Revenir à D.ieu après avoir fauté est un sentiment naturel qui trouve souvent ses racines dans un besoin de déculpabilisation. Ce retour spontané est, par essence, informel, car un acte d’origine émotionnel est rarement structuré.

Le judaïsme présente paradoxalement la « Téchouva », retour vers D.ieu, comme un commandement divin qui se décompose en un certain nombre de phases : doit s’exprimer d’abord un profond regret, suivi d’une inébranlable décision de ne plus fauter. Et, bien que « la Téchouva soit principalement dans le cœur »1, cette décision est accompagnée d’un « Vidouï », aveu oral de la faute.

Un tel formalisme défini comme un commandement divin semble, a priori, injustifié. Comment peut-on dicter au pécheur son itinéraire émotionnel ?

En amont de cette question se situe une problématique fondamentale : le cheminement du retour vers D.ieu est-il virtuel ou effectif ? En d’autres termes, s’agit-il du simple défoulement d’un sentiment coupable ou d’une véritable réparation d’un acte pervers ? Dans cette dernière éventualité, quel processus sous-tend la réparation d’une action passée ?


Le sens de la réparation d’une faute passe par celui du commandement divin. Les trois cent soixante-cinq interdits et surtout les deux cent quarante-huit injonctions du judaïsme sont appelés, dans le Zohar, les « membres du Roi » car par eux, D.ieu agit sur la marche du monde. Cette action consiste principalement en un influx d’émanation divine, témoin de l’amour qu’éveille en D.ieu l’accomplissement de Sa volonté par l’homme. Chaque commandement, dans sa définition, appelle une expression différente de la révélation divine filtrée par les attributs de l’arbre séphirotique.2

Garant du libre-arbitre, le mal est une création dont le caractère négatif justifie son existence quasi-insignifiante, tout juste suffisante à éprouver l’homme en tentant de le détourner de D.ieu. Cependant, son statut de créature divine pose la question de sa motivation à inciter l’homme à s’opposer à son Créateur.

Cette question trouve sa réponse dans la définition de la faute. Par la transgression d’un commandement divin, l’homme provoque le détournement de la révélation divine, initialement destinée, si le commandement avait été accompli, à consolider les structures de la Création, vers les forces du mal qui s’en nourrissent. Cette nutrition contre nature lui confère alors une existence d’un niveau supérieur qui renforce son emprise sur le monde.

Ce détournement se présente sous deux aspects : d’une part, l’endommagement de l’arbre séphirotique qui laisse s’échapper l’émanation divine comme le sang s’échapperait d’une blessure. D’autre part la création d’un ange maléfique dont le rôle sera, entre autres, de punir le pécheur3.

Comme toute créature, l’ange, bénéfique ou maléfique, est composé d’un « corps »4 et d’une âme. En un certain sens, la faute est elle aussi un être vivant qui naît, se développe et qui meurt, dont le corps est son accomplissement, animé par le désir. De ce point de vue, le désir de fauter crée l’âme du mauvais ange et sa réalisation en engendre le corps.

Si le regret de l’homme peut suffire à annuler son désir coupable, il est inefficace pour effacer l’action, imprimée dans la matérialité du temps et de l’espace. Le Talmud5 nous affirme qu’un véritable retour vers D.ieu serait réalisé lorsqu’un homme coupable d’adultère, se retrouverait « avec la même femme, dans les mêmes conditions et dans le même lieu » sans pour autant fauter.

Bien qu’une telle situation compenserait une telle faute de façon idéale, elle est toutefois difficilement réalisable. Aussi, dans Sa grande bonté, D.ieu a laissé à l’homme la possibilité de détruire le « corps » de sa faute par l’acte minime que constitue son aveu car, nous disent nos Sages, « les mouvements de ses lèvres sont comptés comme un acte ».6

Nous comprenons ici le sens du « Vidouï », expression orale de l’aveu de la faute. Malgré son caractère désuet, il vient réparer l’action commise par le pécheur.

Mais tout ce processus semble encore allégorique et ne répond pas à l’interrogation sur l’effet réel du retour vers D.ieu.

Pour répondre à cette question, il faut se reporter à une partie fondamentale de la liturgie juive, si souvent mentionnée le jour du Grand Pardon, qui est l’évocation des « treize attributs de la miséricorde divine ». Bien qu’attributs divins, ceux-ci se distinguent des dix attributs qui constituent l’arbre séphirotique par leur caractère transcendant.7

Selon la tradition hassidique8, l’ossature de la Création est composée de dix attributs divins9, expressions immanentes de la divinité. En amont de ceux-ci se situe l’attribut de « Kéter »10 qui, comme la couronne royale qui surplombe la tête du roi, transcende l’arbre séphirotique.11 Les attributs de miséricorde sont au nombre de treize parce qu’ils contiennent toutes les expressions du divin que sont les dix attributs et les trois parties de « Kéter ».12

C’est pour cette raison que le pardon de la faute passe par l’invocation de ces attributs : seule la transcendance divine, en amont du temps et de l’espace, peut réparer13 le passé en détruisant tout mal, comme un roi peut, par sa miséricorde, transcender toute justice.14

Le retour vers D.ieu dépasse donc la notion de pardon de la faute. Il introduit une nouvelle dimension dans la relation de l’homme à D.ieu qui, comme dans un miracle, brise les limites de la nature. Cette brisure est en fait une réponse à l’action de l’homme qui tourne résolument le dos à son passé. Il ne s’agit pas ici d’une montée progressive, d’un long raffinement acquis par les commandements divins, mais d’un véritable saut vers son Créateur.

De ce point de vue, la « Téchouva » n’est plus une simple réparation de fautes passées, c’est une attitude qui exprime un brûlant désir de retrouver son Créateur, au-delà même du service divin. De fait, c’est un mouvement de l’âme décrit par le verset : « le souffle de vie reviendra vers D.ieu qui l’a insufflé ».15

Parce qu’au-delà des commandements, au-delà du service quotidien, D.ieu demande quelquefois de savoir brûler les étapes qui conduisent vers Lui en transcendant Sa volonté.