Deux voies

Dans la mesure où le mois de Eloul est celui du bilan récapitulatif de l’ensemble de l’année, il exprime d’autant plus le rôle de l’homme de servir son Créateur, notamment dans l’acrostiche formé par ses lettres « Ani Lédodi Védodi Li – Je suis à mon bien-aimé (D.ieu) et mon bien-aimé est à moi ».1 Ce verset exprime en effet le lien entre le Juif et D.ieu, aussi bien dans le service de D.ieu que l’homme effectue à travers l’étude de la Torah et l’accomplissement des Mitsvot (« Je suis à mon bien-aimé »), que dans l’assistance que D.ieu prodigue à l’homme (« mon bien-aimé est à moi »).

Le mois de Eloul enseigne donc qu’il ne convient pas d’attendre passivement que D.ieu se manifeste, mais, au contraire, que l’essentiel et la base de cette relation est l’effort de l’homme, exprimé par le début du verset « Je suis à mon bien-aimé », auquel l’assistance divine fait suite.

Et bien que, pour pouvoir initier cet effort, nous recevions déjà une aide d’En-Haut (comme l’influence des Treize Attributs de Miséricorde divine qui sont révélés pendant le mois de Eloul2.), nous devons être conscients que là n’est pas l’essentiel : ce n’est qu’à travers l’accomplissement de notre mission par nos propres forces que nous pouvons mériter une manifestation divine qui soit intégrée et perceptible et d’une plus grande intensité (« mon bien-aimé est à moi »).

(C’est la raison pour laquelle le nom Eloul débute en hébreu par la lettre alef : cela indique que le travail doit débuter de « alef », la première lettre, c’est-à-dire le niveau le plus bas et c’est précisément ainsi qu’il est ensuite possible de progresser vers les niveaux suivants, le guimel, le dalet, etc, jusqu’au tav.)

Ceci étant établi, nous avons vu que la seconde partie du nom « Eloul », les lettres vav et lamed qui font allusion aux mots « Védodi Li – mon bien-aimé est à moi », représente l’aide que D.ieu apporte à l’homme. Cependant, dans la mesure où il s’agit également d’une partie du nom du mois du bilan du service de l’homme, il est clair que cela désigne aussi un niveau du service divin du mois d’Eloul : c’est lorsque l’homme sert D.ieu « d’En-haut », c’est-à-dire en faisant totalement abstraction des difficultés que le monde peut opposer à son service de D.ieu.

L’âme et le corps

Ces deux approches du service de D.ieu existent depuis la Création du monde. En effet, celui-ci fut créé le premier jour (dimanche) pour enseigner à servir D.ieu « du bas vers le haut » et, d’autre part, les livres de Kabbalah enseignent qu’un Chabbat a précédé la Création du monde3 dont la perfection a béni et investi les jours de la Création, enseignant l’approche « du haut vers le bas ».

Ces deux approches se retrouvent à l’intérieur même de chaque Juif :

Le corps fut créé à partir de la terre et, pour le raffiner et l’élever, il est nécessaire de mener un long et profond effort.

En revanche, l’âme d’un Juif est totalement au-delà des limitations de ce monde, étant « concrètement une parcelle du Divin » comme le dit le Tanya,4 c’est-à-dire qu’elle garde son caractère divin même lorsqu’elle est revêtue du corps, ici-bas, dans le monde matériel et « concret ». Et, de par les forces de son âme, le Juif peut s’affranchir de la nécessité de progresser petit à petit et peut d’emblée exiger de lui-même de servir D.ieu à la perfection, d’une façon qui relève du « Chabbat », d’une façon « céleste », jusqu’à accomplir des merveilles et toucher à la perfection messianique, « le jour qui sera entièrement Chabbat et repos pour la vie éternelle ».5

Il ressort de tout ce qui précède que le Juif doit toujours servir D.ieu sur deux plans :

D'un côté, il doit toujours servir D.ieu de façon structurée et ordonnée, en progressant étape par étape. Et cela doit toujours être le cas, même dans des jours aussi élevés que Yom Kippour ou Sim’hat Torah (et pour preuve : ces jours sont également intégrés au déroulement de la semaine qui est progressif).

