Lors d’une récente discussion du dimanche matin, quelqu’un m’a interrogé sur le fait que je parle souvent de la Torah comme d’un document unificateur offrant une perspective globale et harmonieuse de la réalité ; pourtant, a fait remarquer ce monsieur, la Torah semble également avoir un thème de désunion. Il m’a alors donné quatre exemples d’une « doctrine de la séparation » et s’est interrogé sur la possibilité de concilier l’unité avec ce thème de la séparation.
Voici ses quatre exemples :
1. « Sainteté » et « séparation » sont fondamentalement synonymes dans la langue de la Torah. Cela donne évidemment une image positive de la « séparation ».
2. Il y a la fameuse interdiction des mariages mixtes, qui ne peut que créer une séparation entre les peuples.
3. Il y a l’interdiction de la Torah de mélanger la viande et le lait. La Torah ne donne aucune raison à cette interdiction, mais nous pouvons au moins en déduire une leçon sur la séparation des différentes espèces.
4. De même, il y a l’interdiction du « chaatnez » (nous l’avons tous complimenté pour sa connaissance de celle-ci), dans laquelle la Torah nous interdit de mélanger la laine et le lin. Bien qu’aucune raison ne soit donnée, il est évident que la Torah veut nous faire passer un message sur la nécessité de maintenir des lignes de division claires au sein de la création et de la nature. Ma réponse fut typiquement talmudique : « Vous avez 100 % raison, maintenant je vais vous montrer où vous avez tort. »
J’ai d’abord complété sa question en ajoutant quelques autres exemples de cette « doctrine de la séparation » :
a. La Torah interdit aux hommes de porter des vêtements nettement féminins et aux femmes de porter des vêtements nettement masculins. Cela semble transmettre un message sur le maintien des distinctions naturelles entre hommes et femmes.
b. La Torah nous interdit d’atteler ensemble, ou de croiser, deux espèces d’animaux.
c. La Torah nous dit de ne pas planter ensemble deux types d’espèces végétales différentes. Le même thème de différenciation émerge.
La question appelle donc une réponse : la Torah érige-t-elle effectivement la séparation en valeur ? En traduisant cela socialement, la Torah préconise-t-elle la ghettoïsation ou tout au moins une égalité mais dans la séparation ?
Pour mieux comprendre, considérons l’idéal d’union et d’unité tel qu’il apparaît dans la Torah.
L’expression « Chema Israël... E’had » – Écoute O Israël.... D.ieu est Un – est peut-être le verset le plus célèbre de la Torah. C’est la prière d’un petit enfant au coucher, récitée deux fois par jour par les Juifs à travers le monde. Quand j’étais enfant, j’ai entendu beaucoup d’histoires de martyrs allant à la mort dans les autodafés et les chambres à gaz avec le Chema aux lèvres.
Qu’y a-t-il de si spécial dans cette déclaration du Chema ? Le Juif instruit dira probablement que ce verset exprime la foi monothéiste : D.ieu est Un. Le Chema représente la théologie qu’Abraham a si vaillamment défendue dans le monde païen de son temps.
Mais que signifie le monothéisme ? Est-ce simplement que nous croyons en un seul D.ieu par opposition à plusieurs dieux ? Et si un groupe de personnes croyait qu’une statue spécifique était D.ieu, à l’exclusion de toute autre statue, seraient-ils des monothéistes ? La réponse évidente est non. Mais pourquoi ?
Nous devons comprendre que le monothéisme n’est pas une simple affaire de nombre. Ce n’est pas que le judaïsme ait répudié la croyance en cinquante dieux, mais que dix dieux se rapprochaient de l’acceptable. Abraham n’a pas seulement réduit l’adhésion au panthéon des dieux à un seul. Si tel était le cas, nous pourrions louer le monothéisme de certains cultes pré-abrahamiques.
Le monothéisme signifie beaucoup plus qu’un dieu par rapport à deux ; ce n’est pas seulement l’affirmation qu’il n’y a pas d’autre D.ieu en dehors de D.ieu. C’est l’affirmation qu’il n’y a pas d’autre réalité en dehors de D.ieu. Absolument rien n’existe en dehors du Divin. Mais s’il en est ainsi, pourquoi employons-nous le mot hébreu E’had – signifiant « Un » – pour décrire l’Unité de D.ieu ? Un terme plus approprié serait Ya’hid, qui signifie « Unique ». « Un » peut désigner une réalité faite de divers composants réunis en un ensemble. « Unique » souligne l’absence absolue d’une autre réalité. Pourquoi appeler D.ieu « Un » quand nous pourrions l’appeler « Unique » ?
Le message du Chema articule la beauté d’avoir un monde diversifié, qui semble déconnecté de soi, et à plus forte raison déconnecté du Divin, qui est mis en harmonie avec le plan divin.
D.ieu a créé un monde de différences. C’est comme cela qu’il est censé être. S’il n’y avait qu’un seul élément à la Volonté Divine dans la création, alors D.ieu aurait pu créer un être unique et moins de complexité dans la nature.
D.ieu a créé un monde avec des hommes et des femmes, avec des Juifs et des non-juifs, avec des arbres et des fleurs, etc., afin que chacun puisse – à sa propre manière – contribuer au but de faire de ce monde un lieu divin.
D.ieu a créé une symphonie avec de nombreux instruments différents contribuant à l’harmonie divine. Il nous faut seulement trouver le talent particulier et la contribution de chaque instrument. Effacer les différences va à l’encontre du but. Nous devons apprendre des différences et les utiliser comme D.ieu l’a voulu. Chacune des créations de D.ieu – avec ses différences – a un rôle unique dans notre marche vers le sens.
Donc, oui, la Torah a une doctrine de séparation. La même Torah qui célèbre l’unité profonde entre mari et femme nous avertit de ne pas oublier qui nous sommes tous. Brouiller les lignes entre l’homme et la femme mène à la « similitude » et non à « l’unité ».
L’idéal juif est « D.ieu est Un ». Reconnaître le monde que D.ieu a créé, avec tous ses paramètres et ses différences, et reconnaître la beauté dans les nuances du monde merveilleux dans lequel nous vivons.
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