat chez lui.
Nous sommes donc partis, rassurés, et avons apprécié notre voyage. A l’approche du Chabbat, nous avons rappelé le rabbin mais sa femme nous répondit : «Je suis désolée mais comme une certaine Fédération Juive organise son congrès justement ce Chabbat, nous ne pourrons pas vous recevoir !»
Tous nos plans s’écroulaient. Nous avons cherché en vain un autre rabbin ou au moins un Juif pratiquant quel qu’il soit. Nous n’avions plus qu’à acheter dans un supermarché quelconque quelques produits permis par les différentes listes de cacherout et à organiser le Chabbat dans notre chambre d’hôtel. Ma femme et ma fille allumèrent les bougies de Chabbat puis nous nous sommes installés tant bien que mal. Nos filles qui fréquentaient une école juive, nous indiquèrent ce qu’il fallait réciter dans le seul livre de prières que nous avions emporté mais elles-mêmes n’étaient pas très sûres d’elles. Nous étions vraiment peu à l’aise.
Alors que nous tentions maladroitement de déchiffrer les instructions fournies par le livre de prières, nous avons soudain entendu quelqu’un chanter des airs connus. Persuadés que nous rêvions réveillés, nous nous sommes tus subitement : oui, c’était bien le chant de «Chalom Aleikhem !». Nous nous sommes regardés les uns les autres puis je me suis précipité dans le couloir et j’ai compris que les chants joyeux venaient justement de la chambre voisine ! J’ai frappé à la porte et deux jeunes gens m’ont ouvert : ils avaient une vingtaine d’années, portaient la barbe et le chapeau. Très ému, je me suis présenté : eux aussi étaient très étonnés. Sur leur table, j’aperçus une boîte de thon en conserve, une bouteille de vin cachère et quelques Matsot : «C’est tout votre Chabbat ?» m’exclamai-je. Ils m’ont souri et je les ai invités dans notre chambre : je leur ai montré les tampons rabbiniques sur les produits que nous avions achetés avant Chabbat et ils ont accepté de partager notre repas.
Ah, quel Chabbat ! Ils ont prié et chanté, nous ont expliqué tout ce qu’il fallait faire ou dire, ils nous ont aidé à mieux comprendre le Chabbat, ils ont expliqué la Sidra de la semaine avec des mots simples mais des concepts profonds…
Puis je leur ai posé la question qui me taraudait depuis le début : que faisaient-ils là ? Il s’avéra qu’ils avaient été envoyés pour rendre visite à des détenus juifs emprisonnés au Texas. Ils avaient choisi cet hôtel afin de pouvoir visiter ces détenus même pendant Chabbat !
«D.ieu existe !» m’exclamai-je. «De tous les hôtels de la ville, vous avez choisi justement celui-ci, et des quatre cent cinquante chambres situées sur plusieurs étages, vous avez pris justement celle qui était voisine de la nôtre pour que nous vous entendions chanter «Chalom Aleikhem», que nous puissions vous inviter et que vous nous expliquiez ce qu’est un véritable Chabbat et comment le célébrer !»
Ils m’expliquèrent alors patiemment le concept de «Providence Divine», comment le Créateur dirige le monde à chaque instant dans ses moindres détails. Ils me racontèrent aussi qu’ils avaient été envoyés par le Rabbi de Loubavitch «qui s’occupe de chaque Juif, dans tous les coins du monde afin qu’il soit conscient et fier de son judaïsme et qu’il se rapproche de son Créateur par l’étude de la Torah et l’accomplissement des Mitsvot, même ceux qui se trouvent en prison !»
Stupéfait, je leur demandai où habitait ce Juif qui s’occupait de chacun. «A Brooklyn, New York !» et ils m’expliquèrent qu’il était possible d’aller le voir et même d’échanger quelques mots avec lui le dimanche matin, quand il distribuait des dollars à remettre à la Tsedaka (charité).
Ce Chabbat fut vraiment exceptionnel et ces deux jeunes gens nous ont fait découvrir un monde nouveau !
Bref, deux semaines plus tard, nous avons fait un détour par New York et nos deux nouveaux amis nous ont amenés devant le Rabbi : en le voyant, j’ai compris de qui ces deux jeunes gens tiraient leur force et leur motivation, pour être prêts à passer un Chabbat dans un coin perdu, pratiquement sans manger, juste pour encourager des Juifs détenus en prison. Je remerciai en mon nom personnel le Rabbi pour avoir envoyé ces deux jeunes gens au Texas et pour avoir ainsi sauvé notre Chabbat et notre détermination à le pratiquer dorénavant.
Alors, continua-t-il triomphalement tandis que nous l’écoutions bouche bée, vous n’avez pas besoin de m’expliquer davantage. Vous avez dit : Rabbi de Loubavitch et cela me suffit ! Votre sono, ne vous inquiétez pas, je vous l’offre !» conclut-il avec un grand sourire.
Au fait ce concert – pour ceux que cela intéresse – a été un succès indéniable. Des centaines de jeunes y ont participé !
Zalman Ruderman - Kfar Chabad
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