D’un autre côté, un Juif doit toujours, même les jours profanes, servir D.ieu « du haut vers le bas » en accomplissant son devoir à la perfection en puisant dans les forces de son âme le niveau de « Chabbat » qui est en soi. (À l’instar de Chammaï qui vivait toute la semaine en fonction du Chabbat, réservant toute nourriture de qualité qu’il trouvait en semaine pour « l’honneur du Chabbat »6.)

D’un point de vue général, on retrouve ces deux niveaux dans deux catégories au sein du peuple juif : le service divin de certains Juifs est essentiellement l’étude de la Torah, qui transcende le monde, alors que celui de certains autres est axé sur le rapport au monde à travers l’exercice de leur profession.

Quel est le plus important ?

Dans la mesure où, comme nous l’avons dit plus haut, l’essentiel est l’effort du Juif (« Je suis à mon bien-aimé ») et l’assistance divine n’intervient que dans un deuxième temps, ainsi en est-il en ce qui concerne les deux approches du service de D.ieu : l’essentiel et la base sont précisément lorsque l’homme sert D.ieu avec sa dimension physique qu’il élève « du bas vers le haut » et ce n’est qu’ensuite que vient le service de D.ieu avec son âme.

La raison à cela est simple :

Puisque D.ieu souhaite avant tout que ce monde-ci, le monde matériel, soit raffiné et élevé, il est clair qu’il est nécessaire d’accomplir cette tâche au sein du monde et en fonction de ses paramètres. Il est vrai que ce travail exige beaucoup de temps et d’efforts et qu’il faut avancer étape par étape, mais il n’est pas possible de sauter directement à des stades plus élevés, car on s’apercevra en définitive que le monde n’est pas apte à en soutenir la révélation.

Certes, chaque Juif a reçu une âme particulièrement élevée qui peut accomplir son œuvre « du haut vers le bas », mais cela ne peut que venir s’ajouter à l’essentiel qui est le travail « d’en bas ». (C’est pourquoi nous comptons les jours depuis la création du monde – le dimanche – et non depuis la création de l’homme – le vendredi : pour indiquer que l’essentiel dans le service de D.ieu est d’élever le monde matériel.)

Il ne faut pas croire que, de cette façon, l’élévation finale sera moindre. Au contraire, c’est précisément ainsi que nous parviendrons à la révélation de l’Essence de D.ieu.

En résumé, le mois de Eloul présente trois approches du service de D.ieu :

1. « Ani Lédodi – Je suis à mon bien-aimé », le service « du bas vers le haut », limité en fonction des capacités du monde, mais qui a pour avantage d’exercer une influence en profondeur ;

2. « Védodi Li – mon bien-aimé est à moi », le service « du haut vers le bas », une attitude que rien ne limite, mais qui ne pénètre pas le monde ;

3. « Eloul », la conjonction des deux approches précédentes, de sorte que le service illimité de D.ieu pénètre également le monde.

Faire le bilan

Nous comprenons maintenant la façon dont il convient d’établir un « bilan de soi » au cours du mois de Eloul :

Il faut tout d’abord dresser le bilan de son service de D.ieu « du bas vers le haut » : savoir combien d’efforts on y a consacrés et dans quelle mesure on est parvenu à raffiner son corps et le monde autour de soi.

Ensuite, il faut faire le bilan du service « du haut vers le bas » qui doit découler de son âme divine : accomplir les commandements divins sans se soucier des limitations induites par son existence corporelle ou par le monde matériel.

Et, outre cela, il faut savoir que, même lorsque l’on parvient à accomplir la volonté de D.ieu à la perfection en faisant fi des difficultés, il est nécessaire de faire pénétrer cela dans sa dimension physique et dans le monde entier afin qu’eux aussi servent D.ieu parfaitement.

Telle est la tâche de chaque Juif au mois de Eloul : relier le « Ani » (soi-même) à « Dodi » (D.ieu), mais ensuite se soucier que « Dodi » soit « li », à soi, c’est-à-dire que les niveaux les plus élevés soient liés et intégrés au monde matériel de sorte que celui-ci atteigne la perfection.

Adapté du discours du Rabbi du
Chabbat Ekev, le 23 Mena’hem Av 5751