La soukka est un endroit étrange. Faites-la dans les règles de l’art et vous serez assis au milieu de votre mobilier le plus élégant, avec la nappe la plus fine, votre porcelaine et votre argenterie les plus chères posées devant vous, comme si c’était votre palais, celui dans lequel vous régnerez pour toujours.

Jusqu’à ce que vous leviez les yeux.

Lorsque vous lèverez les yeux, vous constaterez que votre toit n’est qu’un assemblage précaire de végétaux non comestibles qui ne vous protègent que très peu, voire pas du tout, des intempéries et qui s’envolera facilement à la première bourrasque.

Et, selon les règles de l’art, vous devez lever les yeux.

Dites-moi, à quoi cela vous fait-il penser ? Dans quelles autres structures temporaires vivons-nous comme si elles étaient permanentes ?

Je peux en citer deux : nos corps, et la biosphère de la planète Terre.

Nos corps, parce que pendant les 40 premières années du voyage qu’on appelle la vie, la plupart d’entre nous n’envisagent même pas le spectre d’un arrêt final. C’est tout simplement trop écrasant pour pouvoir le digérer : il fut un temps où je n’existais pas, et il y aura un temps où ce « je » dans lequel j’ai tant investi disparaîtra tout simplement. Et donc, plutôt que d’accepter notre mortalité, la plupart d’entre nous traversent la vie comme si le film ne se terminera jamais.

Il en va de même pour la biosphère. Quelque chose en elle – ou en nous – donne l’impression que, comme aujourd’hui, il y aura toujours de l’eau à boire, de l’oxygène à respirer, des poissons dans la mer et des éléphants dans la savane. Tout comme un enfant se fie à ses parents aimants et indulgents, nous avons confiance que la terre ne cessera jamais de nous accorder sa générosité ou d’accepter les déchets que nous enterrons dans ses entrailles. Nous acquiesçons aux données qui nous disent le contraire, nous nous inclinons devant les experts, mais une partie de notre intuition humaine ne nous permet pas d’accepter l’idée que ce monde qui nous a nourris pourrait être vulnérable à nos actions. Nous continuons donc à y vivre comme s’il s’agissait d’un absolu, comme si l’acte même d’exister supposait qu’il en serait toujours ainsi.

Jusqu’à ce que nous levions les yeux. Et il y aura toujours ces événements dans la vie qui nous forcent à lever les yeux.

Une fois que vous avez levé les yeux et que vous avez réalisé que nous sommes des voyageurs sur une route finie, que rien ne redeviendra jamais comme avant, qu’il n’y a pas un seul objet auquel vous pouvez vous accrocher et vous appuyer en toute confiance, car rien de tout cela ne sera jamais vraiment réel – une fois que vous savez tout cela, comment devriez-vous vivre ?

Vous pourriez dire : « Qui a besoin de ce monde éphémère, de cette sombre fosse du néant ? Laissez-moi m’échapper vers une réalité supérieure. Laissez-moi ignorer autant que possible ce mirage qu’est la vie. »

Comme l’ont dit de nombreuses personnes éclairées avant vous.

Mais la Torah demande autre chose : même si vous êtes l’être le plus éclairé, vous devez vivre dans cette cabane précaire comme s’il s’agissait de votre maison permanente. Vous devez embrasser cet instant fugace, le célébrer et le chérir comme si rien d’autre n’existait, sachant que tout a été créé pour ce seul moment, que son Créateur attend avec impatience l’acte de beauté que vous pourriez accomplir ici et maintenant, dans ce corps et sur cette magnifique planète.

Sachez que ce moment ne reviendra jamais, et chérissez-le comme l’éternité.