C'était un dimanche très froid au milieu de l'hiver. Le vent glacial de New York frigorifiait ceux qui faisaient la queue à l'extérieur du 770, le centre mondial de Loubavitch, afin de recevoir un dollar pour la Tsédaka de la main du Rabbi. Mais, le froid cruel ne faisait fuir personne. Chacun attendait avec impatience le moment de passer devant le Rabbi, de recevoir un dollar et sa bénédiction, de s'entendre souhaiter « bénédiction et réussite », selon la formule désormais traditionnelle.

Parmi ceux qui attendaient, il y avait Rav Notké Bar Cohen, un 'Hassid qui avait quitté Riga, en Union Soviétique, quelques années auparavant et vivait depuis à Lod, en Erets Israël. Je me tenais près de lui et nous discutâmes de différentes choses, en particulier de la situation en Terre Sainte. Il est, de façon générale, très agréable de discuter avec Reb Notké. Mais, en l'occurrence, être près de lui permettait en outre d'oublier l'âpreté du froid, qui gelait le corps.

Il m'expliqua qu'il pensait rentrer, dès le lendemain, lundi, en Erets Israël. Je lui confiai donc une lettre et lui demandai de la remettre à ma famille, là-bas. Soudain, la queue avança rapidement et Reb Notké se trouva très vite devant le Rabbi. Il présenta sa main droite pour recevoir un dollar et le Rabbi le lui tendit, mais il ne dit pas la phrase bien connue, qui accompagne généralement cette distribution, "bénédiction et réussite". J'étais derrière Reb Notké. Avant que mon tour n'arrive, le Rabbi se tourna soudain vers son secrétaire et lui demanda de rappeler Reb Notké. Celui-ci, surpris, s'approcha à nouveau du Rabbi, qui l'interrogea: « Vous rendez-vous au Brésil? »

Entendant la question et me souvenant de notre conversation, je pensai que Reb Notké expliquerait au Rabbi qu'il avait l'intention de retourner, dès le lendemain, en Erets Israël. Mais sa réponse, franche et sans hésitation, fut: « Effectivement, je pars pour le Brésil. » Le Rabbi lui tendit un second dollar et lui souhaita: « De nombreuses bénédictions ». Je reçus, à mon tour, le dollar et la bénédiction du Rabbi, puis sortis dans la rue froide. J'y rencontrai, un peu plus tard, Reb Notké, en conversation avec le secrétaire du Rabbi, Rav Binyamin Klein. Il me vit et me dit, avec un grand sourire: « Je cours à l'agence de voyage, afin de prendre mon billet pour le Brésil. Je souhaite m'y rendre dès ce soir ». En l'espace de quelques secondes, ses plans avaient été bouleversés par quelques mots que le Rabbi avait pro­noncés, mais il n'avait aucunement perdu son calme.

« Ne vous apprêtiez-vous pas à vous rendre en Erets Israël? Pourquoi avez-vous dit au Rabbi que vous pensiez aller au Brésil? », demandai-je. Il me répondit, avec un large sourire mais, néanmoins, avec une grande fermeté: « Le Rabbi m'a demandé si je partais au Brésil. Cela signifie que je dois y aller immédiatement. »

Tout ceci se passa en 5747-1987, au mois de Tevet, si je ne me trompe pas. Un peu plus de deux ans plus tard, j'ai rencontré Reb Notké en Erets Israël et je lui ai rappelé ce qui s'était alors passé. Ma curiosité me conduisit à lui demander de me relater le dénouement de l'histoire. Je fus surpris lorsqu'il me révéla que celui-ci venait tout juste de se produire, cette même semaine.

Nous nous trouvions dans la synagogue de Na'halat Har 'Habad et Reb Notké, visiblement ému, commença à raconter :

« Après un long voyage, j'arrivai à Sao Paolo, au Brésil. Je me suis rendu chez quelqu'un que je connaissais. C'est chez lui que je suis resté, pendant toute la durée de mon séjour. Je pris mon index téléphonique et contactai tous les amis que je comptais à Sao Paolo. Je n’avais aucune idée de ce que j’étais censé faire là-bas , mais une chose était claire pour moi : le Rabbi m'avait demandé si je pensais venir ici, alors que telle n'était pas mon intention. Ma venue devait donc avoir un objet concret, qu'il me fallait découvrir.

« Trois jours après mon arrivée, je me souvins d'une femme qui avait été ma voisine en Russie et habitait maintenant ici. D-ieu merci, je parvins à retrouver son numéro de téléphone. Elle fut heureuse d'apprendre que je ne l'avais pas oubliée et avais saisi l'occasion de ma visite pour la contacter. Elle me demanda aussitôt si je pouvais rencontrer son fils aîné. J'acceptai, bien sûr, sa proposition et allai le voir en début de soirée.

« Lorsque nous nous vîmes, il donna libre cours à son émotion et se mit à pleurer. Il me déclara qu'il était satisfait de rencontrer un « vrai Juif ». Après cette entrée en matière pleine d’émotion, nous discutâmes pendant un long moment. Nous évoquâmes différentes choses et je remarquai que quelque chose le dérangeait, mais qu'il ne désirait pas en parler. Me souvenant de la demande de sa mère, je me permis d'insister, recherchant tout indice susceptible de me renseigner sur sa situation.

« Finalement, n'en tenant plus, il éclata en sanglots et m'avoua qu'il avait rencontré une non-Juive et avait décidé de l'épouser. Les supplica­tions de sa mère étaient restées vaines. Je m'aperçus cependant que sa conscience ne le laissait pas tranquille et qu'il souffrait d'imposer une telle souffrance à sa mère. Néanmoins, il était incapable, disait-il, de renoncer à son projet.

« Nous discutâmes pendant toute la nuit. Je lui rappelai le combat de sa mère, en Russie, pour maintenir son Judaïsme. Comment son fils pouvait-il rejeter délibérément son appartenance au peuple d ' Israël? Peu à peu, il fut touché par mes arguments et me jura de ne plus revoir cette non-Juive.

« Je décidai d'agir rapidement et de ne courir aucun risque. Je voulus lui présenter une jeune fille juive, avant qu'il ne change d'avis. Parallèlement, j'essayais de le rapprocher de la Torah et de la pratique juive. Bientôt, je pus lui faire connaître une jeune fille pratiquante. Ils se plurent mutuellement et, quelque temps plus tard, elle lui dit qu’elle accepterait de se marier avec lui lorsqu'il aurait étudié la Torah et se serait affermi dans l'accomplissement des Mitsvot.

Il releva le défi, commença à étudier le Judaïsme et avança à pas de géant. Je sentis que ma mission était accomplie et décidai alors de rentrer chez moi, en Erets Israël. Deux ans sont passés depuis lors et je n'avais, jusqu'ici, aucune nouvelle. Or, voici un mois, j'ai reçu une chaleureuse lettre, une carte d'invitation pour son mariage et un billet d'avion pour le Brésil. Je reviens tout juste de ce voyage. J'ai assisté au mariage et aux célébrations des Chéva Berakhot, les repas donnés pour y réciter les « sept bénédictions », pendant chaque soir de la semaine qui l'a suivi. J'ai participé à cette joie qui était également la mienne. Je comprends maintenant pourquoi le Rabbi m'a envoyé au Brésil. »