Quand vous pensez à Rabbi Lévi Its’hak Schneerson – le père du Rabbi, de mémoire bénie –, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ?

Les historiens peuvent rappeler ses années de rabbinat à Yekatrinoslav-Dniepropetrovsk, qui débutèrent à l’ère tsariste et furent courageusement continuées malgré la vigoureuse oppression communiste. D’autres apprécieront plus les profondes idées kabbalistiques apparaissant dans les longues lettres qu’il écrivit à son fils et dans les notes manuscrites en marge des quelques précieux livres qu’il avait pendant ses douloureuses années d’exil.

Mais tous les ‘hassidim, jeunes et vieux, et quelle que soit leur sensibilité, sont transportés par l’euphorie bouleversante de la joyeuse mélodie ‘hassidique dansante de Rabbi Levi Its’hak, le Nigoun Hakafot.

Il est dit que ce nigoun est une vieille mélodie ‘Habad, datant des hakafot (danses) de Sim’hat Torah chez l’Admour Hazakène. Mais tout le monde appelle ce nigoun « le Nigoun de Reb Lévik » ou « le Nigoun du père du Rabbi ». Pour beaucoup, ce chant est la meilleure manière d’évoquer le souvenir de Rabbi Lévi Its’hak.

Il y a quelque chose de spécial dans ce nigoun, surtout dans la façon dont nous avons entendu le Rabbi le chanter, qui est très probablement la façon dont il l’a entendu de son père. La plupart des chants ‘hassidiques commencent bas et s’élèvent progressivement, les notes les plus élevées étant réservées à un stade ultérieur de la mélodie. Cela reflète la question et la réponse d’un nigoun, dans sa façon de refléter et de guider les luttes de la vie, encourageant à rassembler courage et force intérieure pour surmonter les épreuves et les obstacles et parvenir à des niveaux plus élevés et plus profonds de conscience spirituelle. Un nigoun fait son chemin vers l’intérieur et vers le haut, niveau par niveau, cherchant et trouvant, puis cherchant de nouveau.

Mais pas la mélodie de Rabbi Lévi Its’hak. Ce nigoun démarre directement sur une note élevée. Voyez comment le Rabbi conduit ce chant aux farbrenguens (rassemblements ‘hassidiques). Certes, la deuxième strophe monte encore plus haut, en particulier lorsque le Rabbi la soulignait et l’encourageait, mais comme la strophe d’ouverture, elle commence sur une note élevée. Il faut s’armer de courage, être prêt à sauter au-dessus de la mêlée, pour lancer ce chant plein d’entrain aux accents énergiques de certitude et de triomphe.

Le Rabbi conduisait ce chant lors des célébrations des hakafot et des farbrenguens, perpétuant la coutume de son père. Sa manière de le chanter soulignait l’élévation dramatique, culminant dès le début de la mélodie. Le Rabbi disait que ce chant est der emesser raash – le véritable vacarme.

Pour comprendre et apprécier ce nigoun, représentez-vous l’image de Rabbi Lévi Its’hak le chantant une nuit de Sim’hat Torah dans son lieu d’exil. La Rabbanit ‘Hanna, son épouse dévouée, décrit cette nuit dans ses mémoires :

Nous n’avions pas encore une Torah en notre possession. Notre invité qui prenait ses repas de Yom Tov avec nous avait trouvé du travail comme veilleur de nuit et devait passer ses nuits dans les champs à garder la récolte, de sorte qu’il ne pouvait désormais venir que pendant la journée. Ainsi, j’étais la seule présente avec mon mari dans notre chambre ce soir-là.

L’heure des hakafot arriva. Mon mari récita les versets habituels, sur le même air qu’il le faisait lorsqu’il célébrait les hakafot dans sa shul [synagogue] avec plusieurs centaines de Juifs.

Ici aussi, il se plongea dans une telle joie. Il récita chaque verset et après chaque tour, il chanta et dansa, seul, sur la mélodie connue dans notre ville comme « la mélodie du rabbin ». Il dansait en cercle dans l’espace étroit de notre chambre, entre son lit et la table...

Rappelez-vous le contexte. Cet homme juste, un savant et un mystique, un enseignant et un dirigeant communautaire, était exilé de son foyer et de sa communauté dans un village isolé et lointain, sans personne en dehors de sa femme avec qui célébrer la fête. La nourriture était rare, sa santé déclinait, la vie, dans cet endroit, était extrêmement frugale. Ils étaient seuls et isolés. Mais c’était Sim’hat Torah, un moment où il faut danser avec la Torah. Il n’avait pas de rouleau de la Torah, alors il dansa avec l’un des rares livres juifs qu’il avait. Il chanta ce nigoun dans ce lieu désolé, de la même façon qu’il l’avait chanté dans sa synagogue.

Le fait est que nous avons tous des moments où nous sommes abattus, où tout s’écroule, où la vie est triste et l’avenir est sombre. Nous pouvons nous sentir isolés et seuls ; nous pouvons manquer de ressources et des besoins de base. Chacun a ses propres épreuves et difficultés. Mais, comme Reb Levi Its’hak, nous pouvons encore trouver la force de chanter cette sorte de chant plein de joie et d’espérance, qui démarre du sommet, et qui ne laisse aucune place à la tristesse, au désespoir, ou même à une remontée progressive. Nous pouvons avoir ce courage ; nous pouvons avoir cette audace ; nous pouvons monter en flèche vers les hauteurs avec puissance.

Il existe un vaste répertoire de mélodies ‘hassidiques, représentant le spectre des émotions humaines, les diverses occasions de la vie et les itinéraires spirituels de chacun. Pourtant, de temps en temps, nous devons faire de la place dans nos cœurs compliqués, confus et en lutte pour la mélodie de Reb Levi Its’hak qui culmine dès le départ, sans même avoir besoin de s’élever.